L’homélie du pape François à l’église anglicane de Rome
Catholiques et Anglicans, nous sommes humblement reconnaissants parce, après des siècles de défiance réciproque, nous sommes maintenant en mesure de reconnaître que la grâce féconde du Christ est à l’œuvre aussi dans les autres. Remercions le Seigneur, parce qu’entre les chrétiens a grandi le désir d’une plus grande proximité, qui se manifeste dans le fait de prier ensemble et dans le témoignage commun de l’Évangile, surtout à travers différentes formes de service. Parfois, le progrès dans le chemin vers la pleine communion peut apparaître lent et incertain, mais aujourd’hui nous pouvons tirer un encouragement de notre rencontre. Pour la première fois, un évêque de Rome visite votre communauté. C’est une grâce et aussi une responsabilité : la responsabilité de renforcer nos relations dans la louange du Christ, le service de l’Évangile et de cette ville
« Chers frères et sœurs,
Je vous remercie pour cette gentille invitation à célébrer ensemble cet anniversaire paroissial. Plus de 200 ans se sont écoulés depuis que s’est tenu à Rome le premier service liturgique public anglican pour un groupe de résidents anglais qui vivaient dans cette partie de la ville. Beaucoup de choses ont changé depuis, à Rome et dans le monde. Au cours de ces deux siècles, beaucoup de choses ont changé aussi entre Anglicans et Catholiques qui, dans le passé, se regardaient avec suspicion et hostilité. Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous nous reconnaissons comme nous sommes vraiment : frères et sœurs dans le Christ, à travers notre baptême commun. Comme amis et pèlerins, nous désirons cheminer ensemble, suivre ensemble notre Seigneur Jésus-Christ.
Vous m’avez invité à bénir la nouvelle icône du Christ Sauveur. Le Christ nous regarde, et son regard posé sur nous est un regard de salut, d’amour et de compassion. C’est le même regard miséricordieux qui transperça le cœur des Apôtres, qui avaient initié un chemin de vie nouvelle pour suivre et annoncer le Maître. Dans cette sainte image, Jésus, en nous regardant, semble nous adresser aussi un appel : « Tu es prêt à laisser quelque chose de ton passé pour moi ? Tu veux être messager de mon amour, de ma miséricorde ? »
La Miséricorde divine est la source de tout le ministère chrétien. Comme le dit l’apôtre Paul, en s’adressant aux Corinthiens, dans la lecture que nous venons d’écouter. Il écrit : « en ayant ce ministère, selon la miséricorde qui nous a été accordée, nous ne perdons pas notre âme ». En effet, saint Paul n’a pas toujours eu un rapport facile avec la communauté de Corinthe, comme le démontrent ses lettres. Il y eu aussi une visite douloureuse à cette communauté, et les paroles citées furent échangées par écrit. Mais cet extrait montre l’Apôtre qui surmonte les divergences du passé et, en vivant son ministère selon la miséricorde reçue, ne se résigne pas devant les divisions mais se dépense pour la réconciliation. Quand nous, communauté de chrétiens baptisés, nous nous trouvons face à des désaccords et nous mettons devant le visage miséricordieux du Christ pour les surmonter, nous faisons justement comme l’a fait saint Paul dans l’une des premières communautés chrétiennes.
Comment fait Paul dans cette mission, par où commence-t-il ? Par l’humilité, qui n’est pas seulement une belle vertu, mais une question d’identité : Paul se comprend comme un serviteur, qui ne s’annonce pas lui-même, mais Jésus-Christ, le Seigneur. Et il accomplit ce service, ce ministère, selon la miséricorde qui lui a été accordée. Non pas sur la base de sa bravoure et en comptant sur ses forces, mais dans la confiance que Dieu le regarde et soutient avec miséricorde sa faiblesse. Devenir humbles et se décentrer, reconnaître avoir besoin de Dieu, se reconnaître comme des mendiants de miséricorde : c’est le point de départ pour que Dieu puisse opérer. Un président du Conseil œcuménique des Églises avait décrit l’évangélisation chrétienne comme « un mendiant qui dit à une autre mendiant où trouver le pain ». Je crois que saint Paul aurait approuvé. Lui, il se sentait « affamé de la miséricorde », et sa priorité était de partager avec les autres son pain : la joie d’être aimés du Seigneur et de l’aimer.
Ceci est notre bien le plus précieux, notre trésor, et dans ce contexte Paul introduit une de ses images les plus connues, que nous pouvons appliquer à nous tous : « Nous avons ce trésor dans des vases d’argile ». Nous sommes seulement des vases d’argile, mais nous cultivons en nous le plus grand trésor du monde. Les Corinthiens savaient bien qu’il était stupide de préserver quelque chose de précieux dans des vases d’argile, qui étaient bon marché, mais qui s’abîmaient facilement. Garder à l’intérieur quelque chose de précieux voulait dire risquer de le perdre. Paul, un pécheur gracié, reconnaît humblement être fragile comme un vase d’argile. Mais il a expérimenté et sait que, justement là où la misère humaine s’ouvre à l’action miséricordieuse de Dieu, le Seigneur fait des merveilles. Ainsi œuvre « l’extraordinaire puissance » de Dieu.
Confiant dans cette humble puissance, Paul sert l’Évangile. En parlant de certains de ses adversaires à Corinthe, il les appelle des « super-apôtres », peut-être, et avec une certaine ironie, parce qu’ils l’avaient critiqué pour ses faiblesses, dont ils se considéraient exempts. Paul, au contraire, enseigne que seulement en se reconnaissant de faibles vases d’argile, des pécheurs toujours en besoin de miséricorde, le trésor de Dieu se reverse en nous et sur les autres à travers nous. Autrement, nous serons seulement plein de nos trésors, qui se corrompent et pourrissent dans des vases apparemment beaux. Si nous reconnaissons notre faiblesse et demandons pardon, alors la miséricorde guérissante de Dieu resplendira en nous et sera aussi visible à l’extérieur ; les autres ressentiront d’une certaine façon, à travers nous, la beauté simple du visage du Christ.
À un certain point, peut-être dans le moment le plus difficile avec la communauté de Corinthe, Paul a annulé une visite qu’il avait programmée de faire, renonçant aussi aux offrandes qu’il aurait reçues. Des tensions existaient dans la communauté, mais elles n’eurent pas le dernier mot. La relation reprit et l’Apôtre accepta l’offrande pour le soutien de l’Église de Jérusalem. Les chrétiens de Corinthe recommencèrent à œuvrer ensemble avec les autres communautés visitées par Paul, pour soutenir ceux qui étaient dans le besoin. Ceci est un signe fort de communion rétablie. Aussi l’œuvre que votre communauté accomplit avec d’autres de langue anglaise ici à Rome peut être vue de cette façon. Une communion vraie et solide croît et se renforce quand on agit ensemble pour celui qui est dans le besoin. À travers le témoignage concordant de la charité, le visage miséricordieux de Jésus se rend visible dans notre ville.
Catholiques et Anglicans, nous sommes humblement reconnaissants parce, après des siècles de défiance réciproque, nous sommes maintenant en mesure de reconnaître que la grâce féconde du Christ est à l’œuvre aussi dans les autres. Remercions le Seigneur, parce qu’entre les chrétiens a grandi le désir d’une plus grande proximité, qui se manifeste dans le fait de prier ensemble et dans le témoignage commun de l’Évangile, surtout à travers différentes formes de service. Parfois, le progrès dans le chemin vers la pleine communion peut apparaître lent et incertain, mais aujourd’hui nous pouvons tirer un encouragement de notre rencontre. Pour la première fois, un évêque de Rome visite votre communauté. C’est une grâce et aussi une responsabilité : la responsabilité de renforcer nos relations dans la louange du Christ, le service de l’Évangile et de cette ville.
Encourageons-nous les uns les autres à devenir des disciples toujours plus fidèles de Jésus, toujours plus libres des préjugés respectifs du passé, et toujours plus désireux de prier pour et avec les autres. Un beau signe de cette volonté est le jumelage réalisé entre votre paroisse d’All Saints, et celle catholique d’Ognissanti. Les saints de toutes confessions chrétiennes, pleinement unis dans la Jérusalem d’en haut, nous ont ouvert la voie pour parcourir ici-bas toute les voies possibles d’un chemin chrétien commun et fraternel. Là où l’on se réunit au nom de Jésus, il est là, et en envoyant son regard de miséricorde, il appelle à se dépenser pour l’unité et pour l’amour. Que le visage de Dieu resplendisse sur vous, sur vos familles et sur toute cette communauté.
(MD-CV)