« La CIASE est une aide que l’Église s’est donnée »
Paris Notre-Dame du 16 septembre 2021
Mgr Thibault Verny, évêque auxiliaire du diocèse de Paris, est en charge de la coordination de la lutte contre les abus au sein du diocèse.
En trois ans, entouré d’une équipe comprenant par exemple des juristes et des psychologues, il a été le témoin d’une libération de la parole au sein de l’Église.
Paris Notre-Dame – En trois ans, avez-vous assisté à une prise de conscience dans l’Église sur le sujet des abus sexuels ?
Mgr Thibault Verny – Dans l’Église mais aussi dans notre société, la prise de conscience s’est faite grâce à des étapes marquantes et douloureuses à la fois. Parmi ces étapes, il y a eu la création de la Parole Libérée en 2015, la Lettre au Peuple de Dieu du pape François en 2018, la diffusion en 2019 du documentaire d’Arte sur les religieuses abusées. Cette prise de conscience a amené à une libération de la parole avec en quelque sorte un « effet de rattrapage » qu’on a pu observer en 2018-2019. De nombreux témoignages, parfois un par semaine, nous sont parvenus, pour des faits remontant la plupart à plus de vingt ans voire jusqu’à soixante ans. Aujourd’hui, force est de constater qu’il y a moins de signalements qui nous arrivent, même si je ne veux pas masquer des mises en cause récentes, liées par exemple à de la pédopornographie.
La prise de conscience et la libération nécessaire de la parole se font aussi dans d’autres pans de notre société : sport, éducation, politique, et enfin au sein des familles. Tout ce mouvement est loin d’être achevé. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit la gravité spécifique des abus au sein de l’Église : à l’abus sexuel et l’abus d’autorité se rajoute l’abus spirituel.
P. N.-D. – Que faites-vous lorsque vous recevez un signalement d’abus sexuel ?
T. V. – Je reçois avec une personne co-écoutante l’auteur du témoignage. C’est une étape importante : que les faits puissent être nommés et accueillis. Avec l’équipe qui travaille avec moi, nous analysons le témoignage et nous présentons à l’archevêque et son conseil les mesures qui doivent être prises. Depuis septembre 2019, un protocole de travail a été signé avec le procureur de Paris pour faciliter les signalements qui doivent être faits auprès du Parquet, et coordonner les mesures à prendre. Le cas échéant, un signalement est aussi fait auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome. S’ouvre alors pour nous un chemin d’accompagnement tant des personnes victimes que des personnes mises en cause.
P. N.-D. – Début octobre, la CIASE [1] va rendre son rapport. Doit-on en avoir peur ?
T. V. – La publication du rapport de la CIASE va être une étape ô combien marquante qui provoquera à juste titre des sentiments multiples auprès des fidèles : tristesse, colère, blessure, honte… Il importera d’accompagner les personnes et nos communautés. Mais à mon sens, la CIASE est une aide que l’Église s’est donnée. Sa feuille de route est claire : quantifier le nombre de situations d’abus sexuels depuis 1950 ; comprendre ce qui s’est passé ; préconiser des actions, en particulier pour la prévention et pour l’accompagnement des victimes. La Conférence des évêques de France a voulu laisser toute indépendance à la CIASE, ce qui a permis à de nombreuses victimes de répondre à l’appel à témoignages lancé. Par ailleurs, à la demande de la CIASE, un gros travail sur nos archives historiques a été fait par le diocèse, travail de mémoire nécessaire. Il faut voir dans ce rapport l’occasion pour l’Église d’assumer son passé avec lucidité et humilité, d’accompagner tout particulièrement les victimes, de répondre pleinement à sa mission, et enfin de se tourner vers l’avenir en continuant à mettre en place les dispositions pour que cela ne se reproduise plus.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud
Pour aller plus loin
Le site Protéger l’Enfance par le diocèse de Paris recense tous les outils pour sensibiliser sur la pédocriminalité.
[1] Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, https://www.ciase.fr/
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