La colère, chemin vers Dieu ?

Paris Notre-Dame du 19 décembre 2013

P. N.-D. - Peut-on être en colère contre Dieu ?

P. François Gonon, curé de St-Nicolas des Champs (3e), enseignant au Collège des Bernardins.
© Agnès de Gélis

P. François Gonon – La Bible nous enseigne qu’il y a, dans la vie chrétienne, une place possible, voire légitime et nécessaire, pour une certaine forme de colère, de révolte, en particulier face à l’injustice et la souffrance. Le livre de Job est en ce sens tout à fait remarquable. Face aux terribles épreuves qui s’abattent sur lui, devant le silence de Dieu, Job crie sa souffrance. Il affirme que « la vie est une corvée ». (Job 7, 1) Cette phrase, proclamée dans la liturgie dominicale (5e dimanche du temps ordinaire, année B), a de quoi surprendre. N’est-ce pas manquer de respect envers Dieu et la vie qu’Il nous donne ? Au contraire, la présence de cette phrase dans la Bible – comme tant d’autres qui expriment l’incompréhension, la colère (cf. Ps 22 (21), Ps 88 (87)) – est décisive. S’il n’y avait dans la Bible qu’action de grâce, elle serait très belle, édifiante, mais aussi inaccessible, mensongère et finalement désespérante, parce qu’étrangère à la condition humaine que Dieu est venu sauver. Le cri de Job est infiniment précieux. Ce cri dans lequel se joignent d’âge en âge les plaintes de ceux qui souffrent, est entendu par Dieu, comme le sera celui de son Fils sur la croix.

P. N.-D. - La colère est-elle mauvaise ?

P. F. G. – Oui et non. La colère, comme la joie ou la tristesse, fait partie de ce que la tradition appelle les « passions » : les passions ou sentiments sont moralement neutres. Plus encore, ils sont psychologiquement bons. La colère est ainsi une réaction légitime face à ce que l’on perçoit comme une injustice. Il peut y avoir des colères justes, saintes. Mais la colère devient un péché (et même un péché capital) lorsqu’elle est injuste dans son objet, disproportionnée dans sa réaction, nourrie de vengeance et de haine. L’Écriture condamne le péché de colère. Jésus va jusqu’à dire que celui qui se met en colère est déjà homicide (cf. Mt 5, 22).

P. N.-D. - La colère peut-elle nous rapprocher de Dieu ?

P. F. G. – La colère, la révolte peuvent constituer une première étape dans ce chemin. Crier vers Dieu, c’est encore prier, rester en relation avec lui. Il y a danger quand la colère à l’égard de Dieu s’enferme sur elle-même, coupant alors la relation avec le Seigneur. La colère laissée à elle-même ne résout rien. Comme un poison, elle ne fait qu’ajouter au mal un autre mal, celui du ressentiment et du désespoir. À la colère peut succéder la résignation. Celle-ci constitue un progrès, dans le sens où elle conduit à une phase moins violente et plus réaliste. Mais elle reste insuffisante : il y manque l’espérance. D’où l’importance de passer de la résignation au consentement. Ici, même si la réalité demeure, la disposition intérieure change. Après avoir pleuré et crié, le cœur commence à s’ouvrir dans la confiance et l’espérance. Il peut alors recevoir la consolation de Dieu. Dans l’humilité et la douceur du consentement, nous commençons à comprendre, comme Job au terme de ses malheurs, que les desseins du Seigneur nous dépassent infiniment et à croire qu’Il peut tirer de tout mal un bien. • Agnès de Gélis

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