La parole des victimes écoutée à St-Luc
Paris Notre-Dame du 9 novembre 2023
Depuis la publication du rapport de la Ciase, la paroisse St-Luc lit tous les vendredis, après la messe de midi, un témoignage de victimes d’abus sexuels commis par des membres d’Église. Une initiative lancée par le curé, le P. Jacques-Henri Justeau, pour « écouter ces personnes qui n’ont pas trouvé l’écoute quand il le fallait ». Reportage.
Bénédiction finale. Certains fidèles de la paroisse St-Luc (19e) se lèvent, empressés. D’autres se mettent à genoux ; d’autres encore, debout. Le curé de la paroisse, le P. Jacques-Henri Justeau, vient juste de prévenir. Il s’apprête à lire au pupitre de la présidence un témoignage de victimes d’abus sexuels commis par un membre d’Église, l’un des nombreux recueillis par la Commission indépendante sur les abus sexuels au sein de l’Église (Ciase) et publiés sous le titre De victimes à témoins [1] concomitamment au rapport final en octobre 2021. Pas de commentaire, aucune fioriture. Le témoignage est lu tel quel, suivi de la prière de dix Je vous salue Marie. Ce vendredi, le témoin – à l’origine du témoignage n° 68 Pas un don mais un dû – parle de réparation financière, comme pouvant être « source d’apaisement et de libération comme amener au désespoir et encore plus de rancœurs ». « Nous ne pouvons pas être redevables de “cet argent-là”, explique-t-il. C’est bien ceux qui nous versent “cet argent-là” qui sont redevables. » Il ajoute : « Plus qu’ailleurs, c’est l’être en profondeur qui est abîmé parce que cela a trait aux valeurs les plus essentielles de la personne. […] Pour réparer cette dimension-là, c’est de la haute chirurgie. »
Nécessaire.
Le P. Justeau lit, tout. C’est étonnant de voir et d’entendre un prêtre lire un témoignage d’une personne victime… d’un autre prêtre. L’idée lui est venue au moment de la publication du rapport, en octobre 2021. Les rapporteurs, derrière le président de la commission, Jean-Marc Sauvé, insistent alors sur l’importance de la parole des personnes victimes dans ce travail de vérité. Sur leur courage et leur rôle nécessaire, voire indispensable. « Ces personnes ont dû surmonter leur souffrance, parfois des sentiments de honte et de culpabilité et, souvent, le déni familial ou ecclésial, pour prendre la parole après des décennies de silence contraint ou d’oubli traumatique, écrit Jean-Marc Sauvé dans l’introduction De victimes à témoins. Ce sont ces personnes qui ont été à l’origine d’une prise de conscience décisive et salutaire sur la réalité des violences sexuelles dans l’Église. »
En entendant cette invitation à lire ces témoignages, le P. Justeau propose de le faire en paroisse. « Certains paroissiens avaient déjà commencé à travailler cette question des abus à l’issue de la publication de la Lettre au peuple de Dieu du pape François en 2018, raconte-t-il. Beaucoup confiaient avoir été profondément touchés par cette lettre. » Tous les vendredis – sauf vacances scolaires – après la messe de midi, le curé propose alors de lire, dans l’ordre, les témoignages publiés par la Ciase. Pas si facile que cela. Pour les fidèles – certains, pour des raisons diverses, ne restent pas. Et pour le curé, aussi. « C’est toujours difficile d’accueillir le mal, explique-t-il. Et puis, en tant que prêtre, uni par le sacerdoce aux autres prêtres, lire ce qu’ont pu faire des confrères, le poids que cela créé chez les personnes victimes, cette blessure qui reste, la difficulté qu’elles ont à s’en libérer, est très dur. » Mais qu’importe, le P. Justeau continue ces lectures. « Cela permet d’entendre, de comprendre. Et c’est une manière d’écouter toutes ces personnes qui n’ont pas trouvé l’écoute quand il le fallait. » Deux ans après la publication du rapport de la Ciase, les témoignages recueillis ont presque tous déjà été lus. Peut-être le moment de les relire ? Et de partager tout cela en paroisse ? Afin que les fidèles puissent, aussi, poser des mots sur ce qu’ils ont entendu et confié.
Isabelle Demangeat @LaZaab
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