Le dernier combat d’un condamné
Paris Notre-Dame du 17 novembre 2022
Le comédien Fitzgerald Berthon propose au théâtre de la Flèche un seul en scène inspiré des derniers moments du prisonnier Jacques Fesch, condamné à mort en 1957 qui se convertit en prison. Mêlant danse et théâtre, ce spectacle est d’une puissance artistique, symbolique et spirituelle, remarquable.
Dès les premiers instants, il y a quelque chose qui saisit. Fitzgerald Berthon a disparu de la scène. Le comédien, connu pour son originalité et sa gouaille, a laissé place à son personnage. Son visage et son corps ont changé. Assis sur une chaise, de profil, le regard au loin, mains sur les genoux, jambes légèrement écartées, Jacques Fesch a incrusté ses traits, il a pris le relais. Jacques Fesch, ce jeune homme exécuté en octobre 1957 pour avoir tué un policier dans un braquage amateur. On connaît plus ou moins l’histoire de ce condamné à mort, l’un des derniers de France. Son amateurisme dans le braquage, cette balle perdue, ce policier tué. Et cette sentence prononcée, comme un couperet, le 6 avril 1957. Jacques Fesch a alors 27 ans, il est marié avec Pierrette et père d’une fille : Véronique. Sa vie s’arrête là. Pas son intériorité. En prison, Jacques Fesch fait la rencontre de Dieu, cette expérience d’une « main puissante qui [le] retourne ». « L’esprit du Seigneur [le] prend à la gorge. » Cette aventure spirituelle, la grande aven¬ture de sa vie, Jacques Fesch la raconte, alors qu’il est incarcéré à la prison de la Santé (14e), dans les nombreuses lettres qu’il écrit dans l’attente de son exécution, le 1er octobre 1957. Publiées par la suite, ces lettres ont souvent ému ses lecteurs, notamment Fitzgerald Berthon.
Un spectacle né d’une proximité et d’une curiosité
Il y a trois ans, le comédien, alors âgé de 36 ans, se plonge dans ces écrits, poussé par un certain désir de comprendre et une proximité. « Comme Jacques Fesch, je suis originaire de St-Germain-en-Laye (Yvelines), explique-t-il aujourd’hui. J’ai donc toujours entendu parler de lui, le dernier condamné à mort de la ville. Je me suis toujours interrogé sur ce gars en me disant que j’aurais pu être ce jeune homme dont la vie bascule du jour au lendemain. » Interpellé par sa rencontre avec le Christ, le comédien décortique le texte et en tire l’idée d’un seul en scène. Son but : « Sortir de l’inconscient collectif de ma ville pour comprendre ce qui s’est vraiment passé, en faire un spectacle pour vivre cette expérience de l’intérieur et la partager. » S’ensuit un travail d’écriture, de mise en scène et de montage, pour aboutir à cette pièce donnée au théâtre de la Flèche (11e) : Dans 5 heures, conversion d’un condamné.
Le rendu est d’une puissance et d’une profondeur remarquables. Par une mise en scène épurée, dénuée d’inutiles fioritures et un jeu d’acteur impressionnant, le combat intérieur de Jacques Fesch prend vie sur scène. Dans un espace de cinq mètres carrés tracés au sol (la superficie d’une cellule de prison), Fitzgerald Berthon crie la détresse d’un homme submergé par son acte posé tel « un automate ». Par des mouvements de danse très bien chorégraphiés, placés et interprétés sur une musique – de Nils Frahm – évocatrice, son corps exprime la violence, la révolte, l’incompréhension, le combat puis l’écroulement… Laissant jaillir alors un cri. « Un appel au secours : mon Dieu ! » Face à l’amour parfait, le condamné a abdiqué.
Isabelle Demangeat @LaZaab
– À voir au Théâtre de Belleville.
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