« Le “Magnificat” est le fil rouge de l’ensemble de ces conférences »
Paris Notre-Dame du 27 février 2025
Du 9 mars au 13 avril, les traditionnelles Conférences de Carême seront données chaque dimanche, à 16h30, à Notre-Dame, et en direct sur France Culture et KTO. Une proposition spirituelle à vivre comme un encouragement vers Pâques. Éléments de présentation avec le P. Henry de Villefranche, chanoine et chapelain de Notre-Dame.

Paris Notre-Dame – Les Conférences de Carême reviennent à Notre-Dame. Que vous inspire ce retour ?
P. Henry de Villefranche – Il est important à plus d’un titre. D’abord, parce que le lien entre le lieu de Notre-Dame et les Conférences de Carême est un lien précieux, qu’il faut mettre en valeur. Ensuite, parce que ce retour peut être aussi l’occasion de repenser ces Conférences de Carême. De même que la parole de Dieu est performative – c’est-à-dire qu’elle n’est pas simplement une doctrine, Dieu parle et il se passe quelque chose –, les Conférences de Carême ne doivent pas simplement être un enseignement, une causerie instructive, mais plutôt un encouragement à vivre le Carême et à nous préparer à Pâques. Enfin, parce que la réouverture nous invite à nous appuyer sur ce qui fait le propre de Notre-Dame – le bâtiment, l’aménagement, le mobilier liturgique, la lumière, le chemin de pèlerinage – pour être vecteur de cet encouragement.
P. N.-D. – Quel est le thème de ces Conférences ?
H. V. – À la demande de l’archevêque, Mgr Laurent Ulrich, la thématique de cette année s’attache à la figure mariale, et plus précisément à revisiter, dans une perspective ecclésiale mais aussi dans celle du Carême, le lien entre la cathédrale et la Vierge Marie. Il nous a semblé pertinent de ressaisir, de manière un peu originale et qui puisse questionner la vie de nos contemporains, les 2 000 ans d’histoire sur la figure de la Vierge Marie, à travers les récits du Nouveau Testament, les représentations iconographiques, la théologie mariale ou encore les célébrations liturgiques... Ces six conférences donnent à voir une figure mariale en chemin, qui accompagne l’humanité, chacun de ses membres, dans son propre itinéraire de perfectionnement et dans sa vocation de baptisé afin de rejoindre au plus près la figure du Christ.
P. N.-D. – Quelle est cette originalité dont vous parlez ?
H. V. – Chaque conférence a été pensée avec une mise en scène ; c’est-à-dire qu’il n’y aura pas simplement quarante minutes de prise de parole, mais également un jeu d’interactions, avec, par exemple, des textes déclamés par des comédiens, des pièces de musique, du chant grégorien, des projections d’images, etc. Même si chaque conférence sera diffusée à la radio – sur France Culture et Radio Notre Dame – et à la télévision – sur KTO –, il y aura un véritable intérêt à venir sur place, parce que le lieu – l’acoustique, la lumière, la grâce de la cathédrale – jouera un rôle propre qui aidera à recevoir cet encouragement.
P. N.-D. – Quel sont les étapes de ces six conférences ?
H. V. – Le Magnificat est, en quelque sorte, le fil rouge de l’ensemble des conférences. La première, donnée par la philosophe Laurence Devillairs, développera justement le Magnificat comme étant l’Évangile de Marie, c’est-à-dire la manière dont Marie entre dans le plan de Dieu et, par l’expression très personnelle de son adhésion, nous apprend à prier. C’est une prière dont on ne saisit pas toujours la vigueur conceptuelle, avec notamment la mise en valeur d’une spécialité de Dieu tout au long de sa Révélation, qui est de renverser les situations : les riches deviennent pauvres, les pauvres deviennent riches, les affamés sont repus et les repus sont dans la misère. Ce renversement de situation nous conduit déjà vers la mort et la résurrection de Jésus. C’est l’évangile de Dieu qui se révèle à travers cette prière. Mais Dieu ne le fait pas tout seul, il implique l’humanité, et Marie représente précisément cette humanité.
P. N.-D. – La seconde conférence évoque aussi le Magnificat, mais par le prisme de la musique…
H. V. – Sylvain Dieudonné s’appuiera en effet sur la tradition du chant grégorien à Notre-Dame pour proposer une sorte d’itinéraire spirituel, afin d’identifier, à travers quelques pièces de chant grégorien liées au Carême, à la Semaine sainte ou la figure de Marie, comment le chant vient accompagner, éclairer, identifier le véritable chemin de Jésus dans sa Pâque. Par exemple, dans la tradition de Notre-Dame, au début de la Semaine sainte, on chante Tota pulchra es, Maria (Tu es toute belle, Marie), une pièce qui introduit à la Semaine sainte durant laquelle Jésus va être défiguré, et dont Marie est un témoin privilégié. À travers les apparences de la désolation, elle voit, pour elle et pour nous, l’espérance d’une Résurrection. Elle porte vraiment la foi de l’Église. Et par là même, elle est toujours la Vierge du Magnificat. Le conférencier confrontera justement cette Vierge de la Semaine sainte avec celle de l’Annonciation, de la Visitation et donc du Magnificat – puisque c’est à ce moment-là qu’il est chanté –, pour montrer comment Marie nous apprend à entrer dans la gloire du crucifié comme dans l’humiliation du ressuscité.
P. N.-D. – On poursuit en musique pour la troisième conférence…
H. V. – En effet, puisque le conférencier, Éric Lebrun, est organiste. Il nous fera suivre un itinéraire historique et spirituel sur le répertoire, et nous apprendra véritablement à écouter la voix de l’orgue. L’orgue n’est pas simplement un instrument qui accompagne une prière ou un texte, mais une voix qui prie et nous apprend à prier, au service d’une Parole qui nous encourage à entrer dans le mystère pascal du Christ. Et l’évolution du répertoire d’orgue, analysé par Éric Lebrun et soutenu par le jeu d’Olivier Latry, nous initiera justement à cette écoute.
P. N.-D. – Et pour la quatrième conférence ?
H. V. – Le P. Gilles Drouin, théologien, reprendra l’espace liturgique dans son aménagement contemporain, pour, là encore, nous faire suivre un itinéraire spirituel autour de la figure mariale, ce qui permettra de se familiariser aussi bien avec les aménagements de Notre-Dame qu’avec les finesses de la liturgie dans son orientation mariale, en prenant conscience, par exemple, de la place importante de la Vierge Marie dans l’œuvre du Salut. Les grands personnages de l’Ancien Testament – à qui sont dédiées les chapelles de l’allée de la promesse – annoncent autant Jésus qu’ils annoncent en même temps la figure mariale.
P. N.-D. – La cinquième conférence s’attarde davantage sur la figure de la Stabat mater…
H. V. – Sr Anne Lécu, dominicaine, s’attachera à la figure de la mère et de l’enfant pour en montrer le côté très aventureux et très complexe, avec un échange très profond entre l’amour humain et l’amour divin. Elle soulignera comment les anges – qui interviennent dans l’annonciation ou dans l’iconographie mariale – sont utiles pour nous mener à la réalité de l’échange très vivant, très vivifiant, de ces deux amours, l’amour de Dieu et l’amour humain. Elle montrera aussi combien la relation d’une mère avec son enfant peut s’avérer quelque chose de très aventureux, très risqué, ce qui permettra d’aborder la notion, dans la vie chrétienne, de combat spirituel. Cet aspect culminera avec la dernière conférence, par Régis Burnet, théologien et journaliste, qui s’attardera sur la figure de la femme dans le chapitre XII de l’Apocalypse. C’est une femme active, combattante, persécutée – et cela fait écho encore au combat spirituel – qui s’offre avec générosité avant d’aboutir à une victoire qui rayonne de la grâce du Christ sur le monde entier. C’est aussi une figure extrêmement complexe puisqu’il s’agit à la fois d’une figure collective liée à Ève, donc à l’humanité toute entière, et de la figure singulière et personnelle de la Vierge Marie. Cette dualité est importante : il faut pouvoir honorer la dimension personnelle et collective de chacun. On n’a pas à sacrifier ni l’individu, ni la collectivité. C’est un assemblage qui est subtil, mais dont précisément le mystère de l’Incarnation est une clef. Jésus partage la condition humaine et la condition divine ; il est quelqu’un, et, en même temps, il est la tête d’un corps tout entier. La sagesse chrétienne apprend à vivre ces deux dimensions, à ne rien sacrifier des différentes composantes de l’humanité. Et Notre-Dame porte ce message, le crie même très fort, avec une esthétique extraordinaire.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud

Sommaire
Consulter ce numéro
Acheter ce numéro 1 € en ligne sur les applications iOs et Android