Méditation pour le Jeudi saint : L’offrande du cœur
« Ce qui intéresse Jésus, au fond, c’est que nous cherchons en ces jours, “l’unique nécessaire”, ce lien vital à la Vie véritable, la joie profonde d’exister, de se consacrer au présent, de se livrer sans réserve à ses amis, de s’offrir au Père. Là est le mouvement de la vie véritable. » Une méditation de Mgr Alexis Leproux, vicaire général du diocèse de Paris, pour entrer dans le mystère de la Passion.
Il est là, au soir de sa vie, à l’heure de passer de ce monde à son Père. Il veut, comme il en a l’expérience, aimer les siens qui sont dans le monde et les aimer jusqu’au bout. C’est ce qu’il a toujours fait, aimer en vérité, aimer vraiment pour ne pas perdre une minute de sa vie sans la goûter pleinement. Il a choisi ce style de vie depuis longtemps, un style sobre et simple, une manière d’être profonde et paisible. Depuis son plus jeune âge, il observe le monde et ses remous, il entend parler des empires et de leurs révoltes. Il a grandi en Galilée, carrefour des nations, apprenant à aimer Jérusalem, se préparant à donner sa vie pour son peuple : « Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon père ? » (Lc 2). Il scrute les Saintes Écritures et travaille, échappant aux agitations de l’histoire, à ces mouvements incessants des hommes inquiets. Il ne s’est pas retiré du monde pour en fuir les peines ou les épreuves. Il a simplement décidé de vivre comme s’il voyait l’invisible, pour ne pas se perdre dans le flot des soucis qui nous volent notre vie et nous laisse le cœur vide.
Ce qui l’intéresse au fond, c’est que nous cherchons en ces jours, « l’unique nécessaire », ce lien vital à la Vie véritable, la joie profonde d’exister, de se consacrer au présent, de se livrer sans réserve à ses amis, de s’offrir au Père. Là est le mouvement de la vie véritable. Pourquoi vivre encore comme des hamsters qui font tourner une roue à en devenir fou ? Pourquoi se laisser piéger par un temps qui s’épuise au rythme insensé du métro, du boulot et du dodo ? Nous voici à l’arrêt, comme pétrifiés sur nos grands axes économiques. Nous voici à l’arrêt, comme terrifiés par la mort à nos portes. Mais que faisons-nous ainsi terrassés par l’adversaire ? Regardons-le se donner à nous, en ce jour béni de sa très sainte eucharistie. Regardons-le s’offrir en ce reposoir où chacun, seul dans sa demeure, se retrouve dans son jardin secret.
Une seule chose est nécessaire, choisissons-la ! L’art de goûter intérieurement les choses, l’art d’habiter le geste insignifiant de l’inouï d’un amour éternel. Cet art, sage entre tous, transfigure tout. Par l’amour pur qui jaillit en source vive, la vie n’est jamais enfermée, jamais confinée : « Ceci est mon corps livré pour vous, faites cela en mémoire de moi ». Chaque prêtre, en cette veillée sainte, célèbre la messe en s’offrant lui-même avec le Fils qui s’offre à son Père. Il porte dans son offrande celle des enfants et de leurs parents, celle des mourants et de leurs proches, celle des soignants et de leurs patients. Il consacre le pain et le vin, sacrement de l’amour infini qui illumine notre fragile humanité en chemin sur la terre. Le ciel n’est jamais loin, on s’y trouve déjà, non dans la claire vision, mais dans la foi, dans le secret, dans l’adoration, unis à Dieu.