Mot d’accueil et Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe pour la Paix et les Chrétiens du Moyen Orient à ND – 2e Dimanche de l’Avent – Année B
Dimanche 7 décembre 2014 - Notre-Dame de Paris
La foi des chrétiens est éprouvée dans le temps de façon permanente, parfois de manière violente, et de toutes façons elle se conforte au temps de l’attente du retour du Christ dans la gloire. Ce temps exprime la patience de Dieu à notre égard, temps de grâce qui nous est offert pour nous convertir et préparer les chemins du Seigneur.
Ouverture du cardinal André Vingt-Trois
Frères et Sœurs,
Je suis heureux de vous accueillir ce soir, vous qui avez répondu à mon invitation de célébrer cette messe pour implorer de Dieu qu’il donne la paix aux hommes, à tous les hommes, de tous les pays dans le monde entier, mais plus particulièrement aussi la paix au Proche Orient et la paix pour nos frères chrétiens d’Orient. Je vous remercie d’avoir répondu à cette invitation, comme je remercie celles et ceux qui s’unissent à notre prière grâce à KTO ou à Radio Notre-Dame.
Je suis heureux de pouvoir accueillir des représentants des Églises orientales en France. Certains et certaines sont au milieu de vous, et vous voyez derrière moi des diacres, des prêtres de ces Églises orientales, et en particulier Mgr Teyrouz qui est Exarque des Arméniens en France, et Mgr Yousif Thomas Mirkis qui est archevêque des Chaldéens de Kirkouk et de Souleymanieh en Irak. Avec eux ce sont toutes ces églises chrétiennes de l’Orient qui sont présentes à notre célébration, et je voudrais simplement, en évoquant le voyage du cardinal Barbarin ce week-end, vous partager quelques phrases du message que le Pape a adressé par lui aux chrétiens en Orient.
Lecture du message du 6 décembre du Pape François aux Chrétiens d’Irak (Traduction diocèse de Lyon)
[…]
« Il semble que ces gens ne veuillent pas que nous soyons Chrétiens. Mais vous, vous rendez témoignage au Christ. Je pense aux blessures et à la douleur des mères avec leurs enfants, des personnes âgées et des réfugiés, aux personnes victimes de toute sorte de violence. Comme je l’ai rappelé à Ankara, une préoccupation particulière tient au fait que c’est surtout par la faute d’un groupe extrémiste et fondamentaliste que ces communautés, spécialement les Chrétiens et les Yézidis, mais d’autres également, sont parties, et que toutes sont victimes de violences inhumaines, à cause de leur identité ethnique et religieuse. Chrétiens et Yézidis ont été expulsés de leurs maisons par la force, ont dû tout abandonner pour sauver leur propre vie sans renier leur foi. La violence s’en est prise aussi aux lieux saints, aux monuments, aux symboles religieux et au patrimoine culturel, comme si ces chefs religieux voulaient effacer toute trace, toute mémoire de l’autre.
Nous avons l’obligation de dénoncer toutes les violations de la dignité et des droits de l’homme. Et moi, aujourd’hui, je voudrais me rendre plus proche de vous, qui portez cette souffrance, et être avec vous. »
Grâce à Dieu dans la communion des saints, nous pouvons partager ce désir du Pape et nous porter par la prière en proximité avec toutes celles et tous ceux qui souffrent aujourd’hui au nom de la foi.
Homélie
– Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 84,9-14 ; 2 P 3,8-14 ; Mc 1,1-8
Frères et Sœurs,
La foi des chrétiens est confrontée à diverses épreuves tout au long de l’histoire, de l’Évangile jusqu’à notre temps. Nous prions ce soir en communion avec nos frères des Églises d’Orient dont on pourrait dire malheureusement qu’ils sont une nouvelle fois soumis à une épreuve très dure, car ce n’est pas la première fois, même si la forme de l’épreuve est chaque fois différente. Mais d’une certaine façon nous pouvons, en pensant à eux et en regardant l’épreuve qui leur est imposée, éclairer la condition de tous les chrétiens à travers les temps de l’histoire. Car l’épreuve de la foi est permanente et pour tous, même si elle ne prend pas une forme violente, comme c’est le cas ici, dans tous les pays et à tous les moments de l’histoire.
Nous sommes confrontés à cette question incontournable : pourquoi donc faut-il que ce temps dure si longtemps ? On pouvait penser qu’avec l’incarnation du Fils de Dieu dans l’histoire des hommes, les temps étaient achevés et que l’on pouvait décréter la fin de l’histoire avec plus de motifs que n’en avaient les philosophes modernes qui se sont risqués à cette déclaration. Les premières communautés chrétiennes attendaient le retour du Christ pour un proche avenir, ils ne pouvaient pas imaginer qu’il y aurait encore quelque chose à faire. Ils pensaient qu’avec la mort et la résurrection de Jésus, tout était accompli et que l’on pouvait fermer le théâtre des événements. Il a fallu des années et des siècles pour que, peu à peu, les chrétiens comprennent que ce retour du Christ ne serait, non seulement pas dans un proche avenir, mais serait même dans un avenir indéfini, puisque nul n’en connaît ni le jour, ni l’heure, ni le lieu. C’est une des formes de l’épreuve de la foi de savoir que nous nous préparons perpétuellement à accueillir quelqu’un qui ne vient pas et il faut bien essayer de comprendre ce que nous vivons. La deuxième épître de Pierre nous donne un élément de réflexion, en nous faisant toucher du doigt comment les choses n’ont pas le même sens selon qu’on les regarde à partir de Dieu ou selon notre point de vue : « Pour Dieu, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour » (2 P 3,8). Quelle façon plus simple et lapidaire d’exprimer l’éternité de Dieu qui se situe hors de la durée ? Quelle différence avec nous qui passons notre temps à compter les années qui s’écoulent, et qui sommes inévitablement inscrits dans ce déroulement, non seulement de notre existence personnelle mais dans le déroulement de l’histoire des hommes qui constitue une durée ! Nous pouvons comprendre que cette différence de point de vue, entre Dieu pour qui tout est présent en un instant et nous qui découvrons la réalité dans la progression et le développement temporel, nous aide à comprendre le sens de cette histoire humaine. Elle n’est pas le fruit d’un retard de la part de Dieu, comme dit saint Pierre – il ne peut pas y avoir de retard là où il n’y a pas de durée – elle n’est pas le fruit d’une absence, d’un oubli, d’une négligence. Elle doit avoir un autre sens, et Pierre nous donne une proposition pour comprendre le sens de ce temps. Dieu prend patience envers nous car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre mais il veut que tous parviennent à la conversion.
Ces siècles qui nous séparent de l’Ascension du Christ, et les siècles à venir dont nous ne connaissons pas le nombre, nous acheminent vers son retour glorieux, ne sont pas simplement un temps mort, un temps inutile, un temps dangereux, un temps risqué. C’est d’abord le temps de la patience de Dieu à notre égard, à l’égard de chacun d’entre nous.
Vous vous rappelez peut-être cette parabole de l’évangile (Lc 13,6-9) où Jésus parle d’un maître qui rentre, visite son domaine, et passe devant un figuier qui ne donne pas de fruit. Il dit à son intendant : arrache-le et débarrassons-nous en, on n’a pas besoin d’arbre stérile. L’intendant lui dit : Seigneur, donne-moi encore une année que je puisse m’en occuper et peut-être, il donnera du fruit. Eh bien nous sommes, à tout moment, dans cette année supplémentaire. Tout aurait pu s’arrêter l’année dernière, mais nous avons une année de plus, une année de grâces, une année de répit pour que les immenses richesses que nous avons reçues puissent porter du fruit dans chacune de nos vies, mais aussi dans la vie de notre Église et dans la vie de l’humanité. Un temps de grâce pour nous convertir, pour laisser tracer en nous ce chemin par lequel le Seigneur va venir, pour redresser ce qui est tordu, araser ce qui dépasse, travailler la terre de notre cœur pour mettre à jour ses richesses ; une année pour que, peut-être, si nous sommes assez fidèles à la Parole de Dieu et au témoignage que nous lui devons, même les impies les plus horribles puissent faire retour sur eux-mêmes et prendre conscience de leur qualité d’êtres humains. Une année de conversion que nous devons annoncer avec confiance et avec espérance, comme j’y ai invité le diocèse de Paris pour cet Avent 2014 et pour l’année qui suit. Une année de la mission où nous annonçons cette espérance, le temps que nous vivons, quelles que soient les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, quelles que soient les épreuves qui nous touchent, que ce soit par la maladie, par la guerre, par la persécution, quelle que soit l’œuvre de mort qui travaille la nature humaine. Cette année est pour nous une année de grâce et nous voulons mettre en Dieu notre confiance : il n’abandonnera pas son peuple, il ne le laissera pas périr, il le relèvera, il le soignera comme une brebis blessée, comme nous dit le prophète Isaïe, et il ouvrira dans l’histoire des hommes les chemins du Salut.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.