« Notre conscience nous adresse un appel personnel »
Paris Notre-Dame du 6 février 2014
P. N.-D. – Vous venez de donner une conférence à l’Unesco (7e) intitulée « À l’écoute de ma voix intérieure ». Qu’entendez-vous par « voix intérieure » ?
Jean Vanier – C’est de l’ordre de la conscience, un sentiment intérieur qui se traduit par une attraction vers quelque chose de nouveau, qu’on ne comprend pas forcément très bien, mais qu’on sait devoir faire. Cela touche aux notions de justice, de vérité et d’amour. Le bienheureux cardinal Newman parle d’un mouvement qui vient de la nature ou de la grâce. C’est très profond, comme une sorte d’attirance de Dieu, vers une plénitude. Et dans l’histoire, heureusement, beaucoup d’hommes et de femmes ont écouté leur petite voix intérieure, par exemple des personnes comme Sophie Scholl face à Hitler en Allemagne.
P. N.-D. - Vous évoquez la lutte contre le nazisme. Mais cette « voix intérieure » concerne-t-elle seulement de grands combats comme celui-là ?
Jean Vanier – Sentir ce qui est droit et juste, c’est pour chaque jour ! Dans l’Apocalypse, le Seigneur dit « je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Ap 3,20) Il s’agit de se mettre en présence de Dieu et de faire ce qu’Il veut. C’est s’engager sur une voie où l’on aime les gens. Cela ne veut pas dire simplement leur « faire du bien », mais leur révéler qu’ils ont une valeur, qu’ils sont importants, qu’ils ont en eux un trésor.
P. N.-D. - En quoi les personnes plus fragiles nous aident-elles à répondre à cet appel ?
Jean Vanier – Une personne avec un handicap nous invite toujours à être dans la vérité de la relation. Dans une société où il y a la banalisation du mal, on ne sait plus distinguer le vrai du faux. Sur des questions comme l’avortement, la sexualité, etc., les gens sont un peu perdus et ne savent plus ce que c’est qu’être humain. Nous sommes dans un monde où on divise les bons et les mauvais, les capables et les incapables…Dans une société où il faut gagner, on met très vite les faibles dans des cases. Alors quand quelqu’un a un choc en voyant ce qu’il y a de profondément faux dans tout cela et veut réagir, il peut trouver autre chose.
P. N.-D. - Est-ce un chemin de bonheur ?
Jean Vanier – Dès qu’on veut faire le bien, on est heureux ! Quand on cherche uniquement le plaisir, à être comme tout le monde, on perd sa liberté, on n’est plus unique. Notre « petite voix », elle, nous rend unique : notre conscience nous adresse à tous un appel personnel. Et quand l’Esprit saint s’y mêle, c’est là que nous savons que Jésus est venu pour faire de nous des hommes et des femmes libres qui œuvrent pour la justice et l’amour. Et c’est là qu’on est heureux : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète », dit Jésus à ses disciples (Jn 15,11). Beaucoup de gens ne savent pas très bien quel est le sens de leur vie. C’est dans l’amour qu’on le trouve. • Propos recueillis par Pierre-Louis Lensel