« Nous n’insultons pas la raison en nous inclinant devant la sainte tunique »
Paris Notre-Dame du 17 octobre 2024
La basilique St-Denys d’Argenteuil conserve l’une des reliques de la Passion, la sainte tunique du Christ. Rencontre avec le P. Guy-Emmanuel Cariot, recteur de la basilique, qui participe le 5 novembre, à l’Espace Bernanos, à une soirée organisée autour de cette relique qui continue de fasciner croyants, historiens et scientifiques.
Paris Notre-Dame – Qu’est-ce que la tunique d’Argenteuil ?
P. Guy-Emmanuel Cariot – La sainte tunique du Christ est réputée être celle portée par Jésus pendant la Cène, son agonie à Gethsémani, sa comparution devant Pilate, sa condamnation à mort, son couronnement d’épines et, bien sûr, son chemin de croix ; le vêtement dont parle saint Jean : « Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : “Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura.” Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats » (Jn 19, 23- 24). Nous sommes à quelques versets seulement de la mort de Jésus, et saint Jean, de manière assez étonnante, prend le temps de s’arrêter sur les vêtements du Christ, comme pour mieux souligner le dépouillement dans lequel il est plongé.
P. N.-D. – Quand et comment est-elle arrivée en France, à Argenteuil ?
G.-E. C. – L’hypothèse la plus plausible est qu’elle ait été récupérée – sans doute par la Vierge Marie, saint Jean ou saint Pierre – auprès du soldat qui l’avait gagnée. J’aime à penser qu’il s’agit d’une initiative de Marie qui savait mieux que quiconque ce que son Fils avait accompli sur la Croix et que cet habit était un signe éminent de sa Passion. La tradition rapporte que, jusqu’au IVe siècle, elle fut cachée, par les premiers chrétiens persécutés, à Jaffa [dans l’actuel Israël, NDLR]. Redécouverte au Ve siècle, elle fut rapportée en procession à Jérusalem. Au VIIe siècle, face aux invasions perses et musulmanes, de nombreuses reliques furent emportées en terre chrétienne et c’est ainsi que la sainte tunique arriva à Constantinople [dans l’actuelle Turquie, NDLR]. Deux siècles plus tard, Irène, impératrice d’Orient, l’offrit comme cadeau diplomatique au nouvel empereur Charlemagne. Ce dernier décida de confier la précieuse relique à l’abbaye N.-D. d’Argenteuil dont sa propre fille était la prieure. La sainte tunique n’en bougera plus. Cachée dans un pilier de l’église pendant les invasions vikings, redécouverte deux siècles plus tard, découpée en plusieurs morceaux par le curé d’Argenteuil lors de la Terreur pour qu’ils soient enterrés ou confiés à des paroissiens, rassemblés à la fin de la Révolution française et recousus au XIXe siècle… la tunique, avec son histoire mouvementée, reste intimement liée à notre ville.
P. N.-D. – À quoi ressemble-t-elle aujourd’hui ?
G.-E. C. – Cette tunique en laine de couleur brun rouge – qui ressemble à une dalmatique de diacre très fine – est en partie amputée à la suite de la découpe durant la Révolution et de dons à des seigneurs, diocèses et monastères au fil des siècles. Environ un tiers est toujours manquant. À la fin du XIXe siècle, elle a été remontée sur un support en tissu, dans la position originelle supposée. Bien qu’il manque une grande partie des pièces du devant, nous avons l’intégralité du dos de la tunique.
P. N.-D. – Quelles sont les preuves scientifiques de son appartenance au Christ ? Que disent les derniers examens ?
G.-E. C. – Si nous ne pourrons jamais avoir de preuves, la science souligne cependant de nombreux éléments d’authenticité. Son tissage est, par exemple, compatible avec ceux du premier siècle.Pas moins de sept pollens retrouvés dans les fibres du tissu sont communs avec le linceul de Turin et le suaire d’Oviedo, deux autres reliques attribuées à la Passion du Christ. Deux de ces pollens – le tamarin et le pistachier – fleurissent en mars-avril à Jérusalem, soit à l’époque de la mort de Jésus. De la terre de Jérusalem a également été retrouvée. Le plus extraordinaire est que le sang retrouvé sur la tunique est du même groupe sanguin – AB – que ceux du linceul de Turin et du suaire d’Oviedo. Il est de ce fait impensable d’imaginer qu’il s’agit de l’œuvre de faussaires à une époque où les groupes sanguins étaient, bien entendu, totalement inconnus. Sur la base de tous ces éléments, nous n’insultons pas la raison en nous inclinant devant la tunique d’Argenteuil.
P. N.-D. – Une grande ostension aura lieu à l’occasion du jubilé 2025, du Vendredi saint 18 avril au 11 mai. La dernière ostension remontait à 2016 à l’occasion de l’Année de la miséricorde. Quel est le sens spirituel d’une telle démarche ?
G.-E. C. – Habituellement conservée à l’abri dans un reliquaire, la sainte tunique sera déroulée et exposée au public, sur décision de Mgr Stanislas Lalanne, alors évêque de Pontoise (Val-d’Oise) et, à ce titre, « gardien de la sainte tunique ». Christ m’a aimé & s’est livré pour moi, tel est le thème de cette ostension et nous souhaitons que chacun puisse, en s’approchant de cette relique de la Passion, faire l’expérience de l’amour du Christ pour lui par le biais de la vénération de ce vêtement gorgé de sang. La grâce de la sainte tunique du Christ est la paix du cœur. Même en dehors des ostensions, en approchant seulement du reliquaire, j’ai observé des centaines voire des milliers de personnes arriver en guerre en leur for intérieur et repartir en paix. Dès le IIIe siècle, saint Cyprien de Carthage a fait de cette relique un symbole d’unité parce qu’il s’agit d’un vêtement sans couture. Même abîmée, même découpée au fil des siècles, elle reste le signe de cette unité que nous devons rechercher en Dieu. Nous vivrons d’ailleurs à cette occasion une célébration œcuménique pour commémorer l’anniversaire du Concile de Nicée, en 325. Près de 400 000 personnes sont attendues au cours de cette ostension, parmi lesquelles l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, invité par Mgr Benoît Bertrand, évêque de Pontoise, à présider la messe du samedi 10 mai, veille de la fin de l’ostension, à la basilique d’Argenteuil.
Propos recueillis par Mathilde Rambaud
Revêtir le Christ. Sept méditations devant la sainte tunique, P. Guy-Emmanuel Cariot, Mame, 2021,
120 p., 12,90 €.
Pour découvrir le programme de l’ostension 2025
saintetunique.com
La sainte tunique d’Argenteuil
Mardi 5 novembre, 20h30 ; Espace Bernanos – 4, rue du Havre, 9e. Avec Jean-Christian Petitfils, auteur de La sainte tunique d’Argenteuil (Tallandier), le P. Guy-Emmanuel Cariot, recteur de la basilique St-Denys d’Argenteuil et Thibault Dary, éditeur de la BD L’épopée de la sainte tunique (à paraître aux éd. du Triomphe).
Tarif : 5€. Inscriptions sur espace-bernanos.com
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