Ouverture et homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la messe d’action de grâce pour la béatification de Mgr Vladimir Ghika, prêtre de Paris – 27e dimanche du Temps Ordinaire - Année C

Dimanche 6 octobre 2013 - Notre-Dame de Paris

La béatification de Mgr Ghika est l’occasion de rendre grâce à Dieu qui nous a donné à travers cette figure un signe perceptible de la jouissance de la foi, de la grâce, de l’Esprit de Dieu au cœur de l’homme. C’est la foi qui lui a permis d’offrir sa vie en sacrifice.

Ouverture

Frères et Sœurs,

Nous sommes rassemblés ce soir d’abord et avant tout pour célébrer le jour du Seigneur, le jour de la Résurrection du Christ, mais en ce dimanche notre prière est habitée par l’action de grâce que nous voulons rendre à Dieu pour la béatification de Monseigneur Vladimir Ghika, béatifié à Bucarest le 31 août dernier. Mgr Ghika a été ordonné prêtre pour le diocèse de Paris et il est resté toujours très attaché à sa mission dans le diocèse, pratiquement jusqu’au commencement de la Seconde Guerre mondiale, époque à laquelle il a rejoint son pays, dans lequel il a voulu rester pour partager les souffrances de son peuple.

Nous sommes heureux ce soir que vous soyez aussi nombreux pour cette action de grâce pour la béatification de Mgr Ghika. Je suis heureux d’accueillir les personnalités qui se sont rassemblées à cette occasion, de l’ambassade de Roumanie, de la famille de Mgr Ghika, et vous tous, frères et sœurs, qui êtes ici. Je salue particulièrement la délégation venue de Bucarest avec le curé de la cathédrale de Bucarest qui va concélébrer cette eucharistie avec moi.

Quand nous considérons le témoignage rendu par Mgr Ghika, nous sommes pénétrés de la faiblesse de notre propre vie et c’est donc en nous reconnaissant pécheurs que nous ouvrons cette eucharistie.

Homélie

 Ha 1, 2-3 et 2, 2-4 ; Ps 94, 1-2.6-9 ; 2 Tm 1, 6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10

Frères et Sœurs,

Quand les apôtres adressent au Seigneur cette prière « augmente en nous la foi ! » (Lc 17, 5), ils expriment sans doute le sentiment qu’ils éprouvent de l’écart entre les objectifs du chemin tel que Jésus les a présentés au long de son trajet avec eux et leur propre capacité. Comment pourrions-nous, comment oserions-nous entrer dans ce chemin du Christ ? Comment oserions-nous croire qu’il nous le demande vraiment, à nous qui nous éprouvons si laborieux et si faibles dans la foi ? Ainsi nous comprenons que les apôtres demandent au Christ de leur donner la foi et de la faire grandir. Mais ne nous y trompons pas, et l’année que nous venons de vivre comme Année de la foi, qui va se terminer dans quelques semaines, a été une occasion pour tous les chrétiens à travers le monde d’approfondir à nouveau le sens de la foi, ce qui signifie croire en Dieu, et une occasion pour eux de mieux comprendre qu’il ne s’agit pas de l’importance ou de la force du sentiment d’être croyants. La foi c’est : « je mets ma confiance dans celui qui ne peut pas tromper ». Ce n’est pas une question d’importance telle que je la mesurerais comme s’il s’agissait d’une force physique ou d’une force dynamique ! La foi, si nous en avons gros comme une petite graine de moutarde -la plus petite de toutes les graines- peut bouleverser le monde et changer notre vie. Pourquoi ? Parce que la foi, c’est la certitude que ce qui crée un monde nouveau, ce n’est pas ce que nous faisons, c’est ce que Dieu fait. Nous devons et nous essayons de nous donner du mal pour mettre en œuvre des actions, des initiatives, des efforts estimables, mais tout cela ne sert à rien si ce n’est pas la puissance de Dieu qui est à l’œuvre et qui donne sa pleine dimension à l’action que nous menons. Nous sommes des serviteurs quelconques, nous faisons ce que nous avons à faire, mais nous ne sommes ni la source, ni la puissance capable de toucher le monde.

C’est la foi qui peut transformer le cœur des hommes et faire advenir un monde nouveau. Cette expérience de la foi, la vie toute entière de Mgr Ghika en a été comme une illustration, tout au long de sa vie. Jeune homme, puis adulte, il a cherché à mieux connaître Dieu, à mieux le servir et à mieux le reconnaître à travers le visage des pauvres. Toute sa vie a été conduite par cette certitude que Dieu seul ne déçoit pas. Et s’il a pu vivre des événements relativement exceptionnels, soit en raison de son origine, soit en raison des circonstances dans lesquelles il a été plongé par l’histoire, nous découvrons que le véritable cœur de son action apparaît quand il s’est mis totalement au service de ses frères, que ce soit en répondant à des appels divers à travers le monde, que ce soit en accompagnant des hommes et des femmes qui cherchaient la voix du Seigneur et pour qui il a été un guide. Que ce soit encore pendant la période où il a vécu à Villejuif au milieu des plus pauvres de l’époque, que ce soit quand il est rentré en Roumanie au moment de la Deuxième guerre mondiale et décidé d’y rester après l’avènement du régime communiste, mesurant bien que ses frères, ses compatriotes, traverseraient une période éprouvante et qu’ils auraient besoin dans cette épreuve d’avoir auprès d’eux, non pas des hommes exceptionnels mais des hommes enracinés dans la foi et convaincus que Dieu seul peut changer le monde et que toutes les entreprises qui veulent changer le monde sans Lui sont vouées à l’échec. Ce témoignage, il l’a payé de sa vie, il a rendu témoignage par le martyre. Tous ne sont pas appelés à rendre témoignage par le martyre, mais tous sont appelés à fonder leur vie sur la même conviction : la puissance de Dieu peut agir en chacune de nos existences, même si nous n’avons pas conscience d’être de grands croyants, même si nous avons beaucoup de questions qui habitent notre cœur, même si nous mesurons avec inquiétude les faiblesses de notre liberté ou les faiblesses de notre vie tout simplement. Nous savons que la graine de la foi, si petite soit-elle, peut transporter les arbres et les planter dans la mer, c’est-à-dire réaliser l’impossible.

Cette confiance que Dieu est le « maître de l’impossible », est la source non seulement de notre persévérance, mais encore la source de notre joie et de notre sérénité. Encore faut-il, comme saint Paul le rappelle à Timothée, que nous n’oublions pas le don reçu par l’imposition des mains au moment du baptême et de la confirmation. Cette plénitude de l’Esprit Saint qui vient habiter notre cœur et qui transforme en effet les dons et les faiblesses que nous avons pour les mettre au service de l’œuvre de Dieu, encore faut-il que nous soyons conscients que cet Esprit de Dieu qui nous habite n’est pas un esprit de peur mais un esprit de force, d’amour et de raison. Encore faut-il que nous n’ayons pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur et que nous n’ayons pas honte de ceux qui nous ont transmis la foi.

Frères et sœurs, en faisant mémoire du bienheureux Vladimir Ghika, nous rendons grâce à Dieu qui nous a donné à travers lui un signe perceptible de cette puissance de la foi, de cette puissance de la grâce, de cette puissance de l’Esprit de Dieu au cœur de l’homme. Nous rendons grâce pour sa fidélité à l’amour de Dieu, pour sa fidélité à l’amour des pauvres, pour sa disponibilité totale, pour le don qu’il a fait délibérément de sa vie en acceptant de rester offert en sacrifice. Que Dieu nous donne de puiser dans cet exemple, la certitude que chacune et chacun d’entre nous peut devenir un vrai dépositaire de l’Évangile et un vrai témoin de la foi.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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