Protéger nos enfants de la pornographie
Paris Notre-Dame du 24 mai 2018
La pornographie n’a jamais été aussi facile d’accès. Le développement d’internet et l’arrivée des smartphones lui ont permis d’entrer très tôt dans les chambres des adolescents. Alors que les pouvoirs publics tardent à réagir, l’Église s’est emparée – récemment mais résolument – de ce phénomène.
Il suffit d’un téléphone mobile, et les images circulent de main en main dans la cour de l’école. C’est ainsi que le fils d’Anne-Charlotte est devenu accro. Il avait 11 ans, « l’âge où un garçon n’a pas la solidité intérieure pour affronter ces images, se souvient-elle. Et quand on réalise que son enfant est tombé dans cette addiction, on se sent très seul et très petit en tant que parent. » Les chiffres sont glaçants : aujourd’hui, 80% des garçons sont exposés à la pornographie avant l’âge de 14 ans, 50% avant l’âge de 12 ans [1]. Une surexposition que la plupart des parents sous-estiment. Le danger est donc réel. Heureusement, tous les jeunes ne deviennent pas dépendants. « Il faut bien distinguer l’usage de la pornographie et l’addiction, qui sont deux choses différentes, souligne le Pr Pauline de Vaux, psychiatre, qui voit passer dans son cabinet de nombreux patients souffrant de cette addiction. Ce sont les plus fragiles qui tombent dans la dépendance. Pour les autres, les conséquences varient en fonction de l’âge : vers 11 ans, l’enfant est dans une phase de latence de sa sexualité et ces images peuvent provoquer de vrais dégâts – trauma psychique, troubles du comportement, échec scolaire, etc. Chez l’adolescent, les conséquences sont différentes. Ces images, si elles sont moins traumatisantes, vont le pousser à se comparer, lui donner des complexes et le culpabiliser. Pollués par ces images, les ados ne savent plus comment s’aborder, se parler. Cela abîme la relation homme-femme. » Ce sont ces jeunes, devenus adultes, qu’Olivier Florant reçoit dans son cabinet. « Il y a dix ans, j’ai vu arriver mes premiers patients souffrant de porno-dépendance, raconte ce sexologue chrétien, conseiller conjugal du Cler. Et puis, un curé parisien m’a sollicité. Il souhaitait que je vienne former ses prêtres, car 25% des hommes qu’ils entendaient en confession avaient un problème avec cela. » Si ce phénomène a pris une telle ampleur, c’est aussi parce que, pour beaucoup de jeunes, la pornographie est leur unique éducation à la sexualité. « Et ce qui est terrible, ajoute-t-il, c’est que même les filles pensent que c’est ce qu’il faut faire pour plaire aux garçons. » Selon lui, « la lutte contre la pornographie devrait être un sujet de santé publique, mais toutes les tentatives pour aborder de front ce sujet ont été enterrées. Emmanuel Macron est le seul, récemment, à avoir eu une parole claire. En évoquant les violences faites aux femmes [2], il a souligné le lien qui existait entre ces violences et le mépris de la femme, véhiculé par la pornographie. » Et l’Église dans tout cela ? Depuis plusieurs années, elle tente d’endiguer le phénomène en mettant en place des formations à l’affectivité et à la sexualité, et en s’attaquant au problème de l’addiction. Précurseur dans ce domaine, le P. Éric Jacquinet a initié il y a plusieurs années le parcours Libre pour aimer, afin d’aider les personnes dépendantes à s’en sortir. Ce prêtre de la Communauté de l’Emmanuel l’a constaté lui aussi : « Nous sommes encore dans un déni de la société à ce sujet, entretenu par une littérature érotique grand public. Mais l’avantage, c’est que la parole se libère. Les jeunes catho, eux, se rendent bien compte que ces images posent un problème. Et leur référentiel peut les aider à remettre la dignité de la personne au centre. La clé, c’est la parole, poursuit-il. Savoir parler à l’enfant, dès son plus jeune âge, de son corps, de la sexualité. Et, s’ils ont été exposés à ces images, ne pas hésiter à les interroger : “Ce que tu vois, estce de l’amour ?” » Un diagnostic partagé par le Dr de Vaux. « Il faut adapter son discours à l’âge de l’enfant et témoigner de ce que l’on pense. Dire que ces images ne mènent pas au bonheur, leur poser la question de l’utilisation de l’autre comme objet de sa propre jouissance. Et si cette femme, cet homme que tu vois était ton frère ? Ta soeur ? C’est un langage que les chrétiens peuvent entendre car ils cultivent cette exigence de fraternité. Quatre-vingt pour cent des jeunes partagent les valeurs de leur parents, poursuit Pauline de Vaux. Pour que ce discours soit audible par les jeunes, il faut donc qu’il soit en cohérence avec le comportement des parents. »
Priscilia de Selve