Une approche de l’« écospiritualité »
Paris Notre-Dame du 5 juin 2014
P. N.-D. – Vous avez donné deux conférences au Collège des Bernardins, le 2 avril et le 14 mai [1], où vous analysiez « la crise écologique » actuelle, marquée notamment par l’épuisement des ressources naturelles. En quoi est-elle liée, selon vous, à la spiritualité ?
Michel Maxime Egger – Les causes de cette situation sont économiques, politiques et éthiques, mais aussi spirituelles. Elles ne sont pas seulement extérieures à l’humanité, car elles touchent aux fondements mêmes de la civilisation occidentale : issu de la modernité, son système économique, croissanciste, productiviste et consumériste, dévalorise et désacralise la nature. L’être humain l’a réduite à un stock de ressources à sa disposition pour la satisfaction non seulement de ses besoins mais aussi de ses envies illimitées. Par ailleurs, il se considère aujourd’hui comme maître et possesseur de la planète, en situation de domination par rapport aux autres êtres vivants. C’est une vision réductrice, qui repose sur un monde de connaissance centré sur la rationalité, sur l’illusion d’une croissance matérielle infinie. Pour sauvegarder la Terre, les lois, les écogestes et les conférences internationales ne suffisent pas. Il faut les accompagner d’une démarche spirituelle que j’appelle « écospiritualité » : se nourrir de l’énergie de la foi chrétienne permet d’ancrer plus profondément les engagements écologiques.
P. N.-D. - En quoi consiste concrètement cette approche ?
M. M. E. – Selon ma perspective, le divin, l’être humain et la nature forment un tout, une communauté de destin. Il est essentiel de réaffirmer cette unité et de redonner une dimension sacrée à la création sans pour autant tomber dans l’excès de l’idolâtrie. Il s’agit plutôt de trouver une troisième voie entre le panthéisme – identification de Dieu à la nature – et le matérialisme – réduction de la nature à un objet –. La théologie orthodoxe a notamment développé la théorie des énergies divines, qui affirme la présence de Dieu dans tous les êtres vivants, lesquels sont une expression de sa beauté et de sa générosité.
C’est une raison importante pour les respecter. Il me semble aussi qu’il faut sortir de l’anthropocentrisme. Certes, une des spécificités du christianisme est de donner une place particulière dans notre monde à l’être humain car il a été créé à l’image de Dieu. Cependant, je crois que ce rôle n’implique pas une position de supériorité mais une responsabilité : incarner et réaliser une médiation entre le Ciel et la Terre, entre la dimension matérielle et spirituelle. Il ne faut pas oublier qu’Adam a été façonné à partir de la glaise (Gn 2, 7). Il a une dimension terrienne qui incite à l’humilité. L’être humain fait donc partie intégrante de la création, dans une interdépendance avec elle. Sa mission est de participer à la transfiguration du monde en travaillant à sa propre transformation intérieure. Pour dépasser sa puissance de désir et ses peurs. Pour donner sa confiance en la Vie, plus forte que la mort. • Propos recueillis par Céline Marcon
– À lire : Michel Maxime Egger, La Terre comme soi-même. Repères pour une écospiritualité, Éd. Labor et Fides, 25 €.
[1] Retrouvez le compte-rendu des conférences sur www.collegedesbernardins.fr