Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 62e fête de la Miséricorde Divine à Osny
Osny le 19 avril 2009
Chers Frères et Sœurs,
Dans ce passage de l’Evangile de Saint Jean qui vient d’être proclamé, Jésus vient au milieu de ses disciples le soir du jour de sa résurrection, le premier jour de la semaine. De la même manière, il se tient aujourd’hui au milieu de nous même si nous ne le voyions pas.
Vous avez entendu la parole qu’il adresse d’emblée à ses disciples : « La paix soit avec vous » (Jn 20, 19). Nous savons que dans la société du moment, on employait cette formule pour se dire bonjour : ‘Shalom’, ‘la paix soit avec toi’. Naturellement, l’évangile ne nous raconte pas cette scène pour nous dire qu’en arrivant au milieu de ses disciples, Jésus leur a dit bonjour. Le Christ répète d’ailleurs une seconde fois : « la paix soit avec vous » (Jn 20, 21), comme pour souligner que ses paroles sont tout autre chose qu’une salutation amicale aux disciples, au moment où il les retrouve.
Il nous faut chercher à mieux comprendre quelle est cette paix dont Jésus parle. Car cette parole, comme toutes les paroles du Seigneur, est efficace. Quand Jésus souhaite à ses disciples ’la paix soit avec vous’, il ne s’agit pas simplement d’un vœu pieux mais du don qu’il fait de sa paix, tout comme il l’avait fait avant sa passion en disant à ses apôtres : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » (Jn 14, 27).
Comment cette paix transforme-t-elle la vie des disciples ? Nous entendons que Jésus leur donne sa paix en les envoyant en mission : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 19, 21). Et pour cela il répand sur eux son Esprit. Dans l’évangile de saint Jean, qui ne reprend pas le récit de la Pentecôte, ce geste de Jésus remplace d’une certaine façon la venue de l’Esprit-Saint sur les apôtres au Cénacle dans les Actes des Apôtres. Le don de l’Esprit est assorti d’une mission bien particulière : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés. » (Jn 19, 23).
Voici tout le sens de la paix que Jésus donne à ses disciples et à travers eux à tous ceux qui croiront en Lui. Jésus leur donne le pardon de leurs péchés, dans lequel ils sont réconciliés avec Dieu et échappent à la culpabilité et au sentiment de la faute. Ils découvrent alors la joie de celui qui est réintégré dans la famille de Dieu comme le jeune fils de la parabole du père qui accueille son enfant prodigue (Lc 15). Réconciliés avec Dieu, ils sont réconciliés avec eux-mêmes. C’est pourquoi ils connaissent la paix véritable, qui n’est pas la paix que donne le monde (« Je ne vous donne pas ma paix comme le monde la donne » Jn 14, 27), mais la paix qui vient de Dieu. Cette paix est le fondement de la consolation intérieure et la source de la joie profonde des disciples du Christ.
L’évangile de ce jour nous invite à faire un pas de plus pour comprendre la profondeur de la paix donnée par Jésus ressuscité. Nous avons entendu que Jésus dit aux disciples « Recevez l’Esprit-Saint » (Jn 20, 22). Dans la passion selon saint Jean que nous avons méditée le jour du vendredi saint, il est dit qu’au moment de sa mort Jésus « remit l’esprit » (Jn 19, 30). Ceci signifie à la fois que Jésus rend sa vie à son Père et qu’il émet son dernier souffle, mais aussi que dans cette remise de soi à Dieu, il ouvre la porte pour que l’Esprit-Saint soit répandu sur tous les hommes.
Nous comprenons donc que le don de l’Esprit que Jésus fait aux apôtres lorsqu’il souffle sur eux pour qu’ils deviennent eux-mêmes ministres de la réconciliation est indissociable de son sacrifice, du don qu’il a fait de sa vie et des blessures qui marquent son corps, ses mains, ses pieds et son côté. C’est pourquoi la vérification que demande à faire Thomas concerne les stigmates de la passion. La réalité de la résurrection du Christ est attestée par les traces des blessures qu’il a supportées au moment de sa mort. Jésus invite Thomas à mettre ses mains dans son côté et dans les trous de ses mains pour vérifier qu’il s’agit bien de celui qui a été crucifié et dont le sacrifice nous ouvre le don de l’Esprit. Saint Jean écrit d’ailleurs dans son évangile qu’au moment où le soldat perce le côté de Jésus en croix « il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19, 34) et dans sa première épitre que « L’Esprit, l’eau et le sang rendent le même témoignage » (1 Jn 5, 8).
En ce dimanche de la Miséricorde, nous méditons sur la mission confiée par Jésus à ses disciples, et à travers eux à l’Église. Il les fait ministres de la réconciliation et de la pacification des cœurs, chargés d’annoncer l’amour de Dieu manifesté dans le sacrifice du Fils unique sur la croix : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13) ; « Jésus les a aimé jusqu’au bout » (Jn 13, 1), il a donné sa vie pour eux. Cet amour de Dieu manifesté dans la mort du Fils unique sur la croix est la source d’une vivante espérance pour les hommes et les femmes de toute notre humanité. Quelles que soient nos faiblesses, nos fautes morales et nos péchés, nous ne devons pas douter que « Dieu est plus grand que notre cœur » (1 Jn 3, 20) et que son amour déborde de toute part le mal que nous avons pu faire. Il n’attend de nous qu’un signe, celui de notre repentir. C’est la démarche que nous faisons quand nous nous approchons du sacrement de la réconciliation, quand nous avons recours au ministère de la miséricorde exercée dans l’Église, quand nous tombons à genoux et que vient sur nos lèvres la prière de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28) Non seulement alors nous reconnaissons que le Christ est ressuscité et qu’il a répandu son Esprit pour la réconciliation des hommes, mais nous reconnaissons que cette réconciliation nous est offerte, à nous pauvres pécheurs. Jour après jour, semaine après semaine, année après année, l’amour de Dieu enveloppe notre faiblesse et nous met debout pour devenir des témoins de sa miséricorde.
Cette œuvre de délivrance et de régénération du cœur de l’homme s’accomplit dans l’Église à travers le ministère ordonné des évêques et des prêtres. C’est dans l’Esprit-Saint reçu par l’imposition des mains au moment de l’ordination qu’ils deviennent ministres du pardon. La puissance de l’amour de Dieu envahit leur cœur et les transforme en témoins de cet amour. A la veille de l’année du prêtre décidée par le Saint Père à l’occasion du 150ème anniversaire de la mort du Curé d’Ars, nous pouvons nous souvenir du témoignage rendu par Jean-Marie Vianney à la puissance de la miséricorde de Dieu. Il a offert de longues heures chaque jour pour accueillir les pécheurs, pour leur parler de la miséricorde et pour leur donner le pardon par le sacrement de la réconciliation. A travers les siècles et les régions de la Terre, la vie de l’Église s’organise avec beaucoup de prêtres ou avec peu de prêtres. Mais le ministère de la miséricorde ne peut exister sans ministre de la miséricorde, pas plus que le sacrement de l’eucharistie ne peut être célébré sans ministre de l’eucharistie, pas plus que toute la vie sacramentelle des chrétiens est impossible sans ministre des sacrements.
Nous ne pouvons donc nous réjouir de la miséricorde divine et l’accueillir dans notre vie sans faire monter vers Dieu notre prière et notre supplication pour que cette grâce soit toujours mieux annoncée et célébrée et plus largement répandue sur le monde par ceux que Dieu appelle à être prêtres. Car par leur ministère l’espérance de la paix et la réconciliation gagnent les cœurs.
Dans beaucoup de pays du monde aujourd’hui, la rancune et la haine dominent. La violence entre des peuples, entre des cultures et entre des groupes humains devient la loi habituelle. Nous devons évidemment combattre cette violence pour que l’injustice ne suscite pas le désespoir. Mais plus encore, nous devons tout faire pour que la paix de Dieu gagne les cœurs et fasse des ennemis et des rivaux d’hier, des frères attelés à la même tâche pour le bien de l’humanité.
Frères et Sœurs, d’une manière toute particulière aujourd’hui, je vous invite à prier avec ferveur pour l’anniversaire de l’élection du Saint Père, Benoît XVI. Tout au long des semaines et des mois écoulés nous avons vu à l’œuvre l’esprit de dénigrement, de destruction et de haine contre son ministère d’unité et de réconciliation et contre sa personne. Nous prions pour que la miséricorde de Dieu lui apporte la consolation dans l’épreuve et pour que les yeux des hommes s’ouvrent et qu’ils découvrent comment l’amour seul conduit le monde. Amen.