Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de l’Ascension
Cathédrale Notre-Dame de Paris - jeudi 21 mai 2009
- Ac 1, 1-11 ; Ps 46, 2-6.6-9 ; Ep 4, 1-13 ; Mc 16, 15-20
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
Frères et Sœurs,
L’Ascension du Christ est tout à la fois la fin d’un rêve et le début d’une espérance.
Pour les apôtres, c’est la fin du rêve du rétablissement du royaume d’Israël tel qu’il avait existé au temps de la puissance de David. Comme le souligne le récit des Actes des Apôtres, les disciples avaient encore ce rêve, même après la mort et la résurrection de Jésus. Au moment où ils sont réunis autour du Seigneur, ils lui demandent en effet : « Seigneur est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? » (Ac 1, 6). Et les deux disciples à qui Jésus s’était manifesté sur le chemin d’Emmaüs ne lui avaient-ils pas dit : « Et nous qui espérions qu’il serait le libérateur d’Israël » (Lc 24, 21) ?
Les disciples et les foules qui ont suivi Jésus au long de sa vie publique, ont entendu sa prédication et vu les signes qu’il faisait en guérissant les malades ou en multipliant les pains. Ils ont laissé grandir en eux l’espoir que la venue du Messie serait le rétablissement du Royaume. Mais l’arrestation, la condamnation, la Passion et l’exécution de Jésus ont ruiné cet espoir. Jésus ne rétablira pas le royaume d’Israël avec force et puissance !
Avec sa résurrection, commence l’annonce d’une espérance nouvelle. Le Christ ressuscité ne va pas établir sa puissance contre les Romains, et délivrer la Judée de l’occupant. Il ouvre un nouveau chemin dans l’histoire de l’humanité et donne à l’avènement du Royaume d’Israël une dimension nouvelle. Celui-ci ne consiste plus simplement dans le rétablissement du pouvoir politique sur Jérusalem et son Temple, mais il permet l’accomplissement de la vocation universelle du peuple élu d’être le signe de l’alliance au milieu des nations pour annoncer aux païens la bonne nouvelle du Salut.
L’Ecriture nous fait comprendre que le fait que le Christ quitte cette terre et n’y soit plus visible ne constitue pas une privation mais inaugure une nouvelle manière dont Dieu va se rendre présent à l’humanité. L’espérance nouvelle s’accomplira par le don de l’Esprit au jour de la Pentecôte et par la mission des apôtres. « Et les dons qu’il fait aux hommes ce sont les apôtres, les prophètes, les missionnaires de l’Evangile, les pasteurs et ceux qui enseignent de telle façon que le peuple soit organisé et que s’accomplissent les tâches du ministère » (Ep 4, 11). Le départ du Christ inaugure l’accomplissement de la mission d’Israël de porter l’Evangile à toutes les nations.
La nature même de cette mission confiée aux apôtres définit l’horizon dans lequel elle s’inscrit : les envoyés ne sont pas chargés de construire en ce monde le royaume de Dieu à la place des puissances de la terre et de redonner vie au rêve du royaume terrestre d’Israël. Dieu ne se sert pas des apôtres pour prendre possession de l’univers et donner à son dessein une forme politique. Il fait ce don aux hommes pour « organiser le peuple saint et accomplir les tâches du ministère » (Ep 4, 12). L’organisation du peuple saint n’est pas la structuration politique du monde, mais la construction d’une famille dans laquelle s’exercent les charismes selon les dons de Dieu : apôtres, prophètes, missionnaires, pasteurs, et tous ceux qui sont envoyés pour que la Parole de Dieu soit annoncée, que le témoignage soit rendu à l’Evangile, que le dessein de Dieu s’accomplisse par la puissance du don de l’Esprit, et « que nous parvenions tous ensemble à l’état de l’homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ » (Ep 4, 13).
Jésus de Nazareth est l’unique Seigneur de l’univers. En lui il y a « un seul corps, un seul Esprit, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Ep 4, 4-5). Sa présence et son action, sa puissance et l’espérance qu’il apporte aux hommes sont manifestées à travers le ministère de son Église, instituée comme un don fait aux hommes pour organiser le peuple saint. Ainsi l’assemblée des saints peut vivre selon les mœurs qui doivent être les siennes et que saint Paul décrit ainsi : avoir beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, se supporter les uns les autres avec amour, avoir à cœur de garder l’unité dans l’esprit par le lien de la paix. L’unique Seigneur est le garant de l’unique vocation à laquelle tous ont été appelés pour une seule espérance.
La disparition physique du Christ en ce monde, n’est pas un abandon, mais substitue à la présence visible de Jésus le signe nouveau donné par l’Église à travers la communion de ses membres et l’organisation de ses ministères. Nous comprenons la manière dont Jésus lui-même parle de son départ dans l’évangile de saint Jean : « c’est votre intérêt que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas je ne vous enverrai pas mon Esprit » (Jn 16, 7). Il est bon pour nous que le Christ nous ait quitté, car nous ne sommes pas plongés dans la tristesse de son absence, mais au contraire conviés à l’action de grâce devant les dons faits par Dieu à l’humanité. Le Christ confie sa mission à l’Église et rassemble en elle tous les peuples. Ils sont appelés à constituer un seul corps et un seul esprit pour manifester la puissance de son amour. Amen.