Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe du pèlerinage des prêtres du diocèse de Paris à Ars

Basilique inférieure de Ars - Vendredi 9 avril 2010

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 Ac 4, 1-12 ; Ps 117, 1-2.4.22-26 ; Jn 21, 1-14

Chers amis,

Chaque jour de cette semaine de l’octave de Pâques nous donne de développer et de prolonger la célébration de l’événement que nous avons vécu au cours de la Vigile Pascale. La succession des récits des manifestations du Christ Ressuscité nous entraine avec la communauté primitive des disciples à entrer peu à peu dans la réalité de la Résurrection. Le chemin des disciples tel qu’il apparaît dans l’Evangile dévoile la nature de notre acte de foi, puisque le Christ Ressuscité qui se manifeste est aussi celui auquel nous croyons. L’expérience des rencontres successives du Ressuscité correspond à une progression de l’acte de foi des disciples et des femmes, mais également de notre propre acte de foi. De même, leurs hésitations pour reconnaître celui qui leur apparaît manifestent les tâtonnements de notre profession de foi.

Nous saisissons aussi à travers ces récit comment la foi chrétienne est en même temps une adhésion à un contenu et une démarche par laquelle nous y adhérons. Elle ne comporte pas simplement une dimension subjective (la manière dont nous croyons), mais se définit également pas le contenu de ce que nous croyons. Ce serait tordre le sens des récits évangéliques que de ne situer l’hésitation, l’incertitude ou les progrès de la foi que dans la dimension subjective de l’acte de foi. Si notre acte de foi reste hésitant, ou s’il est toujours en voie d’affermissement et de plénitude, c’est parce que le Christ ressuscité objet de notre foi se dévoile de manière toujours incomplète, parce que la manifestation du Christ ne se réalise jamais comme quelque chose qui s’imposerait à notre liberté et qui nous dispenserait de la décision de croire.

Nous le voyons bien à travers les récits de la Résurrection. Si les gens ne reconnaissent pas le Sauveur, ce n’est pas simplement parce qu’ils sont aveuglés ou qu’ils n’ont pas encore reçu la plénitude de l’Esprit Saint. C’est aussi parce que celui qui est devant eux porte quelque chose de particulier : il est le même que celui qu’ils ont connu mais n’est plus en même temps tout à fait le même. Ainsi, ce passage de l’évangile de saint Jean nous dit que les disciples « n’osaient pas lui demander : ‘qui es-tu ?’, puisqu’ils savaient que c’était le Seigneur » (Jn 21, 12). La juxtaposition des deux propositions est un peu étrange : quel besoin auraient-ils de lui demander qui il est s’ils savent que c’est le Seigneur ? Si saint Jean nous dit l’une et l’autre chose, c’est à la fois pour souligner qu’ils avaient besoin de lui demander qui il était (sans cela il serait inutile d’ajouter qu’ils n’osaient pas) tout en tenant qu’ils savaient que c’était le Seigneur.
Dans cette double face de la foi des disciples, nous retrouvons ce qui habite notre cœur. Nous aussi, nous avons besoin de demander au Seigneur qui il est, et pourtant nous savons que c’est bien lui. Il y là comme la marque de l’humanité de notre démarche de foi : nous sommes en même temps ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui reconnaissent le Seigneur et ceux qui ont besoin de lui demander qui il est.

Notre ministère d’annonce du Christ Ressuscité est lui aussi marqué par cet écart entre la certitude que nous avons de sa présence et notre inaptitude à le nommer. Notre difficulté d’annoncer le Christ ne tient pas simplement à notre maladresse, mais elle est comme constitutive de l’annonce de la foi. Nous annonçons avec certitude la Résurrection du Christ tout en continuant à le chercher comme à tâtons. Il ne suffit pas que nous parlions pour que les gens croient, pas simplement parce qu’ils ont la tête dure ou les oreilles bouchées, mais parce que nous annonçons quelque chose qui n’est pas facile à croire, quelque chose que nous portons à la fois sous les modes de la certitude et du questionnement.

Nous ne savons que trop bien combien notre ministère est fragile et notre parole incertaine. Il nous suffit pour cela d’être à l’écoute de ce que nous sommes, de ce que nous vivons et de ce que nous portons. Et cependant, nous savons aussi que nous pouvons nous laisser prendre par l’Esprit Saint pour annoncer avec conviction et certitude ce qui demeure encore jusqu’à la fin de ce temps comme une question. Le témoignage de notre foi est précisément de porter avec certitude et conviction ce que nous portons aussi comme une interrogation. Et si nous assumons en vérité cette double dimension de notre foi, ne sommes-nous pas plus accessibles pour ceux qui voudraient eux aussi pouvoir reconnaître la présence du Seigneur mais n’en sont pas encore intimement persuadés ? Ceux-là ont besoin que nous leur annoncions avec clarté que c’est bien lui, tout en laissant percevoir que nous aussi, nous portons la question de savoir qu’il est.

C’est là notre faiblesse et notre grande richesse. Car cela nous permet d’être sûrs que nous n’annonçons pas simplement ce que nous pensons et dont nous sommes convaincus. Nous annonçons une parole qui nous dépasse de toutes sortes de façons. Notre sécurité et notre joie est de savoir que le Christ Ressuscité peut faire le bien à travers nous, même au-delà de ce que nous percevons et planifions, tout comme Pierre et Jean dans les Actes des apôtres, témoignent de la Résurrection parce que l’Esprit du Christ parle par leur bouche.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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