Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Ordinations 2005
Cathédrale Notre-Dame de Paris - samedi 25 juin 2005
Dominique, Henri, Simon, Antoine, Paul, Etienne, Cyril, Bruno, Etienne, Xavier, Manuel,
Mes cher amis,
Notre Église parisienne est dans la joie au moment où vous allez être ordonnés prêtres du Seigneur pour l’annonce de l’Évangile et le service des communautés chrétiennes. Elle se réjouit de voir que l’appel du Christ retentit encore aujourd’hui et que l’amour de Dieu, répandu en nos cœurs par la foi, suscite la générosité pour répondre à cet appel. Elle rend grâce pour le chemin que vous avez parcouru depuis des années et pour tous ceux qui vous ont accompagnés au long de ce chemin : famille, éducateurs, compagnons d’étude ou collègues de travail, etc. Tous ne reconnaîtraient peut-être pas le rôle qu’ils ont joué dans votre accueil de l’appel du Christ et dans votre réponse. Mais dans la foi, nous regardons les signes de la présence active de Dieu, même à l’insu de ceux qui en sont les agents.
Nous rendons grâce parce que, à l’aube de ce troisième millénaire, l’évangélisation continue, mieux, elle se renouvelle pour répondre aux nouvelles conditions de vie des hommes et des femmes à qui la Bonne Nouvelle doit être annoncée. Nous le savons, il n’y a pas de recettes définitives pour la mission. Il n’y a qu’un seul mot d’ordre : aller au devant de ceux avec lesquels nous voulons partager le trésor de la foi et leur ouvrir sans crainte le livre de la révélation de l’amour de Dieu pour l’humanité. Ce dévoilement du mystère de la miséricorde n’est pas une œuvre simplement humaine dont nous viendrions à bout à force d’imagination apostolique. Elle est l’œuvre de la puissance de Dieu. On ne bâillonne pas la parole de Dieu et si nous nous taisions ce seraient les pierres du chemin qui crieraient.
Entrer dans cette mission où nous sommes livrés aux questions et à la curiosité des hommes suppose que nous soyons d’abord délivrés de nos prisons. Dans l’isolement où nous enferme notre peur d’un environnement supposé hostile, nous risquons de vivre dans un petit Cénacle avant la visite de l’Esprit. Isolement aussi où l’on voudrait nous enfermer pour restreindre la mission de l’Église à l’organisation de la piété privée ou à la célébration des rites familiaux. De ces isolements, il faut que l’ange nous ouvre la « porte de fer », comme il le fit pour Pierre, et qu’il nous envoie par les rues de la ville témoigner de notre liberté.
La première chose que je veux vous dire est la suivante : ce que nous vivons aujourd’hui est vrai, ce n’est pas une vision. Peut-être que, comme Pierre, chacun de vous a du mal à y croire, même si vous avancez vers ce moment depuis des années. Non seulement vous avez eu vos années de préparation directe à l’ordination, mais encore chacun d’entre vous est arrivé à ce temps de préparation après des années de cheminement personnel qui est le secret de Dieu. Les uns sont en marche depuis la petite enfance, d’autres ont vécu une conversion à la vie dans le Christ dans un âge plus avancé. Tous, un jour de votre vie, vous avez été confrontés à la question cruciale : Es-tu prêt à tout lâcher pour me suivre ? Es-tu prêt à me faire confiance au point de t’en remettre complètement à moi de l’avenir de ta vie ?
Le pas que vous avez franchi au moment de votre ordination diaconale a manifesté votre intention de répondre à cet appel. Votre ordination d’aujourd’hui vous consacre tout entiers pour le service de la mission de l’Église. Par l’imposition de mes mains, accompagnés de tout le presbyterium de Paris, vous allez recevoir la puissance de l’Esprit Saint qui fera de votre vie une offrande dans l’offrande du sacrifice de notre Bon Pasteur, Jésus de Nazareth. Vous serez mes collaborateurs privilégiés dans la mission « d’annoncer jusqu’au bout l’Évangile et le faire entendre à toutes les nations païennes » présentes en notre ville à la population si diverse. Soyez les bienvenus dans la vigne du Seigneur dont Benoît XVI s’est déclaré le modeste ouvrier. Il y a pour vous tout l’ouvrage que vous pouvez espérer, et même plus.
Vous prenez votre service dans une Église parisienne qui a été revivifiée dans sa mission par plusieurs années de réflexion et par le grand rassemblement de Paris Toussaint 2004 sous la conduite du cardinal Lustiger dont la présence aujourd’hui marque la continuité de la vie de notre Église et que nous saluons avec affection. Paris-Toussaint 2004, ce ne fut pas seulement un congrès sur l’évangélisation, avec la participation de quelques spécialistes. Ce fut une véritable mobilisation dans toutes les communautés parisiennes pour aller au-devant de nos concitoyens et témoigner auprès d’eux de l’espérance qui nous vient du Christ lui-même : le bonheur est offert à tous.
Comme au temps de Jésus, chacun a son opinion sur lui et chaque opinion reflète à la fois les espoirs enfouis et les réticences méconnues ou cachées comme les nostalgies inavouées. Nous entendons aujourd’hui aussi cette pluralité des regards et des attentes. La question posée par Jésus à ses disciples ne vise pas à solliciter une parole supplémentaire à son sujet. Dans sa formulation même elle est déjà une question missionnaire : « Et vous que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ? ». La réponse ne juxtapose pas une nouvelle opinion particulière aux précédentes déjà énoncées. Elle témoigne d’une parole qui dépasse son auteur et qui ne vient pas de la sagesse humaine : c’est du « Père qui est aux cieux » que vient la confession de la foi.
A juste titre, la Confession de Foi de Césarée est considérée comme un passage charnière dans la constitution du collège apostolique et dans la mise en valeur de sa mission. A travers le dialogue entre Jésus et Pierre se dessine les arêtes de la préparation des apôtres à leur mission : connaître quel est le chemin dans lequel Jésus est engagé par sa fonction messianique et apprendre à reconnaître la figure du Serviteur souffrant. L’objection de Pierre nous montre l’écart qui le sépare encore de l’accomplissement du sacrifice. C’ets l’itinéraire de toute formation au ministère apostolique qui nous est ainsi manifesté.
C’est pourquoi votre longue formation n’a pas visé à faire de vous des spécialistes en controverse mais des témoins qui se nourrissent de la parole même qu’ils ont la charge d’annoncer. Vous n’êtes pas d’abord des experts en religion, mais des témoins appelés à rendre compte de l’espérance qui est en vous en gageant votre parole sur le don total de votre vie dans le sacrifice du Seigneur.
Certes, cette mission de témoins de l’espérance nous engage chaque jour dans la rencontre avec la raison humaine et les sagesses qu’elle produit. Mais notre champ spécifique n’est pas la marge de l’irrationnel dans une société vouée à l’efficacité de la raison scientifique. La confrontation de la foi chrétienne et de la raison n’est pas un combat perdu d’avance. Elle suppose un véritable engagement des ressources de l’intelligence humaine au service de la compréhension de la parole de Dieu qui éclaire et nourrit notre vie. Si les hommes de notre temps sont en quête, ou au moins s’ils ont besoin, de repères existentiels ou de sagesse, nous n’avons pas à rougir de la sagesse du Christ que nous proposent les évangiles. Elle supporte aisément la comparaison avec les sagesses qui l’ont concurrencée au XX° siècle qui fut d’abord un siècle de barbarie et d’horreur.
Mais l’histoire personnelle de Jésus et l’histoire de la mission de l’Église à travers les siècles nous montrent comment cette sagesse qui vient de Dieu lui-même peut être perçue comme une folie aux yeux du monde : la folie de la croix. La folie de l’amour. Que la personne du Christ et la mission de l’Église soient controversées n’est pas une nouveauté particulière à notre temps. C’est une donnée permanente de la rencontre de la Révélation divine avec les attentes humaines ou les utopies sur l’avenir. Cette controverse n’est pas un simple débat intellectuel. Elle est le reflet de la lutte de la liberté humaine avec la Vérité qui l’éclaire et la questionne. Elle ne doit ni nous surprendre ni nous effrayer. Elle est le régime normal du combat de l’homme pour accéder à la plénitude de sa vocation de fils de Dieu.
Notre ministère, fondé sur la consécration de notre vie par don de l’Esprit, fait de nous des compagnons de tout homme dans ce combat où nous devons nous-mêmes convertir sans cesse notre regard et notre engagement pour ne pas devenir un obstacle à l’accomplissement du Salut. Il ne nous constitue pas en juges, moins encore en accusateurs. Il fait de nous des témoins qui attestent que la vie des hommes n’est pas dominée par la fatalité des forces obscures. Nous annonçons que Dieu ouvre, même aux païens, « la porte de la foi. »
La joie de notre ministère ne vient pas des avantages sociaux ni du confort de notre existence ou de l’intérêt de nos activités. Notre véritable joie, la plénitude de la joie que Jésus promet aux siens, une joie que nul ne peut nous ravir, c’est l’espérance dont nous sommes porteurs au bénéfice de tous les hommes et de toutes les femmes de notre temps. Vous êtes consacrés comme témoins de cette espérance comme le furent jadis les prêtres qui vont vous imposer les mains. Parmi eux, les jubilaires dont nous partageons la joie et l’action de grâce attestent la fidélité de Dieu à ceux qu’Il choisit et qu’Il envoie. Ne doutez pas de cette fidélité de Dieu !
Ne doutez pas de la mission de notre Église. C’est elle qui définit votre propre mission et qui vous porte maternellement dans sa prière comme nous allons le faire à l’instant en invoquant les saints qui nous entourent invisiblement. Elle vous porte quotidiennement par la prière et l’offrande secrètes de tant de vie cachées dans les cloîtres ou dans les monastères invisibles de notre mégapole. Elle vous porte par la prière communautaire faite avec vos frères dans le ministère ou dans la communion avec eux. Elle vous porte dans cette magnifique assemblée. Elle vous porte dans la supplication quotidienne de votre archevêque. Comme le psaume nous le dit des anges : ils te porteront pour que ton pied ne heurte les pierres !
Soyez dans la joie et l’allégresse car il vous a choisis pour être avec lui et devenir ses amis !
+ André VINGT-TROIS
Archevêque de Paris
25 juin 2005