Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Pèlerinage pour les couples ayant des difficultés de procréation

Sainte-Colette-des-Buttes-Chaumont, dimanche 9 mars 2008

Le dimanche 9 mars, un pèlerinage diocésain rassemblait les couples ayant des difficultés de procréation à la paroisse Sainte-Colette-des-Buttes-Chaumont.

Homélie du cardinal André Vingt-Trois

Evangile selon saint Jean au chapitre 11, versets 1-45

Frères et sœurs, on peut se poser la question : quel sens cela peut-il avoir au XXIè siècle de prier pour la fécondité ? Les hommes sont devenus tellement habiles et performants dans leur gestion de la vie qu’ils sont capables de guérir, de soigner, qu’ils sont capables d’imaginer toutes sortes de moyens pour compenser ce que la nature ne permet pas. Ils ont imaginé toutes sortes de procédures pour satisfaire le désir des hommes et des femmes qui veulent avoir un enfant et qui ne peuvent pas y parvenir. En même temps, ils ont imaginé toutes sortes de moyens pour que des hommes et des femmes se débarrassent d’un enfant qu’ils ont et qu’ils ne voulaient pas. Ces prodiges d’ingéniosité donnent parfois le sentiment que l’homme est devenu maître de la vie et de la mort ; que c’est lui et lui seul qui décide s’il faut donner la vie ou s’il faut l’enlever ; s’il faut mettre en œuvre des technologies exceptionnelles pour soigner, guérir, ou tout simplement pour maintenir en vie, ou s’il faut utiliser la technologie humaine pour arrêter une vie que l’on ne supporte pas ou que l’on ne supporte plus. Ainsi, cette vie qui est la nôtre, celle que chacun de nous a reçue, au lieu d’être perçue et vécue comme un don gratuit que l’on reçoit, est perçue et vécue comme un produit que l’on fabrique ou que l’on détruit ; quelque chose qui fait partie des vastes rayons de notre consommation ; quelque chose qui vient satisfaire nos désirs ou qui vient contrecarrer nos projets. S’agit de satisfaire nos désirs, aucun obstacle n’est accepté et s’il s’agit de contrecarrer nos projets, aucune limite n’est reconnue dans notre pouvoir de mettre à mort.

Prier pour la fécondité, c’est d’abord poser un acte de foi. C’est reconnaître que nous ne sommes pas maîtres de la vie et de la mort. Ce n’est pas imaginer une sorte de magie par laquelle on provoquerait la fécondité à force de prière ; c’est se remettre devant Dieu comme source de toute vie, comme origine de la vie et comme fin de la vie. Comme fin, c’est-à-dire comme but et comme terme. C’est reconnaître que, quelque soit la richesse de nos moyens de rendre la vie plus belle, si on le peut, quelque soit l’ingéniosité des hommes et leur capacité à développer ou arrêter la vie, nous sommes tous, quelque soit notre état et notre situation, devant un don qui est le signe de l’amour : l’amour de Dieu pour les hommes et l’amour qu’un homme et une femme vivent ensemble, et l’amour qu’un père et une mère portent à leur enfant, et l’amour que nous devons tous vivre à l’égard de nos frères.
Reconnaître que c’est Dieu qui est source et fin de la vie veut dire reconnaître que nous, chacun de nous, nous ne sommes que des serviteurs, des moyens, des instruments par rapport à cette vie que nous recevons tous gratuitement pour la donner gratuitement et pour la servir gratuitement.
Prier pour la fécondité veut dire encore accepter d’entrer dans un chemin où le désir d’enfant n’est pas l’absolu. C’est accepter d’entrer dans un chemin où le désir d’enfant est au service de plus grand que nous. C’est accepter d’entrer dans une attitude intérieure par laquelle l’enfant est accueilli et non pas fabriqué. C’est accepter d’entrer dans un chemin au long duquel on apprend à reconnaître que la vie nous est donnée comme une grâce et que nous ne la fabriquons pas comme un produit commercial.
Prier pour la fécondité veut dire accepter de découvrir comment Dieu veut rendre notre vie féconde. Pour les uns, cette fécondité de l’amour s’exprime et se réalise à travers la mise au monde d’un enfant, de plusieurs enfants, qui sont accueillis dans la joie, l’action de grâce et le respect du don que Dieu nous fait. Pour d’autres, à qui cette joie n’est pas permise, à qui cette joie n’est pas accordée, c’est entrer dans un chemin où l’on découvre que la vie humaine a d’autres registres de fécondité. La fécondité de l’amour ne se réalise pas seulement par la naissance d’un enfant, elle se réalise par les fruits que produit l’amour dans notre vie et qui peuvent être multiples. Certains qui n’arrivent pas à engendrer mettent cette souffrance au service d’enfants privés d’amour, de famille et de parents, et les reçoivent comme leurs propres enfants. D’autres mettent leur vie au service de l’éducation des enfants, pour les aider à atteindre leur pleine stature d’homme. D’autres, encore, sont appelés par Dieu lui-même à renoncer à la paternité et à la maternité pour se mettre tout entiers au service de l’annonce de l’Évangile dans la vie consacrée ou dans le sacerdoce. D’autres encore découvrent de nouveaux chemins de fécondité en se mettant au service de leurs frères.
La prière pour la fécondité, ce n’est pas un moyen de pression pour que Dieu réponde à notre désir. C’est un moyen de conversion pour que nous devenions capables de répondre au désir de Dieu.

Je souhaite que les hommes et les femmes qui viennent ici invoquer sainte Colette et son intercession pour que leur vie devienne féconde soient pleinement exaucés, mais je souhaite surtout que leurs prières leur permettent de découvrir comment Dieu les exauce et de trouver leur joie dans le chemin qu’il ouvre devant eux. Je souhaite qu’ils trouvent la joie de la paternité et de la maternité si c’est le chemin dans lequel Dieu veut leur bonheur, mais je souhaite aussi qu’ils trouvent leur bonheur dans le chemin qui s’ouvrira devant eux même si c’est sans la paternité et la maternité humaine, mais dans la fécondité de l’amour et la joie du service des autres, des autres enfants, des autres jeunes, des autres adultes, des autres hommes, des autres femmes.

Frères et sœurs, unissons nos prières pour que par l’intercession de sainte Colette progresse dans les cœurs des hommes et des femmes de notre temps la conviction que l’amour n’est pas la prise de possession de l’autre, que l’amour n’est pas la satisfaction de notre désir, mais qu’il est la découverte d’un chemin de communion, de don de soi, de partage et de fécondité à travers le modèle que le Christ lui-même nous a donné en livrant sa vie pour nous.

« Jésus aimait Marthe et sa sœur Marie et leur frère Lazare », mais vous l’avez entendu, en ressuscitant Lazare, il ne fait pas que satisfaire un désir bien compréhensible chez ses sœurs ; il ne fait pas que rendre service à un ami. Il donne un signe : qui est le maître de la vie ? - C’est lui, « la Résurrection et la vie ». C’est lui qui fait vivre, c’est lui qui relève de la mort, c’est lui qui ouvre devant les pas des hommes les chemins de la vie éternelle. « Celui qui croit en moi, même s’il meurt vivra ».
Rendons grâce à Dieu qui nous aide à entrer dans une foi plus vive et plus profonde en notre Seigneur, Créateur, Source de la vie, Rédempteur, vainqueur de la mort, Messie qui nous appelle à la vie qui ne finit pas. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois

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