Homélie de Mgr André Vingt-Trois - 24e dimanche du temps ordinaire - année B

Saint-Lambert de Vaugirard - dimanche 17 septembre 2007

"En toutes choses, nous sommes invités à manifester l’amour du Christ pour les hommes à travers notre manière de les aimer nous-mêmes."

Frères et soeurs, depuis le mois de janvier, nous lisons dimanche après dimanche, sauf pendant les temps liturgiques particuliers, l’évangile selon saint-Marc. Vous avez sans doute remarqué comment cet Evangile nous conduit peu à peu à découvrir qui est la personne du Christ. En nous faisant entrevoir quelque chose de son identité, il nous propose en même temps un chemin pour découvrir nous-mêmes qui nous sommes avec Lui.

Ainsi, nous avons vu Jésus enseigner avec autorité, guérir et faire des signes, multiplier les pains, calmer la tempête etc . à ? travers tous ces signes, l’Evangile opère une sorte de croissance dramatique dont l’aboutissement est la question : "Mais qui est-il, cet homme doué de pouvoirs aussi extraordinaires ? Dans ce chapitre 8ème de l’évangile selon saint Marc, nous assistons à un basculement de la révélation de la personne de Jésus et de la manière de le suivre.

En effet, à travers le dialogue entre Jésus et ses disciples, est prononcé enfin le nom qui commençait à se dévoiler peu à peu à travers tous ces évènements, le nom qui fut dit par Pierre : "Tu es le Messie " et, en même temps, nous découvrons le malentendu, la méprise, la confusion que ce titre messianique peut engendrer dans l’esprit des auditeurs et des disciples. Pour eux, parler du Messie, c’est parler d’une manifestation victorieuse et puissante de Dieu. Or, Jésus, immédiatement après avoir accepté cette dénomination de "Messie ", révèle qu’il ne sera précisément pas un Messie puissant et victorieux. Il leur enseigne qu’il faut qu’il souffre beaucoup, qu’il soit rejeté, tué et qu’il ressuscite. Autrement dit, à ce titre du Messie qui lui est attribué, il identifie ce que le prophète Isaïe nous a désigné tout à l’heure sous les traits du serviteur.

Le Messie, à la manière du Christ, n’est pas quelqu’un qui écrase le monde, qui écrase ses adversaires et qui assure sa victoire par la puissance. C’est quelqu’un qui entre dans un chemin de service, d’endurance, de passion et finalement d’offrande de soi ; la victoire du Christ sur le monde, c’est la victoire de l’amour, ce n’est pas la victoire de la puissance. Nous voyons aussitôt comment cette révélation du Messie souffrant, du chemin que Jésus va emprunter désormais pour aller à Jérusalem, crée le trouble chez ceux qui l’ont pourtant suivi depuis le début, ses plus fidèles disciples, ceux qui lui ont eux-mêmes donné le nom de Messie : "Pierre le prenant à part se mit à lui faire de vifs reproches ". Comment voulez-vous que nous annoncions au monde un Messie, un Sauveur, qui est un homme faible, écrasé, mis à mort ? Qu’est-ce que le monde peut bien attendre d’une religion de l’amour ? Un chemin de soumission, un chemin de renoncement, ce n’est pas cela que les hommes attendent. Les hommes attendent que l’on manifeste la puissance de Dieu à travers la puissance de la force humaine.

Précisément, c’est ce que Jésus désigne comme la tentation : "Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes ". Nous découvrons à travers ce dialogue et le rejet de la position de Pierre ce que l’Epître de Jacques nous disait à l’instant sur la différence entre la foi et les oeuvres.

Certes, nous sommes prêts à dire que nous sommes chrétiens, pourvu que cela ne demande pas de nous un certain nombre de choses que nous jugeons déraisonnables. Nous voulons bien être croyants, pourvu que nous puissions continuer d’être comme tout le monde. Or précisément, ce que la foi introduit dans notre vie, c’est un élément de rupture, de fracture, un élément de différence.

Jamais nous ne pouvons être disciples du Christ si nous ne commençons pas, - je ne dis pas : si nous ne réussissons pas, mais si au moins nous ne commençons pas -, à entrer dans son chemin, c’est-à -dire dans le chemin du service de nos frères, du service de notre communauté et, à travers elle, du service de l’humanité.

A quoi sert-il que nous nous disions chrétiens, si nous ne prenons pas notre part de la croix du Christ, c’est-à -dire si nous n’entrons pas au moins un peu dans sa démarche de serviteur, dans l’offrande qu’il fait de lui-même, dans l’abandon qu’il vit entre les mains du Père ?

Que veut dire cela pour nous ? Cela veut dire que nous sommes invités à nous interroger sur ce que représente dans notre vie l’appartenance chrétienne.

Que voulons-nous dire quand nous nous disons chrétiens ? Voulons-nous être considérés comme inscrits, comme on est inscrit sur les listes électorales, nous considérons-nous comme quelqu’un qui croit en Dieu dans les grands moments ou les périodes difficiles de sa vie et qui se tourne vers Lui pour le supplier d’intervenir avec force et puissance ? Cela veut-il dire que nous nous considérons comme les membres d’une communauté rassemblée dimanche après dimanche comme nous le sommes aujourd’hui, que nous venons écouter la Parole de Dieu, recevoir le pain de vie, mais que, comme dans la parabole du Semeur, une fois sortie cette graine qui a été jetée en nos coeurs, elle ne produit pas de fruit parce qu’elle est tombée sur une terre aride ou sur une terre encombrée de toutes sortes de broussailles ? Ou bien encore, cela veut-il dire qu’à travers notre participation à l’eucharistie, comme nous la vivons en ce jour, nous progressons dans un véritable chemin de communion avec le Christ, de communion dans son amour pour les hommes, de communion avec son désir de travailler à améliorer leur existence, de communion à sa volonté de leur faire connaître l’amour du Père en toutes choses. ?

Si nous progressons ainsi dans cette communion au Christ, Evangile de Dieu pour l’humanité, Bonne Nouvelle pour les hommes, nous ne pouvons pas le faire sans devenir à notre tour témoins de la foi. "Témoins de la foi " ne veut pas dire que nous serons des prédicateurs des coins de rue, cela veut dire que nous essayons de mettre notre foi en pratique, jour après jour, dans toutes les circonstances de l’existence, dans notre vie familiale, dans notre vie de relations, dans notre vie de travail, dans notre environnement,. En toutes choses, nous sommes invités à manifester l’amour du Christ pour les hommes à travers notre manière de les aimer nous-mêmes.

Qu’est-ce que je fais réellement par amour de mes frères ? Jusqu’à quel point suis-je prêt à déranger l’équilibre de ma vie pour le service des autres ? Jusqu’à quel point suis-je prêt à renoncer à quelque chose qui me plaît, à quelque chose qui m’intéresse, à quelque chose à quoi je tiens, pour permettre à d’autres d’entrer dans la richesse de l’Evangile ? Prendre ma croix et suivre le Christ, c’est ouvrir les yeux sur ma manière de vivre, reconnaître les circonstances, les moments, les personnes, à travers lesquels le Christ m’invite à devenir davantage serviteur de l’Evangile.

Enfin, c’est accepter que ma vie,- et je n’en ai qu’une -, soit donnée dans celle du Christ. Votre vie est donnée de toute sortes de manières : elle est donnée dans votre amour familial, dans votre relation avec les autres, dans votre engagement pour la Société, dans votre travail ; elle est donnée jour après jour, par la fidélité à vos engagement, par la volonté d’améliorer le monde dans lequel nous sommes ; elle est donnée aussi par celles et par ceux qui répondent à l’appel du Christ de tout quitter pour l’annonce de l’Evangile, de s’engager dans la vie consacrée pour le service de leurs frères, de devenir les prêtres et les diacres de son Eglise. Votre vie, elle est donnée par celles et ceux qui s’engagent dans le mariage, un lien définitif et unique.

Frères et soeurs, être chrétien à Paris en 2006, ça n’est pas simplement être inscrit à l’Eglise, ça n’est pas simplement, encore que vous le faites certainement, payer votre cotisation avec beaucoup de régularité, ça n’est pas simplement venir à la messe le dimanche, c’est tout ça et en plus, c’est essayer d’être chrétien tous les jours, dans chaque circonstance de la vie.

Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

Homélies

Homélies