Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Cinquième dimanche du Temps Ordinaire - Année B
Dimanche 5 février 2012 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
Les signes de Salut que Jésus opère dans le vie des hommes ne doivent pas les conduire à se replier sur les dons reçus, mais sont une invitation à se porter au service des ceux qui souffrent pour leur partager les grâces du Salut.
– Jb 7, 1-4.6-7 ; Ps 146, 1.3-7 ; 1 Co 9, 16-19.22.23 ; Mc 1, 29-39
Frères et Sœurs,
Le début de l’évangile de saint Marc nous fait participer aux commencements de la vie publique de Jésus. Il nous montre comment le Christ met en œuvre sa mission, qui est de proclamer la Bonne Nouvelle et d’annoncer : « Le Royaume de Dieu s’est fait proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne nouvelle » (Mc 1, 14-15). Dans le récit du premier Sabbat à Capharnaüm (Mc 1, 21-34), nous voyons Jésus enseigner dans la synagogue, et accomplir l’œuvre de Salut annoncée dans son enseignement. Ce passage nous donne de mieux comprendre comment ce Salut se manifeste, comment il est perçu, et comment il va atteindre ceux et celles auxquels Jésus s’adresse.
Comme nous l’avons entendu dans le Livre de Job, bien souvent, « la vie de l’homme sur la terre est une corvée. Il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, l’homme ne compte que des nuits de souffrance » (Jb 7, 1-3). Combien d’hommes et de femmes à travers les siècles ont vécu leur existence avec ce sentiment d’accablement ! La maladie, les difficultés habituelles de l’existence ou les troubles personnels sont un fardeau bien lourd pour certains. Jésus, qui est venu annoncer l’avènement du Royaume, le construit pratiquement en guérissant ceux et celles qui se pressent auprès de lui. La puissance de sa parole et de ses gestes est mise au service de ces hommes et ces femmes qui subissent les peines de l’existence : une simple fièvre pour la belle-mère de Simon, mais aussi des maladies plus graves, ou la possession d’esprits mauvais. Ce faisant, Jésus rend visible, pour ces gens, le Salut que Dieu envoie. Dieu les soulage et les guérit. Il vient faire toutes choses nouvelles. Á travers ces gestes, il donne un signe concret de la vérité de ce qu’il annonce. Les guérisons qu’il accomplit sont le sceau de la venue du Salut qu’il proclame.
C’est pourquoi tous les gens de Capharnaüm et des alentours se pressent en foule autour de sa maison. Ils sont intéressés par la puissance qu’il a pour les soulager de leurs misères. Mais l’évangile de Marc nous fait comprendre tout de suite qu’il y a un décalage entre l’attente de cette foule et la mission de Jésus. Il n’est pas venu pour être le guérisseur de Capharnaüm et le thaumaturge attitré des alentours. Il est venu pour proclamer la Bonne Nouvelle à toutes les brebis perdues d’Israël. Le Christ ne peut donc pas se laisser enfermer par un groupe, pour le service d’une ville ou d’un pays.
C’est pour échapper à cette tentative d’emprisonnement qu’il prend la fuite. Dès avant l’aube, il se faufile et part dans la solitude pour prier. Et quand ses disciples viennent pour le récupérer, il leur dit : « il me faut aller ailleurs. Car c’est pour cela que je suis sorti » (Mc 1, 38). Cette formulation parle de sa sortie de la maison de Simon et de Capharnaüm pour aller prier dans un endroit tranquille. Plus profondément, elle fait allusion au fait que Jésus est sorti du Père pour venir habiter chez les hommes (Jn 16, 28). Il ne s’est pas fait homme pour se laisser accaparer par ceux auxquels il a apporté un soulagement, mais pour annoncer partout la Bonne nouvelle. Et l’évangile ajoute : « Il parcourut donc toute la Galilée, proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues, et chassant les esprits mauvais. » (Mc 1, 39).
Tout ceci peut nous faire réfléchir sur la manière dont nous-mêmes, nous vivons notre relation avec le Christ. Nous sommes peut-être tentés de le retenir ou plutôt de l’enfermer dans le bien qu’il nous fait, au risque de l’empêcher de rejoindre les villages de la Galilée alentour, c’est-à-dire notre ville, nos quartiers, nos rues, nos entreprises. Et pourtant, en ces lieux, l’Évangile est attendu. Et c’est pour qu’il y soit annoncé que Jésus est sorti d’auprès du Père. Il est venu parmi les hommes pour porter la Bonne nouvelle du Salut à toute personne, là où elle se trouve, et pas pour constituer autour de lui une cour de dévotion, chargée de le remercier des miracles qu’il a faits.
Au long de l’évangile de Marc, les disciples sont entraînés dans ce mouvement de sortie : « partons ailleurs » leur dit Jésus (Mc 1, 38). De même, le Christ nous invite à ne pas rester enclos dans la joie, la reconnaissance et la jouissance du bien qu’il nous a fait. Á partir des signes qu’il nous donne de sa présence, de sa sagesse et de la puissance de son Salut, il nous propulse plus loin. Ainsi, quand nous sommes réunis pour célébrer l’eucharistie, nous recevons du Christ sa Parole vivante et le pain qui est son Corps. Mais il ne nous comble pas de ces dons pour nous enfermer autour de lui, mais plutôt pour que nous sortions, pour que nous parcourions le monde qui nous entoure et devenions à sa suite les témoins de la Bonne nouvelle.
Comment pourrions-nous être les témoins de cette Bonne Nouvelle si, à l’exemple de Jésus, nous n’allions pas rejoindre les hommes et les femmes de notre temps dans leur souffrance, leurs déficiences ou leurs épreuves ? Aujourd’hui, comme au temps de Job, beaucoup d’hommes et de femmes souffrent dans leur chair, dans leur cœur, dans leur esprit. Ils attendent non seulement que nous annoncions la Bonne nouvelle du Royaume qui vient, mais que nous donnions les signes de cet avènement, que nous fassions quelque chose pour les soulager. Lorsque Jésus relève la belle-mère de Pierre, guérit les malades et libère ceux qui sont possédés par des esprits mauvais, la vérité de sa Parole devient manifeste et attractive. C’est pourquoi notre Église aujourd’hui doit se porter auprès de ceux qui sont abattus, malades ou dérangés. Par son attention, sa présence, ses gestes de solidarité, elle manifeste que le Salut de Dieu est une réalité pour aujourd’hui, puisqu’elle rejoint chacun et chacune dans les conditions concrètes de son existence.
Frères et sœurs, rendons grâce au Seigneur pour le don qu’il nous fait de sa vie, pour la force de sa Parole et de son enseignement, pour la puissance de la grâce qu’il nous donne dans ses sacrements. Et entendons son invitation à sortir, à sa suite, de notre ville et de notre maison pour parcourir notre Galilée, et proclamer la Bonne nouvelle : « le Royaume de Dieu est proche, convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ». Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.