Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de Pâques à Saint-Étienne du Mont
Dimanche 4 avril 2021 - Saint-Etienne du Mont (5e)
– Voir l’album-photos de la messe.
– Pâques, Résurrection du Seigneur
- Ac 10,34a.37-43 ; Ps 117,1-2.16-17.22-23 ; Col 3,1-4 ; Jn 20,1-9
Frères et sœurs,
Nous venons d’entendre comment Pierre et son compagnon ont été constitués témoins de la résurrection. « Il vit et il crut » (Jn 20, 8). Mais il ne vous a pas échappé qu’il n’a rien vu ! Ou plutôt, il a vu quelques linges pliés, mais il n’a rien vu de l’événement de la résurrection. Il n’a rien vu du moment où le Christ est passé de l’état de cadavre à l’état de personne vivante. Il a vu le tombeau vide. Il a vu l’absence du corps, ce que tout le monde pouvait voir. Tout le monde a pu voir que le corps avait disparu. Là où naît quelque chose de nouveau, c’est dans la suite.
Pour les uns, le corps a été dérobé, pour les autres, il a été caché, et pour ces témoins, l’absence du corps signifie que le Christ est vivant. Ils croient, mais ce n’est pas le tombeau vide qui constitue la base de la foi. Le tombeau vide, c’est un événement, c’est un fait, c’est quelque chose qui est à la vue et à la connaissance de tout le monde, mais de soi-même, cela n’entraîne pas que l’on croit, cela n’entraîne pas la foi, cela pose une énigme. La foi, c’est la réponse à cette énigme, mais la foi ne s’impose pas, elle se reçoit, elle se recherche, elle se nourrit, elle s’exprime, mais elle ne s’impose pas par des arguments irréfutables.
Nous savons, nous, par notre expérience de croyants combien il est difficile d’accepter que la foi ne s’impose pas, qu’elle se choisit, qu’elle se reçoit. Et dans les moments où nous réfléchissons, il nous semble que ce serait tellement mieux si Dieu nous imposait la foi. Si, au lieu de voir le tombeau vide, Pierre et son compagnon avaient rencontré le Christ ressuscité, alors on comprendrait qu’ils aient la foi, mais devant le tombeau vide, l’évangile nous dit du disciple : « il vit et il crut ». Cela veut dire que le fait du tombeau vide, l’événement du tombeau vide développe une interprétation. L’interprétation du disciple devant le tombeau vide est nourrie par les paroles qu’il a reçues du Christ, lui qui leur avait annoncé sa mort et sa résurrection. Mais au moment où il leur a donné ces paroles, ils ne les ont pas comprises : « jusqu’à présent ils n’avaient pas compris que Jésus devait ressusciter d’entre les morts » (Jn 20,9).
L’événement, c’est donc le déclic qui va permettre de faire remonter de leur mémoire les annonces du Christ. C’est le déclic qui va faire remonter de leur mémoire l’histoire des événements qui ont abouti à la mort de Jésus et qui se développent aujourd’hui par sa résurrection. Si bien que, nous-mêmes, nous sommes sollicités pour savoir quelle parole, quelle expérience, quelle mémoire nous permet d’interpréter l’événement, non pas comme un signe de mort mais comme un signe de vie. Qu’est-ce qui fait que nos tombeaux vides nous permettent de croire à la résurrection du Christ ? Ou bien sommes-nous à ce point démunis de toute mémoire de la parole de Jésus, de toute mémoire de l’histoire du salut tel que Dieu l’a développé avec son peuple, que devant les tombeaux vides nous restons muets et incapables de comprendre ?
Des tombeaux, nous en avons à loisir, tous les jours en bas de l’écran de votre télévision. Vous voyez la somme des morts, la somme des morts en France, la somme des morts dans le monde, et même s’il n’y avait pas cette pandémie et cette efflorescence de morts à travers l’univers, nous savons que la mort est au cœur de notre expérience humaine. Nous savons qu’elle est le terme de cette vie que nous menons ici-bas, nous savons qu’elle est incontournable, et nous comprenons mieux comment notre société, qui a tout fait pour escamoter la réalité de la mort, se trouve complètement démunie devant ce retour de la réalité.
Oui, ces tombeaux vides ne disent rien. C’est à nous, témoins fidèles du Christ ressuscité, que la question est posée. Que nous disent ces tombeaux vides ? Comment sommes-nous capables, non pas de nier leur existence mais de déchiffrer, d’interpréter leur réalité comme un signe de la résurrection du Christ, comme un message du Christ ressuscité pour faire comprendre à tout homme que la réalité de ce monde n’est pas la totalité de l’expérience humaine, qu’il y a un monde plus fort, plus vivant, plus harmonieux, plus heureux, qui nous fait nous tourner vers les réalités d’en-haut, sans nous laisser enfermer dans les réalités d’en-bas. Ces réalités d’en-bas nous les connaissons, nous les supportons, nous les affrontons, nous les combattons parfois, mais toujours nous savons qu’elles ne sont qu’une étape, un moment, un degré dans la découverte du monde que Dieu veut pour les hommes : un monde de vie et d’amour.
C’est de cela que nous sommes témoins. Le tombeau vide est le signe que le Christ est vivant. Le tombeau n’est pas le signe qu’on l’a perdu, c’est le signe qu’il nous retrouve et qu’il nous entraîne avec lui dans la communion avec Dieu.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.