Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe d’action de grâce à l’occasion des 75 ans de Mgr Michel Pollien - 26e Dimanche Temps Ordinaire - Année B
Samedi 29 septembre 2012 - Cathédrale Notre-Dame
Comme les Apôtres, nous sommes appelés par le Christ à découvrir que Dieu travaille l’humanité au-delà de nos catégories. Nous ne sommes pas les propriétaires de la Bonne Nouvelle mais les intendants chargés d’ouvrir ce trésor du Christ aux hommes.
– Voir l’album-photos de la célébration.
– Voir le dossier “Mgr Michel Pollien”.
Introduction du Cardinal André Vingt-Trois
Frères et sœurs,
Notre célébration de ce soir prend un caractère un peu particulier, puisque c’est une messe d’action de grâce pour le ministère de Mgr Michel Pollien, qui a atteint l’âge de 75 ans et que le Saint Père a accepté de décharger de sa mission. En parcourant vos rangs il me semblait que je remontais petit à petit à travers les couches successives des paroisses où le Père Pollien avait exercé son ministère, et des doyennés et des secteurs du diocèse de Paris dans lesquels il a travaillé pendant 46 ans comme prêtre, 16 ans comme évêque. Les nombreux prêtres qui m’entourent ce soir témoignent de l’amitié et de l’affection avec laquelle ils étaient et sont toujours en relation avec lui.
Rendre grâce cela veut dire que nous reconnaissons qu’à travers le ministère de Michel Pollien quelque chose nous a été donné, au-delà de ses qualités personnelles que nous avons tous connues et dont nous avons tous bénéficié, quelque chose nous a été donné qui vient de Dieu. C’est donc une joie particulière pour nous de célébrer cette action de grâce et de manifester notre amitié et notre affection à Michel Pollien. Il se trouve, pour des raisons que vous pouvez attribuer à la Providence mais qui sont liées en fait aux contraintes du calendrier, que nous célébrons cette messe le jour de la saint Michel, c’est en même temps l’occasion de lui souhaiter une bonne fête ainsi qu’à tous les Michel, Gabriel, et autres anges qui peuvent peupler la cathédrale !
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
– Nb 11, 25-29 ; Ps 18, 8.10.12-14 ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38-43.45.47-48
Frères et Sœurs,
En poursuivant la lecture de l’évangile de saint Marc, nous sommes entraînés sur le chemin où Jésus prépare ses disciples et essaye de leur faire découvrir ce qu’il y a de particulier dans sa mission et ce qu’ils vont devoir assumer dans leur propre mission.
Dimanche dernier, vous vous en souvenez sans doute, il leur disait que celui qui veut être le plus grand doit se faire le serviteur de tous, et ce soir dans un autre passage de l’évangile de Marc nous sommes témoins d’une discussion entre Jésus et ses disciples, dont la pointe est de rappeler qu’ils sont envoyés pour reconnaître la présence et l’action du Christ chez ceux qui invoquent son nom, et non pas pour s’instituer dans une sorte de chapelle privilégiée, hors de laquelle il n’y aurait pas de salut. Ce qui va être l’élément déterminant du salut, ce n’est pas le lien organique que l’on peut avoir avec le Christ, c’est l’authenticité de notre vie et c’est la capacité où nous sommes, dans notre liberté, de provoquer le scandale des petits ou au contraire de les encourager à la mesure de leur force.
Nous sommes vertueux, enfin nous essayons de l’être, mais parfois nous sommes tout prêts à jeter la pierre sur ces disciples un peu « bouchés » qui ne comprennent jamais ce que Jésus leur dit et qui continuent à suivre leur idée sans se laisser atteindre par ce qu’il y a de surprenant et de provoquant dans la parole du Christ. Mais si nous voulons un instant oublier notre vertu et revenir sur notre propre existence, nous pourrons découvrir, nous aussi, combien nous sommes facilement entraînés sur la pente de ceux qui ne retiennent que le nom de ceux qui les suivent. Ce qui disqualifie ces hommes qui chassent les esprits mauvais au nom de Jésus, c’est aux yeux des Apôtres « qu’ils ne sont pas de ceux qui nous suivent » (Mc 9, 38). C’est-à-dire que les apôtres imaginent qu’ils ont une exclusivité sur Dieu. Ils ont transformé le canal de la grâce en propriété privée, ils ont imaginé que, parce qu’ils étaient utiles pour mettre en communication les hommes avec le Christ, ils avaient reçu l’exclusivité de la porte d’entrée, et qu’ils pouvaient empêcher ceux qui ne les suivaient pas d’invoquer le Christ.
Mais oui, c’est bien naturel, c’est bien humain d’imaginer que parce que l’on a une mission particulière, elle exclue les autres, d’imaginer que parce que Dieu nous a confié une tâche, il en a dépossédé les autres, d’imaginer que la richesse et la miséricorde de Dieu peuvent être contrôlées et limitées par notre propre conception de la vie et du monde. Et pour nous, qui succédons aux apôtres et qui participons au ministère apostolique, c’est une conversion permanente de découvrir que Dieu est plus grand que ce que nous faisons, que Dieu est plus grand que nos entreprises, que Dieu est plus grand que nos conceptions, et qu’il va toucher le cœur de l’homme à travers nous ou sans nous, à travers ce que nous faisons ou sans ce que nous faisons, à travers ce que nous disons ou sans ce que nous disons. C’est une conversion permanente qui nous met dans la véritable situation des disciples du Christ, c’est-à dire de ceux qui sont les admirateurs de l’action de Dieu au cœur du monde et dans le cœur des hommes. Il ne nous envoie pas pour trier le bon grain et l’ivraie, il ne nous envoie pas pour juger la responsabilité des uns et des autres, il ne nous envoie pas pour exclure, il nous envoie pour être les témoins de l’amour universel qu’il va manifester par les bras ouverts fixés sur la croix. Il est venu pour rassembler l’humanité tout entière et il est prêt à reconnaître les signes les plus faibles, les plus ténus, les moins spectaculaires, les plus discrets, qui germent dans le cœur de l’homme pour manifester que, dorénavant, Jésus est quelqu’un pour eux. Ce ministère de la charité de Dieu à l’égard du monde, de la miséricorde du Christ à l’égard des hommes, il nous transforme car nous aussi nous avons nos a priori, nous avons nos idées, nous avons nos familles de pensée, nous avons même des convictions parfois, nous avons le sentiment que nous savons un certain nombre de choses. Et il nous faut apprendre, jour après jour, à redécouvrir que Dieu travaille l’humanité au-delà de ce que nous pensons, au-delà de notre culture, au-delà de nos idées, au-delà de nos convictions. Quelqu’un qui invoque le nom de Jésus ne peut pas vraiment être contre lui, et cela n’est pas à moi de lui dire qu’il est contre Jésus.
Cette charité pastorale du Christ, dont nous sommes les serviteurs, nous essayons de la mettre en œuvre comme nous pouvons, avec nos faiblesses, mais nous essayons surtout d’en vivre, car où serions-nous si Dieu avait mis des filets et des barrières tellement étanches sur notre route que nous n’aurions pas pu atteindre le Christ ?
Il m’est arrivé, assez souvent, de découvrir dans l’écho que Michel Pollien nous donnait de son ministère épiscopal, la trace de cette capacité de reconnaître l’action du Christ dans le monde, la trace de cette capacité d’aimer ceux qu’il nous donne à aimer, la trace de cette capacité d’être témoins de l’ouverture du Christ et de son Église et non pas gardiens de leur fermeture.
On nous critique souvent parce que nous ne serions pas assez revendicatifs pour les droits des chrétiens, comme si nous étions une religion comme les autres, ou un groupe particulier qui doit réclamer à corps et à cris ce qui lui est dû. Mais nous oublions que nous sommes témoins de quelqu’un qui embrasse le monde entier, nous oublions que nous sommes témoins de quelqu’un dont la perspective n’est pas de se situer par rapport aux autres, mais de laisser l’amour de Dieu transformer le monde et de participer à cette transformation. Nous oublions que nous sommes témoins d’une visée universelle et que les péripéties qui passent année après année, décennie après décennie, ne changent rien à cette visée universelle. Nous sommes les serviteurs et les disciples de Celui qui n’a pas revendiqué le rang qui l’égalait à Dieu, mais qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix, et qui a accepté de prendre sur lui l’adversité, la violence, la haine.
Frères et sœurs, en rendant grâce pour le ministère de Michel Pollien, nous rendons grâce pour cette action du Christ à travers le monde, nous rendons grâce pour la mission de son Église qui doit continuellement se renouveler dans sa capacité d’accueillir les signes mêmes les plus petits, d’une pensée, d’une parole, d’un lien avec le Christ. Nous ne sommes pas propriétaires du Christ, nous sommes les messagers, les intendants, nous sommes là pour ouvrir le trésor du Christ aux hommes. Demandons au Seigneur qu’il nous fasse trouver notre joie dans cette mission continuellement à renouveler.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.