Bilan – Taizé, une rencontre européenne au cœur d’une paroisse

Paris Notre-Dame du 9 janvier 2003

Pendant des semaines, des paroissiens de St-Étienne du Mont (5e) ont préparé l’accueil de 170 jeunes pèlerins. Comment ces Parisiens ont-ils vécu la rencontre européenne de Taizé.

Ils étaient 80 000 dans des familles ou logés dans des gymnases et des écoles. Ils ont pris part à la vie des paroisses, écouté des témoignages, participé aux prières de Taizé à la Porte de Versailles, partagé avec d’autres ce qu’ils vivent sur le plan spirituel… C’est sûr, les pèlerins de cette 25e rencontre européenne de Taizé ont vécu une expérience très riche rapportée – avec bienveillance – par la plupart des médias. Ce qu’on a ignoré, ou plutôt ce dont on a le moins parlé, ce sont ces centaines de Franciliens qui ont accueilli les jeunes. Enrica, Éric, Benoît en font partie. Eux aussi, ils ont vécu la Rencontre, mais d’une toute autre façon. Pendant des semaines, voire des mois, ils ont donné leur temps et leur énergie. Et pendant l’événement, parce qu’il a fallu gérer les questions d’hébergement, contacter les derniers témoins, préparer des temps de prière à la paroisse ou traduire dans toutes les langues, ils n’ont pas eu une minute à eux.

Difficultés. Nous sommes à St-Étienne du Mont (5e). Sur les 170 jeunes accueillis par la paroisse, un grand nombre de nationalités sont représentées : Polonais, Yougoslaves, Allemands, Italiens, Russes, Japonais, Anglais, Irlandais... Si la majorité a participé à cette rencontre pour vivre une expérience de foi, quelques-uns sont venus « attirés par les lumières de Paris », confie cette paroissienne. Deux jeunes, par exemple, ont passé une journée à Eurodisney. Et pour ceux qui les ont accueillis, ce fut difficile à accepter. « Je trouve cela dommage. Et je suis aussi déçue : les pèlerins que j’ai accueillis partaient très tôt et revenaient très tard, poursuit cette paroissienne. Nous n’avons pas eu le temps de partager. » Autre difficulté pour accueillir cette rencontre de Taizé : parvenir à mobiliser les bonnes volontés des paroissiens fort occupés à vivre leur temps de Noël en famille ou à préparer la neuvaine de Ste-Geneviève. Et pourtant, malgré cela, parmi les cinquante personnes qui ont ouvert leur porte, le bilan est positif.

Découverte. À St-Étienne du Mont, trente quatre familles ont accueilli des pèlerins chez eux et une quinzaine de jeunes fidèles se sont chargés d’organiser les rencontres prévues cette semaine à la paroisse. Pour certains, c’était une »première » avec Taizé. Benoît, 27 ans, a fait deux ans de coopération en Russie. Il est revenu en France voici huit mois et s’est investi à St-Étienne du Mont. Il n’avait jamais entendu parler de Taizé. « J’ai beaucoup donné et j’ai beaucoup reçu, explique-t-il. J’ai été très touché par cette allégresse, cette joie ambiante et la foi de ceux que j’ai rencontrés. Lors d’une prière à la porte de Versailles, j’ai échangé quelques mots avec Frère Roger. Il m’a profondément ému tant il incarne son message. Il rayonne. » Pendant la rencontre, Benoît a accompagné le groupe des Russes présents à la paroisse et a hébergé quelques-uns des pèlerins chez lui. Une expérience marquante. « Ces gens de l’Est ont souvent des vies difficiles. Du coup, certains s’attachent très fortement à la personne du Christ. Ils ont une grande foi. Je pense à cette mère et à sa fille que j’ai accueillies chez moi. Tous les soirs, nous avons prié ensemble. Pour elles, cela n’était pas quelque chose d’exceptionnel, car tous les jours, en famille, elles prient. Mais pour moi qui aspire à être père de famille, c’est un enseignement. »

Confiance. Enrica Zanin, quant à elle, est familière de Taizé. C’est d’ailleurs grâce à cette communauté qu’il y a six ans, elle a renoué avec l’Eglise. « Dans la prière, j’ai vécu une expérience très forte », confie-t-elle. Deux ans plus tard, Enrica faisait sa première communion. Et aujourd’hui, grâce à son engagement dans l’accueil, elle découvre. « Je n’imaginais pas que ce travail demandait un tel investissement. Avec mon caractère très volontaire, j’ai toujours cru que je pouvais tout faire par moi-même. Je ne savais pas demander. Mais là je n’avais pas le choix, j’ai dû faire confiance, demander à d’autres paroissiens de m’aider, et j’ai vraiment découvert ce qu’est la Providence. Je sais maintenant que je peux m’abandonner complètement à
Dieu et que je serai toujours soutenue. Aujourd’hui, la phrase de saint Paul « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12, 9-10) a pris du sens pour moi. J’ai également fait connaissance de paroissiens extraordinaires qui m’ont beaucoup soutenue. Et puis, malgré les difficultés de tous ordres, dans l’équipe d’accueil l’ambiance était très chaleureuse. »

Cadeau. D’autres, plus jeunes, engagés dans l’accueil, ont été touchés par des signes simples. Éric, 20 ans, a accueilli six jeunes chez lui. Lorsqu’on lui demande ce qu’il retient de cette rencontre, il n’a aucune hésitation : « Le cadeau que m’a fait une Russe que j’ai accueillie, une boule de Noël. C’est si fragile une boule de Noël... Je sais qu’elle y a fait attention pendant le voyage, elle a pris soin de bien l’emballer. D’ailleurs cela prenait beaucoup de place dans son sac à dos. Toute cette attention pour l’offrir à un inconnu... je trouve ce geste très beau. » Éric, en plus de son aide pour l’organisation de la Rencontre, a dû préparer ses ex mens. Résultat, il n’a pas pu participer aux prières à la Porte de Versailles. « Qu’importe, confie-t-il, j’ai vécu cette rencontre d’une autre façon. Et c’était très bien. comme ça. » Pendant ces quelques jours, à Paris et en Île-de-France, des centaines de paroissiens ont ainsi porté la Rencontre, par la prière. Et eux aussi, pèlerins, étaient au rendez-vous de la confiance.

Sylvain Sismondi

À lire : Taizé, au vif de l’espérance. Contribution de Paul Ricoeur, Marguerite Lena, les cardinaux Martini et Danneels... Bayard, 256 p, 17 €.

Point de vue – Marguerite Lena : « Frère bien-aimé en Christ, tu peux t’en retourner vers Taizé, en paix »

Marguerite Léna, philosophe, Communauté apostolique Saint-François-Xavier

« “J’irais jusqu’au bout du monde, si je le pouvais, pour dire et redire ma confiance dans les nouvelles générations”. À plusieurs reprises, au cours de la rencontre de Paris, Frère Roger a répété cette phrase, où se dit peut-être le secret de Taizé. Celui qui, en 1940, s’est enfoui en terre clunysoise, que pense-t-il aujourd’hui, en voyant déferler, dans le hall anonyme de la Porte de Versailles, la houle de milliers de visages ? Le silence des années obscures est devenu le silence de ces milliers, envahissant littéralement l’espace comme une respiration innombrable des âmes. La confiance faite à un appel entendu à l’intime du cœur est devenue cette immense vague joyeuse de confiance submergeant, en ce gris hiver parisien, métros et bus, trottoirs et chaussées. Frère Roger ne peut plus guère aller au bout du monde, pas davantage peut-être que la petite Thérèse, rêvant des terres les plus lointaines ; pas plus que François-Xavier, mourant aux portes de la Chine sans pouvoir y entrer. Quand un désir vient de Dieu, sa réalisation dépasse toujours les frontières de nos vies et de nos pouvoirs, déborde en Eglise comme une marée trop forte. Mais ce soir le bout du monde est là, dans ce parc des Expositions où s’expose l’âme priante d’une Europe qui échappe à ses limites géographiques. Et les nouvelles générations sont là, en cette veille de premier janvier où la voix d’un vieil homme couvre les rumeurs de guerre. Et tandis que chacun chante en sa propre langue les merveilles de Dieu, une même mélodie fond toutes ces langues en une seule louange.

Frère bien-aimé en Christ, tu peux t’en retourner vers Taizé, en paix. Nos yeux ont vu, dans des milliers de regards, renaître et jaillir les eaux vives de la confiance. »

Le document – Mgr Jean-Marie Lustiger : « Là où sévit la haine, montrez la force de l’Amour [...] Avancez hardiment vers l’avenir. »

« Dieu nous aime. Dieu vous aime. Il vous a choisis dès avant la création du monde pour que vous deveniez les frères et les sœurs du Christ. Dieu vous aime. Il vous donne le pouvoir de l’aimer. Dieu est Amour. Et cet Amour est la vie des hommes. Cet Amour est notre vie. Jésus donne le secret de l’Amour. Nous aimer comme Il nous aime. Aimer c’est vouloir l’autre pour lui-même et non pour mon plaisir ou mon utilité. Aimer, c’est me réjouir de ce que l’autre existe et qu’il vive. Aimer, c’est trouver ma joie à donner et non à recevoir. Aimer, c’est accomplir pour chaque être humain ce que Jésus a fait pour moi, pour vous. Il n’y a pas de plus grand amour, nous dit-il, que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Jésus nous donne sa joie parce qu’il nous donne le pardon de nos péchés, de nos inimitiés, de notre peu d’amour, de nos trahisons. Nous verrons et nous connaîtrons la joie de Jésus lorsqu’en Lui, avec Lui et par Lui nous aimerons même nos ennemis, ceux qui ne nous aiment pas. Alors en vous viendra ainsi le Règne de Dieu. Et vous vivrez, même si l’on vous tue puisque vous donnerez votre vie avec Jésus. Et vous vivrez, même si la haine vous écrase, puisque vous pardonnerez par Lui. Et vous vivrez, même si l’on vous méprise, et même si l’on vous persécute à cause de Lui, puisque vous goûterez la vie ressuscitée en Lui. Nous avons reçu dans le passé la joie de l’Évangile ; vous voici en ce nouveau millénaire, vous êtes les messagers que le Christ envoie. Vous êtes les dépositaires de son seul trésor : l’Amour de Jésus qui porte les péchés du monde, l’Espérance de tous les peuples. Guérissez les blessures du passé. Là où sévit la haine, montrez la force de l’Amour. Partagez les richesses que Dieu vous a confiées. Avancez hardiment vers l’avenir. Jésus tous les jours est avec vous, jusqu’à la fin du monde. »

Mgr Lustiger aux jeunes de Taizé, dimanche 29 décembre à la Porte de Versailles.

« L’accueil, c’est l’expérience de la confiance en Dieu »

Paroissiens de St-Étienne du Mont (5e), Florence et Patrick ont accueilli avec leurs enfants des jeunes pèlerins de la Rencontre européenne de Taizé. Récit d’une expérience réussie.

« Nous avons accueilli cinq pèlerins : quatre italiennes et une jeune fille russe. Le fait de s’ouvrir à d’autres a beaucoup enrichi notre dialogue de couple et notre prière. Ce fut une expérience forte, non seulement pour nous, mais également pour nos quatre enfants. Ici, nous vivons dans le confort et nos enfants évoluent dans un milieu privilégié.

C’était important qu’ils voient ce que vivent des jeunes d’autres pays. Nous avons été particulièrement touchés par l’histoire de la jeune fille russe que nous accueillions. En Russie, elle loge avec son frère et ses parents dans une seule pièce. Comme beaucoup d’autres jeunes, lorsqu’elle veut sortir, elle ne peut pas se payer un café ou une autre boisson tant les revenus de sa famille sont modestes... Elle nous a demandé de beaucoup prier pour elle et nous avons été bouleversés de voir à quel point elle croyait dans la force de la prière.

Un acte d’abandon. Accueillir c’est se confronter à l’inconnu. Au tout début, nous avions des peurs : peur que les cinq jeunes filles ne s’entendent pas entre elles, peur qu’elles ne parlent pas un mot de français, que cela se passe mal... Or l’accueil est justement l’expérience de la confiance en Dieu qui permet de traverser toutes ces peurs pour dire « Qui que tu sois, au nom du Christ, je t’accepte comme tu es ». Accueillir est un acte d’abandon. Le fait d’avoir vécu cette expérience avec nos enfants était une occasion de leur transmettre cette confiance.

Découvertes. L’accueil tient une place centrale dans la foi. Il est, par excellence, l’expression de ce que doit être une communauté chrétienne. Lors de cette rencontre, nous avons pris conscience que c’est un aspect que nous avions tendance à négliger, notamment auprès des nouveaux venus sur la paroisse.

Enfin, lors des différents réunions pour préparer l’accueil de cette rencontre, nous avons fait connaissance avec certains paroissiens. Notamment les jeunes qui se sont beaucoup investis et que, d’habitude, nous fréquentions moins. Le bilan de cette expérience ? Les liens communautaires d’une partie des paroissiens réellement renforcés. »

Sylvain Sismondi

Article de Paris Notre-Dame – 9 janvier 2003

S’abonner à Paris Notre-Dame

Formule intégrale : version papier et numérique

Formule 100 % numérique

Articles
Contact

Paris Notre-Dame
10 rue du Cloître Notre-Dame
75004 Paris
Tél : 01 78 91 92 04
parisnotredame.fr

Articles