Conte de Noël 2023 - Le Prince de la forêt
Jade, écolière de CE1, et ses frère et sœur jumeaux Adam et Alba, ont suivi un camarade jusque chez lui. Mais sa maison n’est pas une maison ordinaire... Une incroyable surprise les attend de l’autre côté de la porte !
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Présentation des personnages
Chapitre 1 - De l’autre côté de la porte
Episode 1 audio
C’était une froide journée de décembre. Il faisait sombre, comme si le soleil avait oublié de se lever, mais les CM2 étaient bien au chaud dans leur classe. Ce matin, par la fenêtre, les enfants pouvaient voir sur le clocher de l’église les guirlandes encore allumées. En effet, c’était bientôt Noël et tout le monde était un peu excité. En fin d’après-midi, la maîtresse avait écrit un étrange mot sur le tableau : thaumaturge.
− Au Moyen-Âge, on disait des rois qu’ils étaient thaumaturges. Quelqu’un connaît-il la signification de ce mot ? demanda la maîtresse.
Une seule main se leva : celle de Régis, le meilleur élève de classe.
− Cela signifie qu’ils pouvaient guérir les gens juste en les touchant, dit-il d’une voix douce.
− Tout à fait. Merci, Régis. Oui, c’est ce que les gens croyaient…
Au fond de la classe, le grand Fabien et ses copains n’écoutaient plus la maîtresse. Ils s’étaient mis à ricaner. Adam échangea un regard entendu avec sa soeur jumelle Alba : comme d’habitude, Fabien et ses copains devaient sûrement se moquer de Régis. Adam et Alba étaient des faux jumeaux, mais ils se ressemblaient tout de même beaucoup. Ils avaient la même taille, les mêmes cheveux bruns, les mêmes fossettes et les mêmes yeux qui pétillaient toujours. La théorie d’Adam sur la méchanceté du grand Fabien tenait en un mot : la jalousie. Non seulement Régis était le premier de la classe, mais en plus il ne s’en vantait jamais. « Forcément, ça agace », concluait Adam. Alba mettait aussi les moqueries de Fabien sur le compte des bizarreries de Régis, qui s’entendait mieux avec les adultes qu’avec les enfants, qui lisait d’énormes livres reliés en cuir… Son anniversaire tombait le jour de Noël, ce qui fait qu’il n’avait des cadeaux qu’une fois par an. C’était assez curieux. Même ses yeux étaient particuliers : des yeux d’un bleu très sombre, comme un lac de montagne au crépuscule.
La cloche sonna et les élèves s’égaillèrent dehors. Devant l’école, Alba et Adam attendaient leur petite soeur Jade pour rentrer, lorsque des cris attirèrent leur attention. Le grand Fabien avait pris le livre de Régis.
− Rends-moi mon livre !
− Attrape-le, attrape-le ! disait le grand Fabien en ricanant, mais il était tellement grand que Régis n’atteignait pas le livre.
Fabien poussa sans ménagement Régis qui tomba par terre. Sans se concerter, Adam et Alba se précipitèrent : Fabien ne leur faisait pas peur ! En un tour de main, ils relevèrent Régis et récupérèrent le livre.
− Tu rentres seul habituellement, n’est-ce pas ? Nous aussi. Nous allons te raccompagner, pour éviter qu’il ne t’embête de nouveau.
Arrivée à la fin de l’altercation, Jade avait ramassé une très jolie boîte tombée du cartable de Régis. Elle s’apprêtait à la rendre, mais les jumeaux ne lui en laissèrent pas l’occasion.
− Où étais-tu ? La cloche a sonné il y a déjà dix minutes, lui reprocha Alba.
− Allons-y, on a assez perdu de temps, enchaîna Adam.
Jade mit la boîte dans son cartable en se disant qu’elle la rendrait plus tard… Si on lui demandait poliment ! Sur le chemin, elle ne desserra pas les dents. Elle en avait assez que les jumeaux la traitent comme un bébé. Elle avait sept ans, tout de même ! Elle savait déjà lire et faire du vélo. Ce n’était pas juste ! Elle ralentit devant une vitrine où était exposée une crèche : des centaines de santons, des petites maisons, des arbres, et au centre, Joseph, Marie, l’âne et le bœuf, un ange et une étoile au-dessus… Elle adorait cette vitrine.
− Dépêche-toi ! cria Alba d’un air excédé. Il faut toujours qu’on t’attende ! C’est énervant, à la fin.
Un instant plus tard, Régis s’arrêta devant une très vieille maison à colombages.
− Merci pour tout, dit-il. Vous pouvez y aller, maintenant, je suis arrivé.
Il ouvrit à peine la porte et se glissa dans la maison, mais les jumeaux eurent tout de même le temps de glisser un oeil curieux dans l’entrebâillement.
− Oh ! Tu as vu ? s’exclama Alba.
− Eh bien ça alors ! souffla Adam.
C’était à peine croyable : dans la maison de Régis, il y avait de la neige ! Aussitôt, Alba avança son pied pour empêcher la porte de se refermer.
− On y va ?
− On emmène Jade ?
Double coups d’oeil vers Jade, qui les foudroya du regard.
− Si vous me laissez de côté, je dis tout à Maman.
Ils poussèrent la porte… Et au lieu d’entrer dans une maison, ils eurent l’impression d’arriver dans une forêt enneigée. A travers les branches des arbres, ils voyaient des étoiles. Derrière eux, la porte semblait tenir dans le vide, et par l’ouverture ils voyaient encore la rue. Devant eux, une lueur chaleureuse faisait son chemin entre les troncs. En la suivant, ils découvrirent bientôt un petit chalet. La lumière brillait derrière les rideaux tirés, et de la fumée sortait de la cheminée. Ça sentait bon le feu de bois ! Alba frappa avec hésitation. Un vieux monsieur, avec une grosse barbe, vint leur ouvrir.
− Ah, je crois que nous venons de trouver la maison du Père Noël, s’exclama Jade.
− Tais-toi, tu dis n’importe quoi, siffla Adam entre ses dents.
− Vous ne devriez pas être ici, les enfants, dit le monsieur. Vous êtes des étrangers.
− Non, nous sommes des amis de Régis, répondit courageusement Alba.
− Régis ? C’est mon neveu. Il habite chez nous.
Le monsieur fit entrer les enfants. Tout était en bois à l’intérieur, avec un tapis rouge devant la cheminée. Régis se leva de la table où il goûtait. Il avait l’air mécontent.
− Régis, quel est cet endroit ? demanda Adam sans lui laisser le temps de parler.
− C’est le Royaume de la Forêt. C’est chez moi. Et vous n’auriez pas dû me suivre !
− Pourquoi fait-il déjà nuit ici ? répliqua Alba.
− Le roi est mort. Son héritier ne s’est pas encore dévoilé. Chez nous, quand il n’y a plus de roi, c’est la nuit.
Une dame était entrée dans la pièce : sans doute la tante de Régis.
− Régis, dit-elle, puisque tes amis sont là, offrons-leur au moins un chocolat chaud et du pain d’épices avant de les raccompagner dans leur monde.
Ils s’assirent devant le feu. Adam, qui avait beaucoup lu, devina ce qui avait pu se produire : ils étaient entrés dans un univers parallèle, ce qui n’arrive normalement que dans les histoires.
− Quand l’héritier aura onze ans, expliqua Régis, il se fera reconnaître en rapportant l’étoile-fruit qui a été cueillie à sa naissance. L’étoile-fruit brille très fort : on la met en haut du plus grand arbre du Royaume, et le jour revient. Les personnes savantes l’appellent le ‘Sylastre’, mais je trouve qu’étoile-fruit, c’est plus joli.
− Pourquoi l’héritier ne la rapporte-t-il pas tout de suite ?
− Parce que les lois du Royaume disent qu’il doit grandir comme un enfant normal jusqu’à onze ans. Et puisque le roi est mort, c’est un Régent qui s’occupe du Royaume. Ce n’est pas si mal pour l’héritier, non ?
− Où est-elle, cette étoile-fruit ? demanda Alba.
− L’héritier la garde dans une boîte spéciale. Mais je vous expliquerai plus tard. Il faut que je vous ramène chez vous, maintenant, parce que les étrangers n’ont pas le droit d’entrer dans le Royaume de la Forêt. On pourrait se faire sérieusement enguirlander !
− Tu as raison ! s’affola Adam. Cela fait une demi-heure au moins que nous sommes là. Maman va s’inquiéter !
− De ce côté, ne t’en fais pas : le temps ne passe pas de la même manière dans le Royaume de la Forêt. Ici, cela fait une demi-heure, mais chez toi, seulement la moitié d’une seconde a passé. Mais allons-y, je n’aimerais pas que vous soyez découvert par les gardes…
Les enfants se levèrent tous les trois. Tous les trois ? Mais n’étaient-ils pas quatre en arrivant ? Ils réalisèrent alors avec horreur que Jade avait disparu.
En arrivant au chalet, Jade était encore fâchée contre les jumeaux. Quand Adam la rabroua après sa remarque sur le Père Noël, ce fut la goutte d’eau de trop. Aussi, elle n’entra pas avec eux. Elle décida d’explorer un peu ; mais la forêt était très sombre. Elle se rendit compte au milieu d’une clairière qu’elle ne savait plus par où elle était arrivée. Elle posa son cartable au sol pour y prendre son goûter et s’assit sur une bûche. Elle remarqua alors une faible lueur qui émanait de la petite boîte ramassée devant l’école. Quelle aubaine, elle qui avait besoin de lumière ! Elle l’ouvrit sans réfléchir.
Adam, Alba, Régis, son oncle et sa tante, tous cherchaient Jade dans le bois, lorsqu’une lumière les aveugla. La neige devint brillante, et les stalactites qui pendaient aux branches étincelèrent comme des diamants.
− Oh, non ! gémit Régis avant de se mettre à courir en direction de la lumière.
Lorsqu’ils arrivèrent dans la clairière, Jade pleurait, le visage dans ses mains. Une troupe de gardes l’encerclait, leurs lances pointées vers elle. Un homme bedonnant avec une calvitie s’avança vers elle.
− Une étrangère ! s’exclama-t-il. Elle est entrée frauduleusement dans le Royaume et a volé le Sylastre ! Elle sera punie !
Régis avait reconnu le Régent du Royaume à sa grande cape noire brodée d’argent.
− Attendez ! dit-il. Jade est une amie, elle ne peut pas savoir ce que représente le Sylastre. Elle va sûrement nous dire où elle l’a trouvé.
− Je l’ai juste ramassé, gémit Jade. Oh, mes yeux, mes yeux !
Régis et les jumeaux se tournèrent vers elle, mais Jade se remit à pleurer sans pouvoir prononcer la moindre parole.
− Mais à qui le rendre désormais ? Comment savoir à qui il appartient ? fit le Régent avec un rictus. Quel dommage que l’héritier ne se révèle que le 25 décembre, jour de ses onze ans !
− C’est dans quatre jours seulement. Laissez-le à Jade, et elle le rendra d’elle-même à l’héritier !
− Je n’en ai aucune preuve, et je ne prendrai pas ce risque, dit le Régent en ricanant.
Le Régent rangea l’étoile-fruit dans sa boîte… Et il mit la boîte dans sa poche. La forêt parut encore plus obscure qu’avant, parce que les yeux s’étaient habitués à la lumière. Jade pleurait toujours en se frottant les yeux.
− Nous la jugerons le 25 décembre, puisque à cause d’elle nous ne saurons jamais qui est l’héritier, dit le Régent.
Le Régent avait l’air très satisfait. Les gardes semblaient plutôt consternés, à l’exception de leur capitaine, un grand homme aux cheveux si blonds qu’ils étaient presque blancs, avec une large cicatrice sur le menton.
− Ne t’inquiète pas, Jade, nous allons te sortir de là ! cria Adam. Nous ne t’abandonnerons pas !
− Oui, ne pleure pas, tu peux compter sur nous ! ajouta Alba. Courage !
− Je vous crois, dit la petite fille au milieu de ses sanglots, mais je ne vois rien ! Plus rien du tout ! La grande lumière… Elle m’a rendue aveugle !
Les gardes emportèrent Jade, tâtonnant dans le noir et toujours pleurant. Régis et les jumeaux étaient atterrés : Jade resterait-elle aveugle toute sa vie ? Pouvait-elle guérir ? La forêt était magnifique sous la neige, et les étoiles brillaient, mais ils n’avaient plus le cœur à s’émerveiller. Le rêve se transformait en cauchemar !
− Rentrons au chalet, dit Régis d’un air décidé. J’ai une idée pour sauver Jade.
Chapitre 2 - Prisonnier !
Épisode 2 audio
Bientôt ils furent tous rassemblés devant un réconfortant feu de cheminée : Régis, son oncle et sa tante, Alba et Adam.
− Pourquoi Jade a-t-elle perdu la vue ? demanda-t-il. Va-t-elle la retrouver ?
− Elle a peut-être été simplement éblouie par la lumière, suggéra Alba.
− Hélas, je ne crois pas, dit l’oncle de Régis. Elle a dû regarder directement dans l’étoile-fruit.
− C’est un peu comme regarder le soleil très longtemps, dans votre monde, ajouta la tante de Régis. Beaucoup de gens ont ainsi perdu la vue.
− Peut-on la guérir ? demanda Alba.
− Il faudrait déjà commencer par la délivrer ! s’exclama Adam. Régis, tu disais que tu avais une idée ?
Tous les regards se tournèrent vers Régis.
− Oui. L’étoile-fruit, comme son nom l’indique, pousse sur un arbre. Au début, c’est une fleur. Quand un héritier naît, la fleur se transforme en fruit et le fruit est cueilli. Pendant onze années, le fruit est conservé dans un coffret par le prince héritier, et le jour de ses onze ans, il monte en haut du plus grand arbre de la forêt, il y place l’étoile-fruit dans une lanterne, et le printemps revient.
− Je sais ! dit Alba. Tu veux aller cueillir une autre étoile-fruit dans l’arbre et la donner à l’héritier. Comme ça, le nouveau roi relâchera peut-être Jade pour nous remercier.
− Évidemment qu’il va la relâcher. Après tout, c’est un copain ! dit Adam en glissant un clin d’œil à Régis.
− Ah, tu as compris ? demanda Régis.
− Je m’en doutais quand tu as dit que l’héritier était né un 25 décembre. Je me suis rappelé que ton anniversaire tombe le jour de Noël. En t’écoutant parler au Régent, j’en étais certain !
Alba était visiblement perdue. Puis, lentement, son visage s’éclaira.
− Oh ! fit-elle, le coffret que Jade a trouvé…
− Oui, il était à moi. Il a sûrement glissé de mon cartable quand Fabien m’a fait tomber devant l’école, finit Régis.
Les jumeaux dévisageaient Régis, éberlués : ils étaient donc amis avec un authentique prince !
− Ce plan a l’air parfait, mais où est-il, cet arbre ? demanda Adam d’un air énergique.
− Il n’y en a qu’un, très haut dans la montagne, sous la garde d’un vieux bonhomme qu’on appelle le Sage. Il est le seul autorisé à en cueillir les fruits, et il n’y a que le Roi qui peut le lui demander.
− Ou son héritier, j’espère !
− En tout cas, il faut que j’y aille moi-même, conclut Régis.
− Et nous venons avec toi ! s’exclamèrent les jumeaux en chœur.
− Vous en êtes certains ? Cela risque d’être long… Et peut-être dangereux.
− Eh, on parle de sauver notre petite sœur !
− C’est vrai. En plus, je me demande si elle n’a pas gardé le coffret à cause de vous.
− Que veux-tu dire, Régis ?
− Eh bien, je trouve que vous n’êtes pas toujours très sympas avec elle…
− C’est vrai, Adam, tu t’es moqué d’elle quand elle a dit que c’était la maison du Père Noël.
− Tu peux parler Alba ! Est-ce que tu ne l’as pas grondée parce qu’elle regardait cette vitrine avec la crèche ?
Les jumeaux se regardèrent, un peu gênés. Ils venaient de réaliser qu’ils n’étaient pas toujours le frère et la sœur les plus sympathiques du monde.
Mais pendant ce temps, Jade avait totalement oublié leurs disputes. Comme elle ne voyait plus rien, elle ne savait pas à quoi ressemblait le cachot où on l’avait enfermée. Elle avait peur, bien-sûr : du procès, et surtout de rester aveugle toute sa vie. Elle repensait sans cesse aux mots d’encouragement de son frère et de sa soeur. Pouvaient-ils l’aider ? Mais Jade se disait que les jumeaux n’avaient peur de rien. Elle avait aussi deviné que Régis était l’héritier du trône, et Régis avait pris sa défense contre le Régent. Il était réconfortant de penser qu’un prince la défendait. Sûrement, à eux trois, ils allaient trouver une solution !
Dans le chalet de Régis, tout le monde était prêt au départ, lorsque l’on frappa à la porte. L’oncle de Régis ouvrit. Sur le seuil se tenait un messager à ski, vêtu de rouge.
− Vous avez un courrier du Palais. Vous devez le lire immédiatement et me donner votre réponse.
L’oncle de Régis prit l’enveloppe que le messager lui tendait, l’ouvrit et s’exclama :
− Ça alors ! Nous sommes convoqués au Palais pour une réunion sur la succession du trône !
− Ça vient du Régent ? demanda Régis en fronçant les sourcils.
− De lui-même ! Voici ce qu’il écrit : “Vous êtes mandés séance tenante au Palais en votre qualité de membres de l’ancien Conseil du Roi, pour réfléchir aux conséquences des récents événements qui risquent de nous priver de prince héritier”. Pourquoi fait-il appel à nous alors qu’il s’est empressé de dissoudre le Conseil du Roi à la mort de ton papa ?
− Peut-être qu’il ne sait plus très bien que faire ? suggéra la tante de Régis. En tout cas, nous n’avons pas le choix : nous devons y aller tout de suite, sans quoi le Régent nous accusera d’être des traîtres.
− Mais cela signifie que nous devrons aller seuls dans la montagne ? s’affola Adam.
− Ne t’inquiète pas, dit Régis. La première partie du trajet n’est pas difficile. Nous irons d’abord jusqu’à Villeminière, au pied de la montagne. Là, nous rejoindrons un ami de mon oncle que je connais déjà et qui saura nous guider.
− Régis connaît bien la route jusqu’à Villeminière, dit son oncle. Nous sommes souvent allés dans ce village pour voir les aurores boréales. Partez dès maintenant, ne perdez pas de temps !
Les trois enfants quittèrent donc le chalet, un peu impressionnés de s’aventurer seuls dans la forêt. Ils portaient chacun un sac à dos avec de la nourriture et des vêtements supplémentaires, et Régis leur avait prêté de bonnes chaussures fourrées et des pantalons imperméables pour marcher dans la neige. Malgré cela, ils s’enfonçaient à chaque pas et progressaient lentement. Heureusement, Régis les amena vite à une route qui était praticable. Ils plongèrent ainsi dans la forêt toujours plus profonde, toujours plus obscure, toujours plus silencieuse…
Ils marchaient depuis une heure lorsqu’ils aperçurent une masse noire qui coupait la route. En s’approchant, ils virent que plusieurs troncs d’arbres étaient tombés en travers du chemin.
− Zut, on va devoir contourner par la forêt, dit Adam.
− Curieux. Cette route est importante pour le transport du charbon, normalement elle est entretenue, dit Régis.
− Les gars, regardez cette branche ! cria Alba qui s’était penchée sur les troncs. Elle a été sciée : ces arbres ne sont pas tombés par hasard.
Elle se redressa vers Adam et Régis, mais soudain ses yeux s’agrandirent d’effroi.
− Oh, derrière vous !
Hélas ! Régis et Adam n’eurent pas le temps de se retourner. Ils furent saisis par derrière. On abattit un bandeau sur leurs yeux, on les jeta comme des sacs sur des épaules solides… Ils entendirent le bruit d’une course dans la neige, des voix d’hommes s’appelant, Alba crier, le bruit d’une bagarre : elle ne se laissait pas faire ! Mais bientôt, Alba aussi fut prisonnière.
Après une courte marche, on les jeta par terre et on retira leur bandeau. Ils étaient tous les trois couchés sur la neige, dans une clairière éloignée de la route. Au centre, une dizaine d’hommes se réchauffaient à un feu de camp, deux gros chiens gris couchés à leurs pieds. Adam souffla dans l’oreille de Régis, qui était juste à côté de lui :
− Vous avez beaucoup de brigands, chez vous ?
− Quelques-uns, répondit Régis, mais curieusement on n’arrive jamais à les attraper.
Un des brigands s’approcha d’eux et éclaira leur visage avec une torche. Il ricana en les regardant.
− Pourquoi nous avez-vous kidnappés ? demanda Régis d’une voix qu’il voulait calme, mais qui tremblait. Nous n’avons pas d’argent, nous ne sommes que des enfants.
− Tu n’es qu’un enfant, toi ? Vraiment ?
Régis dévisagea son agresseur. Celui-ci avait les cheveux très blonds et une cicatrice sur le menton. Régis fut bouche bée.
− Mais… Je te reconnais ! Tu es le capitaine de la Garde du Régent ! C’est toi qui a arrêté Jade tout à l’heure ! Eh bien, si le chef de la Garde fait partie des brigands, je comprends mieux qu’on n’arrive jamais à les attraper.
− Tu m’as reconnu ? Aucune importance : tu ne pourras le répéter à personne. Le Régent m’a confié la mission très précise de te faire disparaître… Définitivement ! Il a tout de suite deviné que tu étais l’héritier. Il était sur ta piste depuis longtemps : j’avais été chargé d’enquêter sur ton compte. C’est ainsi que je me suis trouvé près de ton chalet au bon moment !
− Je m’en doutais, dit Adam entre ses dents. Tout à l’heure, le Régent avait l’air bien trop content de récupérer l’étoile-fruit. J’imagine qu’il voudrait garder sa place de Régent, et que le retour d’un roi l’embête plus qu’autre chose ?
− En effet, répondit le chef de la Garde. Le vol du Sylastre par une fillette de l’autre monde est une coïncidence heureuse. Le Régent gardera le pouvoir, maintenant qu’on ne peut plus savoir qui est l’héritier !
− Vous êtes un… un… bégaya Alba, qui ne trouvait même pas de mot tant elle était en colère. Alors, votre Régent tout pourri, il va lui-même remettre le Sylastre dans l’arbre pour se proclamer Roi à la place de l’héritier, c’est ça ?
Le chef de la Garde éclata de rire.
− Même pas ! Il est propriétaire de tous les gisements de charbon de Villeminière. Tant que les gens auront froid et qu’ils seront dans l’obscurité, ils continueront de lui acheter beaucoup de charbon. Si le printemps revenait, ce serait un coup dur pour ses finances. Il n’est pas fou ! Il va cacher le Sylastre dans un coffre-fort bien solide. Ça ne m’étonnerait pas qu’il le fasse garder par un troll ou même un dragon !
− Mais le peuple ne sera jamais d’accord ! assura Régis.
− Oh mais pour calmer la colère du peuple, il suffit d’accuser quelqu’un d’autre. La petite fille capturée tout à l’heure fera un excellent coupable : pendant que les gens seront en colère contre elle, ils oublieront de penser au Régent.
Le chef de la Garde s’éloigna en riant encore. Les enfants se jetèrent des regards horrifiés. Ils comprenaient mieux, maintenant, pourquoi Jade avait été si durement punie. C’était un plan odieux. Mais soudain, Régis leva les yeux vers les frondaisons couvertes de neige.
− Écoutez ! chuchota-t-il.
− Oui, c’est un oiseau qui chante, et alors ? murmura Alba.
− Mais c’est un merle ! répondit Régis.
− Et alors ? rétorqua Adam.
− Normalement, les merles ne chantent pas en décembre… et encore moins au milieu de la nuit !
Les jumeaux levèrent à leur tour les yeux vers les hautes branches. Que se passait-il donc dans la forêt ?
Chapitre 3 - Le peuple qui attendait le Roi
Épisode 3 audio
Les brigands qui étaient au service du mauvais Régent s’étaient tous endormis. Les trois enfants prisonniers écoutaient de toutes leurs oreilles les bruits qui montaient de la forêt. Le merle avait cessé de chanter, mais ils avaient l’impression d’entendre mille petits pas sur les branches… Le feu était presque éteint. La lumière de la lune brillait si fort qu’on y voyait comme en plein jour. Soudain, une ombre passa entre la lune et la clairière.
− Regardez ! chuchota Régis en secouant Alba, qui commençait à s’endormir.
Des merles, des chouettes, des rouges-gorges… Des dizaines d’oiseaux de nuit et de jour volaient de toutes parts, tenant dans leurs pattes de grands filets qu’ils jetèrent sur les brigands assoupis. Aussitôt, une armée d’écureuils rampa sur la neige, très très vite. Sur chacun d’eux se tenait un petit cavalier, comme un bonhomme miniature.
− Qu’est-ce que c’est ? demanda Adam, avec une voix légèrement paniquée car il n’avait jamais vu cela.
− C’est le petit peuple de la forêt ! Ils habitent dans les arbres et savent parler aux animaux, expliqua Régis. Mais on ne les voit jamais, d’habitude ! Nous avons une sacrée chance.
− Regardez ! Les brigands se sont réveillés ! cria Alba, en montrant du doigt les formes emprisonnées dans les filets.
− Ils ne peuvent plus bouger, dit Régis d’un ton satisfait. Le petit peuple les a cloués au sol, on dirait !
En effet, les brigands étaient à leur tour complètement prisonniers. Les écureuils et leur cavalier se rassemblèrent autour de Régis et des jumeaux, qui s’étaient relevés. Les oiseaux vinrent se poser sur les branches, sauf le merle, qui portait lui aussi un cavalier. Il se posa sur un tronc d’arbre en face des trois enfants. Son petit cavalier sauta de son dos. Il mesurait une dizaine de centimètres et était vêtu tout de vert et de blanc, avec un petit casque fabriqué dans une coquille de noix. Il s’inclina devant Régis, qui s’agenouilla à son tour pour se mettre à sa hauteur.
− Vous êtes arrivés au bon moment ! dit-il. Mais vous vous montrez rarement aux humains. Pourquoi nous avoir sauvés ?
− Je suis enchanté de vous rencontrer, mon prince, dit le petit homme. Je m’appelle Ivan, et je suis le chancelier du Petit Peuple. Nous avons des oreilles dans toute la forêt et nous avons assisté à votre capture. Nous avons entendu l’horrible plan du Régent. Ainsi, il voudrait empêcher la lumière de revenir ? Mais nous avons besoin de cette lumière. Le charbon ne suffit pas…
− Parce que vous n’arrivez plus à faire pousser de nourriture ? demanda Alba.
− Non, madame. Nous avons à manger. Le Régent utilise le charbon et les pierres d’orichalque* pour chauffer et éclairer de grandes serres. Il y fait pousser toutes sortes de choses. Nous n’aimons pas dépendre de lui, mais au moins nous n’avons pas faim. Le problème, c’est les arbres. Ils ont besoin de lumière, pour vivre. Ils sont en train de tomber malade les uns après les autres. Le roi doit revenir. Mon prince, vous devez remplir votre mission, retrouver l’étoile-fruit et nous rendre la lumière !
− Je me dirigeais vers les montagnes, pour parler au Sage.
− Vous ne pouvez pas utiliser la route, elle est surveillée. Quant à passer par Villeminière, oubliez : vous tomberez dans une embuscade. Mais ne vous inquiétez pas. Je vous guiderai jusqu’au sentier du glacier.
Rassurés, les enfants suivirent leur nouveau guide. Mais comme ils n’utilisaient plus la route, ils s’enfonçaient dans la neige. Ivan allait plus vite qu’eux sur son merle.
− Vous devriez mettre un rameau de sapin sous vos pieds, cela vous aiderait, conseilla Ivan.
− Nos pieds sont un peu gros pour des rameaux, rétorqua Adam.
− Mais ce n’est pas une mauvaise idée. Nous pourrions utiliser des branches entières et les tordre pour faire des raquettes, suggéra Régis.
Pendant que les garçons parlaient, Alba avait déjà commencé à se fabriquer une paire de raquettes. Ils perdirent un peu de temps à ficeler leurs branchages aux pieds, mais ils purent ensuite avancer beaucoup plus vite. Après quelques heures, ils arrivèrent au pied des montagnes. Le sentier commençait à monter raide dans les sapins, et les enfants transpiraient.
− Quand ferons-nous une pause ? maugréa Adam. J’ai soif, et je commence à avoir faim !
− Nous nous arrêterons à la bergerie. Les moutons ne peuvent pas brouter sous la neige. Il n’y a plus personne là-bas, mais j’ai fait envoyer par dos de chouette des vivres. Nous trouverons aussi du matériel pour escalader les montagnes.
La pente se fit tout à coup beaucoup plus douce, et les sapins beaucoup plus petits. Ils avançaient facilement désormais. Soudain, ils se trouvèrent devant un immense paysage : la forêt avait complètement disparu. Sur leur gauche, un champ de neige montait en pente douce jusqu’à une grande falaise. À leur droite, une vallée s’étendait sous leurs pieds. Ils voyaient sur l’autre versant la forêt, des cascades de glace, et tout en bas, comme en réponse à la lumière des étoiles, des dizaines de petites lumières. Les enfants étaient émerveillés. Hélas, juste à côté, la montagne était défigurée par une horrible cicatrice noire. On ne voyait plus de forêt sur des kilomètres, ni de neige : seulement de la roche, des trous, des fumées et des monte-charges dans tous les sens. Des monticules de pierrailles s’élevaient partout, comme des déchets que la montagne aurait rejetés. Des petites lanternes allaient et venaient dans ce décor de cauchemar.
− La ville est jolie, mais qu’est-ce que c’est que ce truc moche ? demanda Adam.
− C’est Villeminière, et juste à côté, une des grandes mines de charbon du Régent, répondit Ivan. Nous avons discuté avec les chevreuils qui habitaient là-bas : ils ont tous dû s’enfuir. Maintenant, nous avons des échos des marmottes qui hibernaient plus haut. Elles ont été réveillées en sursaut par le bruit des machines. Elles aussi doivent partir, au milieu de l’hiver, parce qu’ils ont creusé jusque dans leurs terriers… Toutes ces familles en exil, c’est vraiment affreux. Nous avons essayé de les aider comme nous avons pu, mais elles n’ont pas voulu que les aigles leur prêtent main-forte. Les marmottes n’aiment pas beaucoup les aigles.
La bergerie était un refuge de pierre qui s’appuyait contre la montagne. À l’intérieur, tout était sec. Les enfants se réchauffèrent et mangèrent, puis Ivan les invita à partir de nouveau.
− Vous devez faire vite. Dans cette caisse, vous trouverez des cordes, des baudriers et des crampons. À partir de maintenant, vous allez marcher sur la glace et cela sera plus dangereux. Suivez les cairns, et vous arriverez chez le Sage.
Avec ses conseils, les enfants mirent à leurs pieds les crampons, des pointes de fer qu’on attache aux chaussures avec des sangles pour ne pas glisser quand on marche sur la glace. Ils enfilèrent les baudriers et s’attachèrent les uns aux autres avec une corde. C’est alors qu’ils réalisèrent que Ivan leur disait au revoir.
− Le merle ne peut pas monter aussi haut, expliqua-t-il. Nous allons faire passer le message à toutes les créatures vivantes, pour qu’elles vous aident dans votre mission. Et si, une fois descendus, vous avez besoin d’aide, sifflez ces trois notes, et toute la forêt viendra à votre secours. Enfin, presque, car les loups ont pactisé avec le régent.
− Facile à retenir ! dit Alba, ce sont les trois premières notes de "Douce Nuit, Sainte Nuit". C’est un chant de Noël très célèbre.
− Je ne connais pas ce chant, dit Ivan d’un air intéressé. Chez nous, on nomme ces notes "l’appel du berger".
− Dans notre chant de Noël aussi il y a des bergers, expliqua Adam.
Après un dernier salut, Ivan s’envola vers la vallée. Alba, Adam et Régis se regardèrent, un peu désemparés. Ils se sentaient vraiment seuls, sans Ivan pour les guider.
− Allons-y, décida Régis. Il faut suivre les cairns.
− A quoi ça ressemble ? demanda Adam.
− Ce sont des tas de pierres en forme de pyramide. On peut les voir même sous la neige. Regardez, voilà le premier !
Au début, il fut assez facile de suivre les cairns. Le sentier montait en lacets dans la falaise. C’était vertigineux, mais on pouvait facilement se tenir aux pierres qui bordaient le sentier. Après une heure de marche, ils se trouvèrent devant un paysage chaotique : d’immenses blocs de glace montaient les uns contre les autres, comme une forêt blanche.
− C’est le début du glacier, je crois, dit Régis. Où sont les cairns ?
− Ici, au bord. Ils nous indiquent de franchir ce pont de neige pour monter sur le glacier. C’est sûrement assez solide, espéra Adam.
Les enfants montèrent sur le pont de neige. Ils étaient presque au milieu quand Alba, qui marchait en premier, poussa un cri de terreur !
− Un loup !
En effet, devant eux se dressait un loup blanc monstrueusement grand.
− Demi-tour, demi-tour !
Mais il était compliqué de faire demi-tour. Le pont était étroit, et ils étaient attachés les uns aux autres. Alba poussa Régis qui marchait au milieu, qui poussa Adam, qui trébucha, glissa, essaya de se retenir, et finalement tomba du pont. Il était encore retenu par la corde, mais Régis était tombé à quatre pattes en le retenant et n’arrivait pas à se relever.
− Je suis coincé, gémit Régis. Alba, aide-moi !
Malgré les tentatives d’Alba, ils n’arrivaient pas à remonter Adam...
− Tant pis, cria Adam. Je vais me détacher, ainsi vous pourrez vous enfuir. La neige amortira ma chute.
− Ne fais pas ça ! Tu vas tomber au fond du glacier, et on n’arrivera jamais à te retrouver.
− Mais Alba, il n’y a pas d’autres solutions. Si vous échappez au loup, essayez de trouver vite le Sage ! Lui, il saura peut-être comment me sortir de là !
− Adam, Adam… Tu vas tomber de très haut ! Tu risques vraiment de te faire mal ! supplia encore une fois Alba.
Régis ne disait rien, la corde lui sciait les reins. Il regardait Adam avec de grands yeux car il avait compris, au fond de lui, qu’il n’y avait pas d’autre solution. Le loup mit une patte sur le pont de neige. Adam prit sa décision : dans quelques secondes, il serait trop tard.
Il ouvrit le mousqueton qui attachait la corde au baudrier et tomba.
Chapitre 4 - Un conseil dans la nuit
Épisode 4 audio
Le loup avait presque atteint Alba… Quand Régis poussa un cri de victoire. Au moment même où Adam tombait, une grande forme ailée le rattrapa en plein vol !
− Un aigle ! C’est un aigle ! Nous sommes sauvés !
Deux autres aigles, au large dos et aux grandes ailes, attrapèrent à leur tour Alba et Régis. Les mâchoires du loup claquèrent dans le vide : les trois enfants s’échappaient !
Les trois grands aigles planèrent au-dessus du glacier, franchirent d’un battement d’aile une muraille de pierre déchiquetée et se posèrent avec délicatesse près d’un lac. Le grand aigle qui avait rattrapé Adam s’inclina devant Régis et lui adressa la parole.
− A votre service, mon prince. Je crois que nous sommes arrivés juste à temps. Un corbeau a croisé Ivan il y a quelques heures. Il nous a fait passer le message par son beau-frère, un choucas dont le nid se trouve sur notre aire. Nous nous sommes mis en vol immédiatement, car nous avions entendu dire qu’un loup rôdait sur le glacier. Sans doute un allié du Régent. En tout cas, vous voilà arrivés : de l’autre côté du lac se trouve la maison du Sage. Il suffit de suivre le chemin.
Les rives du lac étaient prises dans la glace. Au centre, une eau argentée reflétait la lumière des étoiles. Tout autour se dressaient de hautes murailles naturelles, qui brillaient de mille stalactites... Ils avaient l’impression d’être tombés dans l’écrin d’un bijou précieux. De l’autre côté du lac, sur une petite hauteur, la cheminée d’un grand refuge fumait. Derrière les vitres, on voyait de la lumière, et cette vision était bien réconfortante après leurs aventures dans la montagne.
Régis se mit en route vaillamment. C’était la deuxième fois qu’on l’appelait “prince”, et il ne voulait pas décevoir ces gens qui croyaient déjà en lui. Adam et Alba lui emboitèrent le pas, s’efforçant de paraître plus solides qu’ils ne se sentaient. Ils montèrent rapidement l’escalier de pierre qui menait au refuge. Un grand vieillard à la longue barbe les attendait sur le seuil.
− Bienvenue, Régis. Et bienvenue à vous, Adam et Alba. Entrez vous réchauffer, mes enfants. Vous êtes courageux d’être monté si haut, et j’aimerais que ce soit la fin de vos aventures… Mais je crains que ce ne soit pas le cas.
Bientôt, ils furent tous assis dans de grands fauteuils confortables autour du feu, une tasse de thé bien chaude entre les mains. Près de la fenêtre, des cristaux de glace brillants et des grosses boules rouges décoraient un sapin couronné d’une étoile sculptée dans du bois. Le Sage s’était assis aussi et ajoutait une bûche au feu. Régis prit une grande inspiration avant de parler.
− Monsieur, euh, le Sage…
− Appelez-moi Helori.
− Nous sommes venus parce que…
− Je sais pourquoi vous êtes là.
− Je ne suis pas supposé le dire, mais ça commence à se savoir, donc autant me présenter…
− Je sais qui tu es, Régis.
Régis avala sa salive. Puisqu’il savait tout, qu’attendait-il pour les aider ?
− Tu t’appelles Régis, tu es le prince héritier et tu as perdu l’étoile-fruit qui devait te servir à revendiquer le trône. Celle-ci a été ramassée par la petite sœur des jumeaux que voici, Jade. Le Régent l’a récupérée et ne veut pas te la rendre. Si tu ne récupères pas l’étoile-fruit, le monde restera dans la nuit et dans l’hiver… Cela n’arrange personne, sauf le Régent qui peut vendre son charbon. Tout le monde est prêt à t’aider, mais c’est parce que tout le monde ne s’intéresse qu’à la lumière et à la chaleur de l’étoile-fruit.
− Et vous, l’interrompit Alba, ça ne vous intéresse pas ?
− Le lac est si merveilleux au printemps, lorsque les rhododendrons et les arnicas sont en fleur, soupira Helori. Les ruches donnent leur meilleur miel, et partout, le bruit de l’eau est la plus belle des musiques. Les neiges éternelles brillent au soleil et les chamois viennent boire l’eau du torrent…
Il sembla perdu dans le souvenir de beautés anciennes, puis se reprit.
− Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle je souhaite le retour du Roi. Les arbres sont malades partout : il suffirait au Roi de les toucher pour leur rendre leur vigueur d’antan. Il guérirait aussi les blessures de la montagne, abîmée par les mines. Il guérirait enfin les hommes et les femmes et les enfants affaiblis par l’hiver.
Dans leur corps, mais aussi dans leur âme… Tous les bergers le savent : quand un troupeau n’a plus de berger, il se perd dans la montagne et devient la proie des loups, et les bêtes commencent à se battre entre elles. C’est pareil avec les humains. Le Régent sème la zizanie. Les gens deviennent égoïstes et lâches. Ils se trahissent les uns les autres, ils ne s’intéressent plus qu’à leur petit confort. C’est pour cela que nous avons besoin d’un roi.
− Mais… Je ne sais pas si je serai un bon roi, souffla Régis, qui avait l’air très inquiet.
− Oh, tu ne peux pas être pire que le Régent ! assura Alba.
− Bien dit, Alba ! renchérit Adam. De toute façon, toi au moins, tu as le cœur au bon endroit. Tu te soucies des gens, tu veux leur venir en aide. Tu es là aussi pour aider Jade !
− J’ai été choisi parce que mon père était le roi, et que je suis son fils, c’est tout, murmura Régis.
− Oh, je ne dirais pas cela, reprit le Sage. Les événements de ce monde ne sont pas gouvernés par le hasard. Tu as été choisi, Régis, et avec toi, on peut dire qu’Adam, Alba et Jade ont été choisis aussi pour t’aider à mener à bien ta mission. Concentrez-vous sur ce que vous devez faire, et vous comprendrez un jour.
− Ce qu’on doit faire ? On doit récupérer une étoile-fruit ! se rappela Alba.
Le Sage baissa les yeux vers le feu.
− Hélas, soupira-t-il. Le Sylastre ne pousse qu’une seule fois, lorsqu’un héritier naît. Je vais le cueillir moi-même, et je peux vous assurer qu’il n’y en a pas d’autres…
− Alors, c’est fichu, grogna Alba. Pourtant, on ne peut pas laisser tomber notre petite soeur !
− Non, vous ne pouvez pas, mes enfants. Votre devoir est sans doute de retourner auprès d’elle. Mais gardez espoir. Un poète de votre monde a écrit un jour : “c’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière”. Le Régent n’est qu’un homme, après tout. Un homme ne peut pas lutter éternellement contre tout un monde…
Les enfants n’osaient pas se regarder. Comment sauver Jade, et la forêt, et tout le royaume ? Mais bien vite, Adam redressa la tête.
− Vous disiez que la mission du roi était d’apporter la lumière et la guérison ? demanda-t-il d’un air pensif.
− Où veux-tu en venir ? dit Alba.
− Rien… J’ai comme l’impression que ça me rappelle vaguement quelque chose… Quelque chose… Que j’aurais entendu à l’école…
Le visage d’Alba s’éclaira soudain.
− Oui ! s’exclama-t-elle. Moi aussi ! Mais attends…
− Oh ! Oh, je crois que je tiens une idée !
Les jumeaux se regardèrent, tout excités. Régis ne comprenait pas, mais Helori souriait dans sa barbe.
− Régis, écoute-moi : pour le moment, tout ce que nous devons faire, c’est libérer Jade.
− Et la forêt ? Et l’étoile-fruit ?
− Nous t’avons fait confiance jusqu’ici, n’est-ce pas ? Maintenant, c’est à ton tour de nous faire confiance ! assura Adam d’un air sérieux.
− Une confiance… aveugle ! ajouta Alba.
Les jumeaux se mirent à rire comme s’ils avaient fait une bonne plaisanterie.
Dans sa prison, Jade avait d’abord attendu avec espoir. Mais les jours étaient passés. Elle commençait sérieusement à désespérer, d’autant que le médecin de la prison était venu la voir. Son verdict était sans appel : elle resterait aveugle toute sa vie. Elle avait d’abord beaucoup pleuré, mais à présent, elle n’avait plus de larmes. D’après ses calculs, cette nuit-là était celle du 24 décembre : cela faisait trois jours qu’elle était prisonnière. Insouciant de la nuit dans laquelle Jade était plongée, un coq chantait, l’empêchant de dormir… Soudain, elle entendit une voix juste à côté d’elle !
− Bonjour, mademoiselle. Vous êtes bien Jade ?
Elle se redressa sur sa couchette. Elle ne voyait pas, donc elle ne savait pas qu’un tout petit bonhomme venait de sauter par la fenêtre !
− Je m’appelle Ivan, et je suis le chancelier du Petit Peuple de la forêt. Le prince Régis m’envoie pour vous aider à fuir. Nous allons limer les barreaux de la fenêtre, ensuite nous vous guiderons vers la sortie. Votre frère et votre sœur vous retrouveront à la porte sud du palais.
Jade mit en vitesse ses chaussures, son coeur battant la chamade : Adam et Alba avaient réussi ! Elle entendait des bruits de grincement et de frottement… Les barreaux cédaient les uns après les autres. Sur un signal, elle escalada la fenêtre à tâtons. On lui demanda de sauter : elle espéra que ce n’était pas trop haut… Mais non, tout se passa bien ! Elle suivit la voix d’Ivan, monté sur une hirondelle, car son merle avait disparu depuis la veille. Après une rapide course, elle entendit deux voix qu’elle connaissait bien…
− Alba ! Adam !
Elle se jeta dans les bras des jumeaux. Hélas ! A ce moment, des voix d’hommes résonnèrent tout autour d’eux.
− Au nom de la loi, je vous arrête !
Ils étaient encerclés par les gardes qui tenaient leurs lances pointées vers eux. Le chef de la garde s’avança. Il tenait sous le bras une boîte couverte d’un tissu.
− Alors, ricana-t-il, vous aviez cru me berner ? Vous êtes tombés dans mon piège !
− Comment a-t-il fait ? murmura Régis.
Mais le chef de la garde l’avait entendu. Il posa au sol la boîte qu’il tenait sous le bras et retira le tissu qui la couvrait. C’était une cage, et dans la cage, il y avait le pauvre merle d’Ivan, les ailes repliées sur la tête !
− Il m’a suffi d’emprisonner les oisillons de votre petit ami. S’il ne me dévoilait pas tout votre plan, couic les petits oisillons !
− Ce chantage est affreux. Vous n’avez vraiment aucune morale, dit Régis fermement.
− De la morale ? Mais pourquoi faire ? Grâce à mon habileté, vous passerez en jugement aujourd’hui même. Vous serez tous condamnés pour haute trahison, et moi je vais surement avoir une belle récompense.
Caché sur la cime d’un sapin, Ivan, qui avait réussi à se glisser hors de vue, regarda partir les quatre enfants ligotés. Les jumeaux restaient proches l’un de l’autre, Régis avançait bien droit, et Jade trébuchait à chaque pas parce qu’elle n’y voyait rien.
− Zut de flûte, siffla-t-il entre ses dents. Je me demande vraiment comment on va sortir de ce pétrin, maintenant.
Chapitre 5 - Une grande lumière
Épisode 5 audio
Le tribunal se tenait dans une grande caverne éclairée par des bougies. Des colonnes hautes comme des arbres montaient vers le plafond. Jade était debout au centre. Les trois autres enfants étaient assis derrière elle. Sur des gradins tout autour se tenaient des centaines de femmes, d’hommes, et même des enfants.
Devant les quatre enfants, trois silhouettes menaçantes étaient assises derrière un haut bureau de chêne sombre. Le Régent lui-même présidait ce jury.
− Mademoiselle Jade, dit le Régent, reconnaissez-vous avoir pris le Sylastre ?
− Oui, murmura Jade, puis elle reprit d’une voix plus forte : Oui, monsieur le Régent, mais je ne l’ai pas volé. Je l’ai ramassé dans la rue parce qu’il était tombé du cartable de Régis.
− L’avez-vous vu tomber ?
− Euh… Non, reconnut-elle. Mais le cartable était par terre, et le coffret juste à côté.
− Le Sylastre est bien à moi ! s’écria Régis. J’ai onze ans aujourd’hui, je peux désormais le révéler.
Il y eut un brouhaha.
− Le petit peuple avait donc raison ? disait la foule. Le Régent veut faire condamner l’héritier ?
Tous ces gens, autour d’eux, n’avaient pas l’air hostiles... Le sage l’avait dit : même le Régent ne pouvait pas lutter contre tout un monde. Adam cessa d’écouter : il pensait à son plan. Alba acquiesça de la tête.
Le jury avait fini de débattre. Le Régent se leva, ajusta sa cape noire, prit une grande inspiration et dit :
− Après délibération, Jade est reconnue coupable d’avoir dérobé le Sylastre et privé le Royaume de la Forêt de son prince héritier. Elle est condamnée à perpétuité2. Quant à Régis, Alba et Adam, ils sont céans bannis3 du Royaume en châtiment de leur trahison.
A droite du jury, le chef de la garde lissa ses longs cheveux blancs. Un horrible sourire déformait la cicatrice de son menton. Régis frémit : le Régent allait sûrement le faire disparaître définitivement ! Mais à ce moment, Alba chuchota quelques mots dans son oreille. Il la regarda d’un air surpris, puis approuva.
Adam s’était levé. Il s’avança vers le jury, fit une espèce de courbette, toussota pour attirer l’attention.
− Monsieur le Régent, je tiens avant tout à vous remercier.
Le Régent s’apprêtait à le faire taire, mais il appréciait qu’on le remercie. Il se dit que ça valait peut-être la peine de laisser parler Adam.
− Oui, je vous remercie, car nous sommes devenus de bons amis avec Régis et nous sommes très heureux de rentrer dans notre monde avec lui.
Pendant qu’il parlait, Régis s’était levé et se rapprochait discrètement de Jade.
− Permettez-moi d’évoquer un souvenir, continuait Adam. Celui de ma maîtresse d’école. L’autre jour, elle nous parlait d’un mot un peu compliqué : le mot…
Régis avait presque atteint Jade.
− Le mot “thaumaturge”, acheva Adam.
A cet instant, Alba siffla les trois notes apprises par Ivan pour appeler l’aide de la forêt.
Plusieurs choses arrivèrent en même temps. Le Régent hurla : “arrêtez-le !”. Le chef de la garde plaqua au sol Régis à quelques centimètres de Jade.
Enfin, un grand bruit se fit entendre : les murs craquèrent, de longues racines sortirent de terre, vinrent fouetter l’air, se glissèrent au sol, s’enroulèrent comme des lianes autour du Régent, du chef de la garde, des autres membres du jury... Une hirondelle vola au-dessus des têtes, chevauchée par Ivan. Il tenait une petite épée à la main et hurlait :
− Hourra ! Hourra pour la forêt ! Les arbres avec nous !
Le Régent et ses complices furent vite ligotés. Alba et Adam montèrent sur des chaises et crièrent au milieu du vacarme :
− Écoutez-nous, écoutez-nous !
Le silence revint. Les jumeaux parlèrent alors, d’une voix forte qui résonnait :
− Savez-vous ce qu’est un roi thaumaturge ? C’est un roi qui peut soigner les gens juste en les touchant ! dit Adam.
− Le Petit Peuple de la forêt et le Sage Helori nous ont tous dit la même chose, expliqua Alba. Votre roi a ce pouvoir !
− Notre petite sœur est devenue aveugle quand elle a regardé le Sylastre. Le médecin de la prison a dit que ses yeux ne guériront jamais.
− Mais votre roi peut la sauver ! Si le roi touche Jade, elle sera guérie !
− Et si Régis guérit Jade, c’est qu’il est votre roi ! clama Adam.
Maintenant que le moment était venu de passer à l’action, Régis hésitait. Et si cela ne fonctionnait pas ? Et si Jade ne retrouvait pas la vue ? Il sentait un grand poids sur ses épaules. Tant de choses dépendaient de lui !
Mais Alba et Adam descendirent de leur chaise et ils se tenaient à ses côtés. Alors, il fit un pas vers Jade et passa un doigt sur ses paupières en retenant son souffle. Jade ouvrit les yeux.
− Alors, Jade ? s’impatienta Alba.
Alba avança la main comme pour lui mettre un coup sur la nuque, mais Jade se déroba au dernier moment avec un sourire malicieux.
− Ça a marché ? s’inquiéta Adam.
− Ça a marché. Je vois ! s’écria Jade. Et elle reprit plus fort : je vois ! je vois ! Mais… ça alors… Ivan, tu es minuscule ?
Elle n’avait jamais réalisé qu’Ivan était tout petit, puisqu’il volait toujours à sa hauteur !
Dans la grande salle du tribunal, le brouhaha montait, montait… Et soudain une voix forte clama : « Vive le roi ! » Alors, le tumulte se déchaîna. Régis fut porté en triomphe dans tout le palais. On ouvrit les prisons pour libérer tous ceux qui avaient été emprisonnés parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec le Régent. Bientôt, quelqu’un apporta une petite boîte dorée qu’on avait retrouvée dans le coffre-fort du Régent (heureusement, celui-ci n’avait pas eu le temps d’embaucher un troll pour le garder).
− A l’arbre ! criait la foule. Nous voulons la lumière !
La foule se dirigea vers une colline qui dominait les environs. Juste avant le sommet, un grand aigle se posa devant eux. Son cavalier en descendit : c’était Helori. Tout le monde se tut, parce que le Sage impressionnait. Il s’approcha de Régis, qu’Adam, Alba et Jade avait rattrapé, et s’agenouilla devant eux.
− Mes enfants… Vous avez réussi ! dit-il d’un air soulagé.
Il se redressa et s’adressa d’une voix forte à la foule.
− Le prince héritier va monter dans le Grand Arbre pour y déposer le Sylastre. Vous devez l’attendre ici.
Régis s’enfonça dans le bosquet. En levant les yeux, Jade vit un chêne immense recouvert de cristaux de glace. Il montait vers le ciel, si haut, si haut, que sa cime se perdait dans les nuages. Un long moment s’écoula. La neige tombait. Et enfin, une clarté rose tomba du ciel, toute petite, comme un cercle dans la nuit. Le cercle devint de plus en plus brillant, jusqu’à éclairer tout le ciel. Les nuages s’écartèrent, révélant un ciel très bleu, et la neige cessa de tomber.
− Dites donc, il fait beaucoup trop chaud ! s’exclama Adam en retirant le gros manteau que lui avait prêté Régis au tout début de leur aventure.
− Toujours en train de te plaindre, toi… répondit Alba, qui avait déjà retiré le sien.
− C’est drôlement chouette, dit Jade. J’ai retrouvé la vue juste à temps pour voir le jour se lever.
Régis revint avec le Sage. Il avait l’air différent, plus grand, plus souriant. Il serra la main de ses amis.
− Merci, dit-il d’un air sérieux. Sans votre aide, je crois que le Régent aurait trouvé n’importe quel moyen pour m’empêcher de revenir.
Ivan vola jusqu’au prince sur son merle.
− Mon prince, nous sommes en train de recruter des personnes honnêtes pour constituer une nouvelle garde. Votre oncle et votre tante vous attendent dans la Salle du Conseil pour prendre un certain nombre de décisions. Il faut arrêter tous les brigands, réparer les dégâts… Et préparer votre couronnement ! Par ailleurs, j’ai une mauvaise nouvelle : le Régent s’est enfui avec le chef de la garde.
− Bon débarras ! s’exclama Alba.
− J’aurais préféré les savoir dans un cachot, dit Ivan d’un air sombre. Mais bon. Nous avons libéré le merle, comme vous pouvez le voir. Il tient à vous dire à quel point il regrette de nous avoir trahis…
− C’est en grande partie la faute du Régent, assura Régis. Si tu n’avais pas trahi, ajouta-t-il en se tournant vers le merle, tes oisillons auraient été tués. Mais tout est bien qui finit bien, et je te pardonne de bon cœur.
Alba, Adam et Jade visitèrent le palais sans Régis, qui était occupé avec ses nouvelles responsabilités. Ce palais était construit en bois et les toits étaient dorés. Dehors, il y avait de grands jardins, avec des arbres fruitiers qui commencèrent à bourgeonner dès le milieu de l’après-midi. Quand le soir tomba – car l’étoile-fruit ne brillait que douze heures par jour – la neige avait entièrement fondu. On sentait le parfum de mille fleurs, on entendait partout le bruit de mille torrents et le concert de mille oiseaux.
Ils retrouvèrent Régis dans une grande chambre peinte en bleue, en jaune et en rouge. Le Sage était assis à un bureau et écrivait une lettre. Ils regardèrent le soir tomber par la fenêtre. La lumière leur avait vraiment manqué…
− Elle brille fort, non ? dit Régis.
− Quand l’étoile-fruit brille fort, expliqua le Sage, cela signifie que le nouveau roi vivra longtemps, que le Royaume sera particulièrement prospère, et ses habitants heureux.
Régis eut un sourire. Il commençait à se sentir soulagé. Il avait rencontré son Conseil, et avait compris qu’il y aurait beaucoup de monde pour l’aider dans sa lourde tâche.
− Comme j’aimerais qu’une aussi belle histoire arrive chez nous ! soupira Alba. C’est tellement… Merveilleux !
− Et si on restait ici ? dirent en même temps Jade et Adam.
− Vous manquerez sûrement à vos parents, répondit le Sage.
− Pas tant que ça, rétorqua Adam, puisque le temps ne passe pas de la même manière dans notre monde. Si nous restons dix années entières, seulement une journée se sera écoulée chez nous !
− Et vous auriez vingt ans en rentrant chez vos parents ! Ils seraient surpris, répliqua le Sage en riant. Allons, consolez-vous : votre monde aussi est extraordinaire. Tenez, un jour, une étoile annonçant la naissance d’un roi a brillé si fort dans votre ciel qu’on raconte que son règne n’aura pas de fin !
Mais de fin, cette histoire en a une, et les enfants retournèrent dans notre monde. Ils retrouvèrent la porte solitaire dans la forêt, puis la rue… Ils se sentaient un peu décalés, comme quand on rentre de longues vacances. La rue, autrefois familière, semblait étrange et irréelle. Les guirlandes de Noël éclairaient le trottoir, mais ils avaient encore dans leur cœur la lumière de l’étoile-fruit.
Jade courut jusqu’à la vitrine pour la regarder sans retarder les jumeaux. Adam et Alba échangèrent un regard, et décidèrent de jeter un coup d’œil à cette vitrine que leur sœur aimait tant. Ils regrettèrent aussitôt de ne pas l’avoir fait plus tôt. C’était magnifique ! Des centaines de santons dispersés, des personnages, des animaux, des montagnes, des forêts, des villages... Tout un petit monde miniature. En regardant Marie et Joseph, ils pensèrent à leurs parents, et se sentirent tout à coup très heureux à l’idée de les retrouver.
− Vous avez vu l’étoile au-dessus de la crèche ? demanda Alba. Elle est énorme !
− Elle annonce sans doute la naissance d’un très grand roi, dit Adam d’un air pensif.
Comme en réponse, un son clair tinta dans l’air glacé d’hiver : les cloches de l’église du quartier sonnaient à la volée. Noël frappait à la porte de leur cœur.