Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe de la Nativité du Seigneur à Saint-Germain l’Auxerrois
Dimanche 25 décembre 2022 - Saint-Germain l’Auxerrois (1er)
Tout est fragile dans la vie humaine
– Nativité du Seigneur
- Is 52,7-10 ; Ps 97,1-6 ; He 1,1-6 ; Jn 1,1-18
D’après transcription
Cette introduction de la lettre aux Hébreux que nous venons d’entendre n’est pas une lecture très courante. Mais elle nous fait comprendre la grande nouveauté du don de Dieu en Jésus son Fils.
Vous avez entendu que cette lettre commence en disant : « à bien des moments et de bien des façons le Seigneur Dieu a fait connaître sa volonté mais la grâce est venue par Jésus Christ. » C’est autrement, c’est un pas extraordinaire qui est fait, c’est un don spécial, le don définitif de Dieu en la personne de son Fils. Avec ce caractère extraordinaire que nous comprenons : si Dieu donne son Fils, et le fait naître dans l’humanité, il le fait naître - comme tout homme - d’une façon bien fragile. L’enfant qui grandit dans le ventre de sa mère, l’enfant une fois né, nous savons bien combien il est et demeure fragile, combien il a besoin d’être aidé, combien il a besoin d’être protégé, combien sa vie peut être, à chaque instant, remise en cause. C’est sous le régime de la fragilité humaine que Dieu vient nous rejoindre. Il ne le fait pas dans l’éclat de sa grandeur, celle qu’il possède là-haut dans le Ciel et sur l’ensemble de l’univers, mais il le fait dans la simplicité et la fragilité d’une vie humaine qui se passe quelque part dans un petit coin de terre. Et par là il nous indique comment il compte faire avec nous. Il fait avec cette fragilité, qui est un cadeau à protéger sans cesse. Protéger d’abord la vie, la vie naissante, la vie à naître, la vie fragile, la vie éventuellement malade, la vie sous bien des dangers que nous connaissons, que nous expérimentons dans nos propres vies, ou dont nous savons qu’elle est exposée à travers le monde - dans des circonstances souvent tragiques. La vie fragile, la vie finissante, la vie mourante, a besoin encore d’être protégée, d’être entourée, d’être encouragée sans cesse. Voilà ce que nous découvrons dans le mystère de Dieu fait homme, voilà ce que nous accueillons comme don que Dieu nous fait.
Alors, interrogeons-nous sur quelques éléments de nos vies, et de la vie à laquelle Dieu se soumet au milieu de nous, dans la fragilité.
D’abord la parole. Aider un enfant à découvrir la parole, savoir s’en servir, l’éduquer pour parler, c’est une œuvre de longue haleine, c’est une œuvre de tous les instants. Et bien sûr quand il vient les premiers mots sur les lèvres d’un enfant, combien on le félicite, combien on est heureux de protéger ce premier acquis et de le développer. Protéger la parole chez un enfant qui grandit, mais aussi protéger la parole chez quelqu’un qui est trop timide, qui a du mal à s’exprimer devant les autres, l’encourager, faire en sorte qu’il prenne la parole. Recevoir la parole de quelqu’un qui a été blessé, de quelqu’un qui vient de l’étranger, de quelqu’un qui ne trouve pas bien sa place dans une société, d’un réfugié, d’un pauvre de quelque nature que soit sa pauvreté. Cela aussi est une grande protection que nous avons à encourager. Protéger la parole d’un homme, protéger la Parole de Dieu, faire en sorte qu’elle puisse être entendue, faire en sorte que nous ne la mettions pas sous le boisseau, faire en sorte que la Parole de Dieu soit vive dans nos cœurs, et que nous en soyons des témoins chaque jour.
Fragilité encore : la Terre. Nous apprenons dans notre époque combien elle est fragile, elle aussi, et que nous avons besoin d’être attentifs à l’environnement dans lequel nous vivons, il est lui aussi un don de Dieu. Un don, dont nous comprenons aujourd’hui tous les efforts que nous devons faire pour qu’il soit toujours fécond, qu’il soit toujours bon, ce don, à nous tous, à nos générations, et aux générations suivantes. Nous sommes de plus en plus souvent convoqués à être attentifs à la fragilité de notre terre, à la fragilité des ressources de notre terre pour que nous puissions transmettre à ceux qui nous suivront une terre encore vivable. Jusqu’à présent c’est ce qui s’est passé, nous avons reçu le don de la terre, don de Dieu. Et je le dirai tout à l’heure dans la prière, au moment de l’offertoire, don de Dieu pour que nous vivions. Nous savons tout ce que nous avons à faire pour protéger cette fragilité du don de Dieu.
Et puis encore, dans les fragilités, la liberté. Non seulement la liberté de faire ce que nous voulons, non seulement la liberté dans des pays libres. Nous savons que nous avons à la protéger, il y a tant de peuples qui vivent dans des conditions où la liberté d’aller et de venir, la liberté de parler, la liberté d’opinion, la liberté de s’assembler, est contrainte. Tant de peuples qui sont contraints et dont la liberté n’est pas assurée. Mais aussi la liberté de la foi, la liberté religieuse, nous savons que nous en profitons ici, dans notre pays ; nous savons que dans d’autres pays il n’est pas permis de professer telle ou telle foi religieuse, ou même il n’est pas permis de manifester quelque foi religieuse que ce soit. Nous avons beaucoup, à la fois, à protéger cette liberté de la foi et cette liberté de l’expression de la foi, et à encourager partout dans le monde par notre prière, et peut être par notre action, à ce que cette liberté de la foi soit retrouvée et active partout.
Ainsi notre regard s’élargit sur le don que Dieu nous fait. Tout est fragile dans la vie humaine. Tout doit être soutenu et encouragé puisque c’est don de Dieu. Tant de choses que nous avons à encourager au nom de Dieu. Aujourd’hui, le Seigneur, en venant au milieu de nous, nous tend la main et veut que nous soyons forts. Non pas d’une force toute puissante, la toute-puissance seule appartient à Dieu, mais d’une force qui vient de Lui pour que nous ayons le courage de protéger la vie, de protéger la Parole de Dieu, la parole des hommes, de protéger la Terre, de protéger la liberté et la liberté de la foi. Il nous donne tout cela, Il nous fait comprendre que tout cela est don de Dieu, Il nous fait comprendre que tout cela est don à protéger parce que c’est fragile. L’humanité dans laquelle le Christ s’avance doit être toujours protégée, toujours aimée, toujours encouragée, et le Christ est là pour que nous ayons ce courage de la vie, de la Parole de Dieu, de la liberté de la foi, et de l’amour de cette Terre qui nous a été confiée.
Que le Seigneur nous vienne en aide, Il est là pour cela.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris