Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Leu – Saint-Gilles
Dimanche 19 février 2023 - Saint-Leu – Saint-Gilles (1er)
Qui d’entre nous peut dire qu’il est parvenu à maturité ?
– 7e Dimanche du Temps Ordinaire – Année A
- Lv 19,1-2.17-18 ; Ps 102, 1-4.8.10.12-13 ; 1 Co 3,16-23 ; Mt 5,38-48
D’après transcription
Voilà, nous entendons aujourd’hui cette double injonction, qu’elle soit dans l’évangile de saint Matthieu, ou dans le Livre du Lévitique, en première lecture : « Vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » - c’est dans l’évangile - et dans le Livre du Lévitique : « Soyez saints car moi je suis saint », dit Dieu. Cette double injonction elle nous réveille ce matin, nous ouvre le cœur certainement et nous invite à une conversion profonde. Mais il ne faut pas trop se méprendre sur le sens de ce qu’elle signifie.
Dans le Livre des Lévites, nous voyons que Moïse, au nom de Dieu, s’adresse au peuple et il tutoie, comme Dieu est capable de tutoyer, non seulement chacun de ceux qui écoutent Moïse, mais comme le peuple tout entier. Et donc cette invitation à être saint, c’est une invitation qui s’adresse au Peuple de Dieu, au peuple tout entier, et c’est important de penser à cela. Parce que l’invitation à être saint n’est pas simplement une invitation à être individuellement saint mais à être ensemble un peuple capable de signifier la sainteté de Dieu.
Nous savons bien que Dieu seul est saint, et nous sommes invités à être saints par ressemblance avec Lui, par capacité d’accepter sa sainteté à Lui comme une sainteté qui nous attire. Nous sommes saints par participation à la sainteté de Dieu, par réponse à l’appel qu’il nous adresse à devenir comme Lui. Ce qui est évidemment magnifique, c’est que Dieu nous dise : vous êtes faits pour devenir comme moi, à mon image. Cela nous laisse, bien sûr, le temps du cheminement vers l’accomplissement.
Dans l’évangile de ce matin, dans le passage de l’évangile de saint Matthieu, nous lisons : « vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Ce mot de parfait peut nous entraîner, nous gêner, nous embarrasser même. En effet, dans le grec il y a ce mot « parfait », teleios, cela veut dire « accompli » ; celui à qui il ne manque rien ; celui qui est parvenu à maturité. Qui d’entre nous peut dire qu’il est parvenu à maturité ? Qui d’entre nous peut dire qu’il est quelqu’un à qui il ne manque rien pour être juste et droit, et parfait et ressemblant à Dieu ? Nous comprenons qu’il s’agit davantage d’un chemin. Et ce chemin passe par des circonstances concrètes. Jésus, pas tout à fait de la même façon que Moïse dans le livre des Lévites, tutoie aussi ceux à qui il s’adresse. Il leur dit : vous serez parfaits, mais, toi, n’oublie pas ceci : quand quelqu’un te gifle, quand quelqu’un veut te faire un procès, quand quelqu’un te demande d’aller avec lui quelque part, quand quelqu’un te demande quelque chose… Voilà ce qui est le signe, Jésus dit : la sainteté, la perfection à laquelle vous êtes invités est une sainteté, une perfection qui s’applique à chacun d’entre vous dans les situations les plus concrètes de l’existence. Il en prend quatre, un peu au hasard. Ce qui veut dire que nous ne cherchons pas simplement à imiter Jésus sur ces quatre points, mais nous savons que c’est dans les circonstances concrètes de notre existence que cela se passe.
Par exemple, bien sûr, celui qui reçoit une gifle a plutôt tendance à vouloir la rendre ! Et, ce faisant, il augmente la pression. Celui qui est capable de résister et de faire baisser la tension, la pression et la violence, celui-là, on se dit : il est vraiment très fort et peut-être plus fort que celui qui l’a giflé, plus fort parce qu’il a réussi à faire baisser la tension et à introduire la paix. C’est très beau, mais nous sentons bien que c’est un chemin et que cela ne se fait pas du jour au lendemain d’arriver à cela.
On raconte que saint Vincent de Paul a été interpellé par une riche héritière qui voulait qu’il vienne à son secours pour le procès qu’elle entendait mener contre quelqu’un qui voulait la dépouiller, probablement, et saint Vincent de Paul aurait répondu : madame, mon maître Jésus-Christ n’a eu qu’un procès dans sa vie et il l’a perdu. Bien sûr, cela nous ouvre une perspective qui est celle que la sainteté, celle de saint Vincent de Paul est indéniable, et remplie d’humour ! La sainteté est capable d’avoir un peu de distance avec soi-même ; la sainteté est capable de discerner, dans les situations, que nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin. On imagine que cette personne, à qui saint Vincent de Paul a répondu, il lui a fallu du temps pour digérer, d’une certaine façon, cette boutade pourtant sérieuse de saint Vincent. Il lui a fallu du temps, peut-être a-t-elle entendu un jour qu’il y avait là une belle vérité, quelque chose à retenir pour elle-même ?
Donc cela s’applique aussi bien au peuple tout entier, c’est-à-dire à nos communautés chrétiennes, à nos relations dans la vie sociale avec les autres, dans la vie familiale ; et puis cela s’applique à chacun dans son cheminement vers la sainteté que Dieu nous donne. Le pape François a écrit, il y a tout juste cinq ans pour la fête de saint Joseph, le 19 mars 2018, une belle exhortation sur la sainteté, sous le titre Gaudete et exultate : Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse à cause de l’appel que vous avez reçu, à devenir saints comme le Père céleste est saint. Et parmi ces considérations du pape sur la sainteté, vous vous souvenez peut-être de cette formule : il cite « la sainteté de la porte d’à côté. » Cela veut dire la sainteté qu’on voit chez nos voisins, on est capable de la voir chez telle ou telle personne dont on sent qu’elle est animée du désir de ressembler à Dieu et de marcher sur le chemin de Jésus.
Il dit d’une part : « Dieu nous veut positifs, reconnaissants et pas trop compliqués. » Et c’est cela ce chemin de sainteté. Être capable de reconnaître que tout vient de Lui, et que si nous sommes capables de changer c’est sous l’effet de sa bonté, sous l’effet de l’Esprit transformateur qu’il met en nous. Il dit ailleurs : « Laisse la grâce de ton baptême porter du fruit, dans un cheminement de sainteté. » C’est un programme qui s’applique à toutes nos vies personnelles, à toutes nos vies de communauté, à toutes nos vies sociales, et, je l’espère, à la vie du monde tout entier qui cherche, je le crois, la paix, l’unité, et quelque chose qui ressemble à l’amour que Dieu est capable de donner à chacun.
L’évangéliste saint Matthieu dit : « Soyez parfaits. » L’évangéliste saint Marc n’utilise pas du tout cet épisode de l’Évangile ni cette phrase. Et l’évangélise saint Luc, dans le passage correspondant à celui-ci dit : « Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. »
Je crois que c’est le chemin sur lequel nous essayons d’avancer les uns et les autres. Que Dieu nous en donne la grâce.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris