Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe en la cathédrale Notre-Dame
Dimanche 9 mars 2025 - Notre-Dame de Paris (4e)
– 1er dimanche de Carême – Année C
- Dt 26, 4-10 ; Ps 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4, 1-13
Avant de nous faire méditer sur les tentations de Jésus, la liturgie d’aujourd’hui nous propose deux textes, l’un tiré du Deutéronome et l’autre tiré de la Lettre de saint Paul aux Romains, pour nous mettre au centre même de la foi et de la profession de foi.
Dans le Livre du Deutéronome, nous comprenons que ce qui est au centre de la foi du peuple juif, c’est la libération d’Israël qui va pouvoir quitter l’esclavage en Égypte. Cela, le peuple de Dieu le rappelle d’année en année pour ne jamais l’oublier. « Et quand tu vas présenter ton sacrifice, dis : Mon père était un Araméen nomade qui a été en Égypte persécuté. Dieu l’en a sauvé. Dieu l’a libéré. » Voilà le centre, voilà ce que l’on se répète d’année en année et de siècle en siècle dans le peuple que Dieu a choisi.
Dans la Lettre de saint Paul aux Romains, le centre c’est : « Si tu crois dans ton cœur que Jésus est Seigneur et que Dieu l’a ressuscité des morts ». Voilà la deuxième étape de la proclamation de la foi que nous faisons, et cela nous le répétons d’année en année, de dimanche en dimanche, lorsque nous proclamons la foi et que nous disons de Jésus qu’il est Seigneur, c’est-à-dire de même nature, consubstantiel au Père. Il est Seigneur, comme Dieu le Père, et il est ressuscité des morts par la puissance de Dieu. Nous le disons, nous le répétons pour ne jamais l’oublier. C’est le centre même à partir duquel nous ne cessons de méditer.
Hier, dans cette cathédrale, 672 adultes ont demandé à être incorporés dans l’Église, par le baptême, lors de la prochaine célébration de Pâques. Dans les lettres qu’ils m’ont écrites, ils ont cherché à se remémorer l’acte premier de leur foi, l’histoire de leur rencontre avec le Christ. Et j’en ai interrogé un certain nombre quand ils venaient pour pouvoir inscrire leur nom sur les registres de l’Église. Je leur demandais : « Quelle est l’origine ? Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis que vous connaissez le Christ ? » Et beaucoup m’ont répondu : « Il a mis en moi la paix du cœur ; il m’a aidé à passer au cœur des épreuves que la vie m’a réservées jusqu’à présent ; il m’a donné la joie et l’espérance. » C’est le cœur même de la foi qui est ainsi dit. Ils avaient besoin de l’écrire, ils avaient besoin de le proclamer pour s’associer à la foi que nous récitons chaque dimanche, à la foi que nous proclamons dans un dialogue au moment de Pâques.
Voilà le cœur, le centre à partir duquel nous méditons et comprenons les tentations de Jésus. Les tentations de Jésus sont ici énoncées par saint Luc. D’abord, on croit que c’est autour du pain, que Jésus va transformer pour lui-même. Mais non, le diable tente Jésus et lui dit : « Est-ce que tu ne vas pas plutôt chercher des prodiges ? Est-ce que tu ne vas pas chercher à attirer vers toi ? Est-ce que ton pouvoir tu ne vas pas le garder ? Le pouvoir que Dieu t’a donné. Tu pourrais attirer à toi, tu pourrais te satisfaire, tu pourrais être le roi de tous et être suivi. » En écoutant cette parole de l’évangile, je pensais à ce qu’en dit le grand écrivain russe du XIXe siècle, Dostoïevski, dans Les Frères Karamazov, évoquant ce qu’il appelle la légende du Grand Inquisiteur. Le Grand Inquisiteur, qui veut prendre la place du Christ, dialogue avec le Christ lui dit : « Tu n’ignorais pas, tu ne pouvais pas ignorer, ce secret fondamental de la nature humaine, et pourtant tu as repoussé l’unique drapeau infaillible qu’on t’offrait et qui aurait courbé sans conteste tous les hommes devant toi. Le drapeau du pain terrestre, satisfaire les besoins immédiats, tu l’as repoussé - dit le Grand Inquisiteur au Christ - au nom du pain céleste et de la liberté. » Jésus, avec sa mission, veut apporter l’ouverture à Dieu et la liberté : la liberté de croire, la liberté de tout recevoir de Dieu. Mais le diable veut lui souffler de garder pour lui son pouvoir, de garder pour lui le succès.
Dans la deuxième tentation, qui est presque de la même nature, il lui dit : « Est-ce que tu ne pourrais pas utiliser les moyens naturels et habituels du pouvoir pour dominer tous ceux qui t’entourent et le monde entier ? » C’est la deuxième tentation sournoise, elle est forte aussi celle-ci. Mais Jésus répond : « Je viens non pas dominer mais servir ; le pouvoir que j’ai c’est un pouvoir de service. »
Et la troisième tentation, qui est bien sûr une variation, dit les choses autrement : « Vas-tu utiliser tes privilèges pour épater le monde ? » Et Jésus répond : « Non, je ne veux pas prendre la place de mon Père, mais je suis envoyé pour aller rejoindre les hommes dans les épreuves qu’ils traversent, dans les luttes de leurs choix quotidiens qui sont difficiles et tortueux, et je veux leur montrer que Dieu est avec eux sur ces chemins-là. »
Jésus ne se laisse pas détourner mais il est tenté. Le diable n’est pas loin de lui, et veut faire échouer sa mission. Jésus veut servir, Jésus veut être à nos côtés dans les combats de notre vie quotidienne, Jésus ne veut pas faire des prodiges pour attirer à lui.
Ces trois tentations de Jésus, ce sont aussi les nôtres. Nous pouvons vouloir nous échapper et faire en sorte qu’il y ait autour de nous plus de facilités, sans la fraternité. Nous pouvons dominer, ne serait-ce qu’un seul de nos frères ou une seule de nos sœurs à côté de qui nous vivons, mais nous voulons apprendre à servir. Nous pourrions, comme le diable le suggère, éviter aussi les conflits, les difficultés, les épreuves, ou vouloir y échapper, mais non, nous savons que le Christ est avec nous, y compris dans ces moments difficiles où nous avons besoin d’une espérance forte, il est là pour nous aider à combattre.
Que le Seigneur, au cours de ce carême, nous donne cette force dont nous avons vraiment besoin pour aimer, pour ne pas dominer, pour servir, et pour avancer jour après jour avec une immense espérance qu’il peut nous faire grandir avec lui, sur le chemin où nous irons vers le Père.
C’est la grâce que nous demandons pour ce carême : que nous sachions lutter avec lui.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris