Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Charles de Monceau

Dimanche 16 mars 2025 - Saint-Charles de Monceau (17e)

– 2e Dimanche de Carême – Année C

- Gn 15,5-12.17-18 ; Ps 26, 1.7-9.13-14 ; Ph 3,17 à 4,1 ; Lc 9,28b-36

Comme vous l’avez entendu dans la deuxième lecture, tirée de saint Paul aux Philippiens - les Philippiens c’est presque la première communauté que Paul a évangélisée en arrivant en Europe, en quittant l’Asie et en venant jusque chez nous, au nord de la Grèce : « Nous avons notre citoyenneté dans les cieux. » Bien sûr, les lectures de ce jour nous le montrent à plaisir, mais cette identité de Chrétien, pour nous qui avons notre citoyenneté dans les cieux, c’est une identité qui se tient dans notre cœur fragilement, dans notre existence tout aussi fragilement, parce qu’il y a bien des occasions de perdre cette espérance au cours de notre existence. Il y a les épreuves de la vie, il y a l’épreuve majeure de la mort, qui peuvent mettre en péril l’assurance que nous avons d’appartenir déjà aux cieux que Dieu a faits et à sa présence, ou à notre présence à ses côtés, appelés par lui. En effet, l’apôtre Paul dit : « Il y en a même, parmi les croyants, qui vivent simplement du désir du bien-être, du désir du bien-être terrestre, et qui croient que la foi est seulement faite pour ce temps d’aujourd’hui. Il y en a qui se renferment sur les biens de la terre et sur le bien-être que nous sommes capables de créer pour se trouver bien. Il y en a qui sont, dit-il, des « ennemis de la croix du Christ », c’est-à-dire des ennemis de ce cheminement qu’il faut vivre avec le Seigneur qui affronte bien des obstacles dans l’existence, y compris celui final de la mort, qui nous ouvre à la vie avec le Seigneur. Aussi bien, l’apôtre Paul a-t-il raison de dire à ces Philippiens, qu’il aime beaucoup et à qui il a annoncé l’Évangile en premier : « Tenez bon dans le Seigneur. Seul le Seigneur est capable de vous faire tenir bon, seule la confiance en lui est capable de vous faire grandir tout au long de votre existence à travers des épreuves, à travers des souffrances, à travers des contradictions opposées à votre foi, seul il est capable de vous faire tenir. »

Alors les deux autres lectures du jour nous éclairent, nous donnent la lumière, nous font voir ce qui est de l’ordre de la citoyenneté des cieux. D’abord, dans la première lecture, l’histoire d’Abraham qui désespérait d’avoir une descendance. Et voilà que, d’une part, en méditant sur l’infini du ciel et des étoiles et, d’autre part, en pratiquant cette liturgie sacrificielle devant le Seigneur, il acquiert la certitude que la magnificence de Dieu, la grandeur d’âme de Dieu, lui assurera cette descendance, non seulement physique par l’enfant qui viendra bientôt, Isaac, mais surtout dans la foi et la confiance. Abraham est le père d’une multitude de croyants, disons-nous, et il a découvert cela dans la prière, la méditation, mais aussi dans la prière liturgique, dans la liturgie qu’il vient de faire pour offrir à Dieu les animaux, pour faire en sorte qu’il voie vraiment dans ce sacrifice une relation s’établir entre Dieu et lui, entre lui et Dieu, une relation de confiance : « J’ai confiance que tu me donneras cette descendance spirituelle que tu me promets. J’ai confiance dans ta promesse ; je le vois dans ma prière ; je le comprends dans cette liturgie que tu m’inspires de faire en ton nom. »

Et dans l’évangile, ce récit de la transfiguration, dans la version de saint Luc, insiste beaucoup sur le fait que Jésus a choisi trois de ses disciples pour fortifier leur foi, pour leur permettre de ne pas être enfermés sur leurs craintes, sur leurs inquiétudes, mais au contraire ouverts à la lumière de Dieu. Il les emmène sur la montagne, il gravit la montagne avec les trois : Pierre, Jean et Jacques, qui sont des fidèles. Et il est parti sur la montagne pour prier. C’est dans sa prière, et dans leur prière avec lui, autour de lui, qu’ils découvrent le secret de cette relation qui l’unit au Père, qu’ils comprennent que Jésus n’est jamais seul, qu’ils comprennent que Jésus est toujours dans une relation de confiance avec son Père. C’est cela le secret, le secret de la relation du Père et du Fils qui se font confiance mutuellement, qui échangent entre eux une parole de vie sans cesse : ils sont toujours l’un avec l’autre dans la grâce de l’Esprit Saint, ils sont toujours l’un avec l’autre dans une conversation permanente. Dans une conversation qu’ils retrouvent dans cette prière. Dans l’évangile de Luc, on voit souvent Jésus prier nuitamment, mais là c’est de jour. Il a emmené ses disciples sur la montagne pour prier avec eux et les inviter à prier avec lui. C’est dans cette prière qu’ils découvrent, éblouis, la lumière de la relation entre Jésus et son Père des cieux. C’est dans cette relation qu’ils comprennent qu’ils peuvent se tenir pour garder confiance, alors que Jésus est en train d’aller vers Jérusalem et qu’il sait qu’il va y donner sa vie. Les apôtres, les disciples, pourraient perdre confiance en Jésus au moment de sa mort, et voilà que Jésus veut leur donner la certitude, l’assurance, fortifier cette certitude et cette assurance que la relation du Père et du Fils est telle, qu’au-delà de la mort, il y a, comme nous l’avons dit et chanté, la gloire. La gloire de Jésus ressuscité qui marche à travers bien des épreuves, qui va affronter l’épreuve de la mort en sachant qu’il est appelé à être le premier vivant pour toujours et que nous sommes appelés à l’être avec lui.

Au premier dimanche de carême, la semaine dernière, nous avons vu Jésus tenté d’oublier cette relation avec son Père, et nous aussi nous sommes souvent tentés d’oublier cette relation avec le Père et de faire confiance à nos façons de faire, à notre morale, à nos façons d’agir. Mais non, nous faisons surtout confiance à cette relation du Père et du Fils dans la prière. Après avoir été mis en face des tentations de Jésus qui sont aussi les nôtres, nous découvrons que « tenir bon », comme dit l’apôtre Paul aux Philippiens, « tenir bon dans le Seigneur », c’est tenir bon dans l’écoute de la Parole de Dieu et tenir bon dans la prière avec lui.

En ce temps de carême, nous sommes invités à cela de façon très profonde, et renouvelée : tenir dans la prière pour garder l’espérance que Dieu nous prépare à être avec lui. Tenir au milieu des épreuves de la vie grâce à l’écoute de la Parole de Dieu pour apprivoiser en nous cette proximité que Dieu veut pour nous, cette lumière qu’il veut nous donner sur l’aboutissement du chemin, pour que nous ne soyons jamais tentés de perdre confiance.

Pendant ce carême, nous pouvons, pour beaucoup de raisons, prier pour nous-même, prier pour l’Église, qu’elle ne perde jamais confiance. Prier pour ce monde qui est souvent dans le conflit, dans la guerre, et qui croit que les solutions sont toujours des solutions de puissance. Prier pour que les hommes et les femmes qui sont sous le coup d’une guerre ne désespèrent pas de la paix, qu’ils sachent que Dieu veut cette paix, qu’il les invite à la vivre. Et que dans nos vies simples de tous les jours, affrontés à des épreuves et des soucis, nous ne perdions pas confiance. C’est le chemin même du carême vers la célébration de Pâques à laquelle nous nous associons les uns et les autres, et notamment ceux qui se préparent au baptême. C’est une joie pour nous tous de les accueillir et de leur permettre de grandir dans l’acte de foi alors même que nous devons aussi nous laisser fortifier.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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