Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe de clôture du pèlerinage de la Paix « L’Espérance, chemin de paix » en la prieurale de Souvigny
Dimanche 4 mai 2025 - Souvigny (Diocèse de Moulins)
– 3e Dimanche de Pâques — Année C
- Ac 5, 27b-32.40b-41 ; Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13 ; Ap 5, 11-14 ; Jn 21, 1-19
En ce troisième dimanche de Pâques, nous pouvons faire particulièrement attention à la façon dont Jésus est désigné, le nom de Jésus. D’abord dans la lecture du Livre des Actes des Apôtres : « Nous avions formellement interdit - dit le grand prêtre devant le Conseil suprême juif - d’enseigner au nom de celui-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de son enseignement. » Et à la fin du passage que nous avons lu : « Quant à eux, les Apôtres, quittant le Conseil, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus. » Le nom de Jésus a évidemment quelque chose d’immense dans le cœur des croyants : ce nom de Jésus qui dit beaucoup plus que le nom d’un homme, l’homme que nous sommes, chacun. Nous pressentons que ce nom est un nom qui est capable d’agir : quand Jésus n’est plus là son nom est encore actif.
Et puis, dans l’Apocalypse de saint Jean, nous lisons ceci : « Il est digne, l’Agneau immolé - voilà comment on appelle Jésus dans l’Apocalypse de saint Jean, l’Agneau qui s’est donné à tous - il est digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. À celui qui siège sur le Trône - c’est Dieu le Père - et à l’Agneau - c’est le Fils - la louange et l’honneur, la gloire, la souveraineté pour les siècles des siècles. » Voilà ce que l’apôtre, l’évangéliste saint Jean, dit au sujet de Jésus.
Et enfin, dans l’évangile, il y a un mot qui nous frappe. Jésus s’approche de ses disciples après sa résurrection. Ils voient quelqu’un s’approcher, ils s’étonnent, ils s’inquiètent, ils se disent : « Qui est-il ? » Et l’un d’eux dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Et quand il a dit cela, nous sentons qu’il a tout dit sur Jésus.
Avec les mots que je viens de dire, avec les noms que je viens de citer - le Seigneur, le nom de Jésus, le nom tout court, et puis aussi l’Agneau - les chrétiens, les disciples de Jésus après la résurrection, ont compris très vite qu’il y avait dans le nom de Jésus beaucoup plus que le nom d’un homme, qu’il y avait la puissance même de Dieu, qu’il y avait Dieu lui-même présent au milieu des hommes. Certains avaient compris, dès avant, qu’il y avait un mystère étonnant de Jésus lui-même. Mais, après sa Résurrection, eux qui l’ont suivi, qui l’ont aimé, qui peuvent l’avoir trahi aussi, sentent qu’il y a davantage. Le nom de Jésus est révéré, dès les débuts de l’histoire chrétienne, comme un nom qui continue d’agir dans le monde : le nom de celui qui fait du bien au nom de Dieu. Tout le monde sait, tout le monde comprend, parmi les disciples du Seigneur, que c’est Dieu lui-même qui le fait.
Quand l’Évangile est sorti de la sphère proprement juive et qu’il est allé à la rencontre des cultures voisines, et notamment de la culture grecque, remplie de l’habitude de jongler avec les idées générales, les idées et les concepts, cela a posé des problèmes. Cela a été difficile de comprendre qui était Jésus quand on utilisait la langue des philosophes, la langue des Grecs. Certains se sont dit : « Mais alors, Jésus, dont nous parlons comme si c’était un Dieu, est-il vraiment Dieu, autant que Dieu le Père ? Jésus est-il un homme que Dieu aurait choisi parce qu’il était vraiment très bien pour l’assimiler à Dieu ? Pour lui faire monter des marches et le diviniser ? Jésus est-il, un peu comme c’était l’habitude dans toutes les religions avec de multiples dieux, une sorte de demi-dieu, un dieu juste un peu inférieur à Dieu ? Est-ce que vraiment nous pouvons croire ? » Cela a suscité de grandes polémiques surtout vers les IIIe-IVe siècles du début de notre ère, et cela a créé des divisions parmi les chrétiens qui étaient prêts à donner leur vie pour les autres, à être martyrs. Cela a créé des manques de charité entre des parties de l’Église, entre des hommes et des femmes et des témoins de la foi. Les uns disant : « Ce n’est pas concevable que Dieu se soit manifesté en Jésus, lui-même Dieu. » Alors il a fallu revenir et comprendre.
Cela a failli mettre en péril l’unité de toute l’Église et, au début du IVe siècle, en mai-juillet 325, s’est déroulé le Concile de Nicée. L’empereur Constantin était très soucieux de l’unité de l’Église parce qu’il sentait que si elle était désunie, divisée, pour des questions de doctrine, alors il y allait aussi de la désunion de son empire. C’était grave, pour lui, que l’Église soit soumise à une crise de cette nature. À quoi s’ajoute d’ailleurs le fait qu’à ce moment-là, certains dans l’Église célébraient Pâques à la date des Juifs, le 14 du mois de Nisan, et d’autres, peut-être les plus nombreux déjà, célébraient Pâques un dimanche, jour de la Résurrection, le premier jour de la Création et le huitième jour du renouvellement de la Création. Cela aussi faisait de la division dans l’Église, et l’empereur Constantin sentait que cette désunion dans l’Église pourrait avoir des conséquences graves sur la paix civile. C’est pourquoi c’est lui qui a convoqué le premier concile qu’on appelle œcuménique, le premier concile de toute l’Église d’Orient et d’Occident. Il l’a convoqué autour d’un certain nombre de problèmes disciplinaires, sur lesquels je passe, et sur les deux que je viens de dire. Trois cent dix-huit évêques se réunissent dans la ville de Nicée, connue aujourd’hui en Turquie sous le nom d’Iznik, des évêques qui, à force d’échanges, de discussions, d’écoute mutuelle et de recherche du plus grand bien possible pour l’Église, se disent : « Nous devons nous mettre d’accord sur la compréhension que nous avons concernant le Christ et nous devons nous mettre d’accord sur la date de Pâques. » Et je ne dis pas cela par hasard parce qu’ils vont se mettre d’accord sur cette date de Pâques et, à la fin du concile de Nicée, se dire : « C’est une grande joie que nous vous annonçons, nous avons trouvé la façon de célébrer Pâques tous ensemble ! »
Aujourd’hui, et après la réforme du calendrier au XVIe siècle, la question se pose de nouveau puisqu’une partie de l’Orient et l’Occident ne célèbrent plus Pâques à la même date, sauf cette année c’est-à-dire de temps en temps. Et nous sommes donc de nouveau à la recherche d’une date commune. Je suis heureux d’avoir entendu trois des principaux chefs d’Églises : le Pape François, le Patriarche de Constantinople, Bartholomée - il l’a dit plus d’une fois et notamment devant moi, chez moi, à l’archevêché de Paris - et puis le Pape des Coptes en Égypte, Tawadros, que j’ai aussi entendu de mes oreilles, chez lui, dire : « Il faut qu’entre nous il y ait un accord sur la date de Pâques pour que tous les chrétiens du monde puissent célébrer Pâques le même jour, ce serait un grand signe d’unité pour tous, même si nous conservons des différences. » Et puisqu’à Nicée on a trouvé une date commune de Pâques, espérons que, sans trop tarder, on pourra trouver un principe pour que Pâques soit toujours célébrée à la même date chez tous les Chrétiens.
Et puis, sur l’identité de Jésus : est-il vraiment Dieu ? N’est-il pas un dieu secondaire ? N’est-il pas un demi-dieu, n’est-il pas un homme adopté par Dieu comme de nature un peu divine aussi ? Non ! Nous le disons dans le Credo et nous le dirons tout à l’heure - « Engendré non pas créé » - Jésus n’est pas créé comme nous avons été créées, Jésus est consubstantiel du Père : c’est le mot. Cela veut dire que, quand nous voyons Jésus, quand nous écoutons la Parole de Jésus, quand nous communions au Corps du Christ, nous croyons que c’est Dieu lui-même. Jésus, Fils de Dieu, est Dieu comme Dieu. Jésus est un avec le Père. Et l’Esprit qui les rassemble fait d’eux une unité parfaite. Quand nous voyons le Fils, nous voyons le Père. Quand nous comprenons que le Fils agit au milieu de nous en donnant, par exemple, la force du désir de paix, c’est Dieu lui-même qui agit dans notre cœur et veut nous transformer.
Il n’est pas inutile qu’en ce 1700e anniversaire du Concile de Nicée nous renouvelions notre foi dans le Christ, Fils de Dieu, Dieu lui-même présent au milieu des hommes, Dieu lui-même agissant dans le cœur des hommes jour après jour, Dieu lui-même mettant, par l’espérance qu’il introduit dans notre cœur, le désir de la paix pour la grande famille humaine et le salut pour toute la création.
Voilà ce que nous croyons, voilà ce que le Credo renouvelle dans notre cœur, semaine après semaine, quand nous le disons et, au jour de Pâques, quand nous le célébrons plus solennellement encore. Voilà ce qui nourrit, dans notre cœur, le désir d’une paix universelle, d’une paix que Dieu veut pour tous.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris