Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à l’occasion de l’ostension de la Sainte Tunique du Christ lors du Pèlerinage de la vie consacrée en la basilique Saint-Denys d’Argenteuil

Samedi 10 mai 2025 - Basilique Saint-Denys d’Argenteuil (Diocèse de Pontoise) (95).

 Voir l’album-photos du Pèlerinage de la vie consacrée à Argenteuil.


 3e semaine du temps pascal
 Ac 9, 31-42 ; Ps 115 (116b), 12-13, 14-15, 16ac-17 ; Jn 6, 60-69

Dans ce passage du Livre des Actes des Apôtres, nous avons pu nous représenter deux épisodes extraordinaires. D’abord une guérison, et puis une résurrection d’entre les morts accomplie devant les apôtres. Ces deux gestes extraordinaires, que l’on peut appeler des miracles, vont bien sûr se renouveler tout au long de notre histoire chrétienne. Ce sont des moments qui sont merveilleux mais qui n’engendrent pas forcément tout de suite la foi chez tout le monde, comme nous le comprenons. Et ils ont touché quelques personnes à travers l’histoire de l’Église - si peu au regard de tous les malades, de tous ceux dont on a perdu l’affection du fait de leur mort - que nous devons bien comprendre que ces signes qui vont se répéter tout au long de l’histoire ne sont faits que pour inviter à la foi ou la conforter. La dernière phrase du passage des Actes des Apôtres le dit : « Et beaucoup crurent en Jésus. » Ce sont des signes provoquant la foi ou capables de la rendre plus ferme à condition, en effet, que cette foi touche la relation avec Jésus. On l’a compris dans l’évangile que nous venons d’entendre, qui conclut de façon si belle tout ce chapitre 6 de saint Jean, par la profession de foi de Pierre : « À qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » Et Pierre dit cela devant le constat de la défection d’un certain nombre de disciples devant les paroles trop difficiles, trop dures, de Jésus qui propose un chemin ardu pour le suivre, qui propose des paroles qui sont faites pour remuer, pour retourner, pour convertir, pour permettre de changer de vie. Il ne s’agit pas que nous soyons simplement éblouis par le signe parce qu’il nous concerne. Il s’agit que nous soyons toujours tournés vers celui qui en est le véritable auteur, vers celui qui ne cesse de nous faire des signes, parfois beaucoup plus ténus, parfois beaucoup plus simples, parfois presque inaperçus, mais des signes qui nous parlent et qui peuvent nous transformer.

Ici même, au cours des générations, des signes magnifiques ont été vécus et ils ont été là pour conforter la foi de ceux qui venaient. Devant cette Sainte Tunique nous comprenons de quel amour nous sommes entourés.

Mais d’abord je voudrais décrire un peu cet amour dans ce qu’il a produit dès les débuts de l’histoire chrétienne. Cette Sainte Tunique, comme votre évêque vient de le dire, tissée d’un seul fil de haut en bas, révèle un amour très profond de la personne qui l’a tissée envers celui pour qui elle la tissait. C’est une attention inouïe, magnifique, une intention de réaliser un objet extraordinaire, un tissu et un vêtement marqués d’une telle qualité. Il fallait beaucoup d’amour, un amour, nous le pressentons, d’origine divine.

Il y a un deuxième signe d’amour qui est magnifique, c’est que l’évangéliste saint Jean se soit arrêté sur ce tout petit épisode : les soldats qui ne veulent pas découper le vêtement, le déchirer, et qui le tirent au sort. L’évangéliste s’arrête sur ce moment en manifestant ainsi la profondeur et la façon dont, peut-être, ce vêtement a pu toucher les soldats eux-mêmes. Le regard de l’évangéliste indique un amour très profond des disciples pour ce qui a touché le corps de Jésus au moment de sa Passion. Cette petite phrase, en passant, révèle qu’évidemment les premiers disciples de Jésus, les apôtres, ont pu attacher du prix à ce vêtement et ont dû tout faire pour l’acquérir et le conserver après la mort et la résurrection de Jésus. Cela encore est un signe d’amour étonnant.

Et puis toute l’histoire de cette tunique, depuis vingt siècles : à certains moments cette tunique est bien connue ; à d’autres moments elle disparaît des regards. Elle peut être cachée et protégée dans des moments de l’histoire qui la mettraient en danger. Elle ressurgit parfois à des époques où on ne l’attend pas. En tout cas, elle a mérité au cours des âges une attention, elle a été comprise comme un élément de dignité et de sainteté incroyable. On lui a porté beaucoup d’amour et, jusqu’à aujourd’hui où elle a engendré tant de bienfaits, elle permet au témoignage de l’amour de s’exprimer d’une façon extraordinaire et vous en êtes aujourd’hui à la fois les signes et les bénéficiaires. Mais évidemment, ces trois signes de l’amour : l’amour qu’il a fallu pour le tisser, l’amour qu’il a fallu pour chercher à le protéger, l’amour que les siècles lui ont donné, ces trois formes-là de l’amour ne s’expliquent pas sans l’amour du Christ pour nous, sans l’amour premier de Dieu dans le Christ. Et voilà pourquoi nous sommes ici, pourquoi nous accueillons ce signe du bienfait accordé à beaucoup à travers le monde et à travers l’histoire. Comme l’est la Sainte Couronne d’épines à Notre-Dame de Paris, comme l’est le linceul - permettez que je l’appelle le linceul de Chambéry-Turin, j’ai été archevêque de Chambéry, il ne faut pas dissocier l’un et l’autre, ce linceul a été un siècle et demi dans la Sainte-Chapelle du château de Chambéry – comme l’est aussi le Saint-Suaire d’Oviedo. Quatre pièces qui, l’une et l’autre, manifestent l’amour étonnant d’un peuple tout entier envers ces signes-là, un peuple qui les reconnaît comme des signes de la réponse à l’amour premier du Seigneur. S’il n’y avait pas d’abord l’amour de Dieu pour nous, s’il n’y avait pas d’abord l’amour de Jésus pour nous jusqu’à la mort, alors nous serions bien pauvres.

Voilà pourquoi nous entendons particulièrement les deux conclusions des textes de ce matin : « Alors beaucoup crurent en Jésus » ; « Seigneur tu as les paroles de la vie éternelle, à qui irions-nous ? » Tout nous conduit à accueillir l’amour du Christ révélé à travers cette Sainte Tunique ; tout nous conduit à nous laisser transformer par cet amour ; tout nous conduit non pas simplement à regarder avec beaucoup d’attention ; tout nous conduit à ne pas simplement être exaucé dans une prière personnelle ; tout nous conduit à élargir sans cesse notre regard sur le monde tout entier.

Comme nos yeux aujourd’hui sont attirés par la nouveauté qui marque la vie de l’Église depuis avant-hier avec l’élection d’un nouveau pape, nous pouvons entrer dans sa propre prière pour que l’Église soit vraiment constructrice, avec le Christ, des ponts qui sont nécessaires pour que la vie de l’homme soit rendue plus belle, pour que chacun d’entre nous n’ait pas le regard attiré simplement sur ses propres besoins mais sur la joie de l’Évangile, sur la joie qu’il y a à être témoin de l’Évangile, sur la joie que le Christ porte sur ce monde pour qu’il se laisse transformer en objet et en sujet d’amour.

Voilà ce à quoi nous sommes invités. Qu’ici-même notre amour du Christ et de l’Église soit fortifié, que l’amour du monde dans lequel nous vivons à l’image de l’amour du Christ pour ce monde soit fortifié. Nous le demandons ensemble ce matin et tous les jours de notre vie.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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