Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à la paroisse du Bon-Pasteur
Dimanche 21 septembre 2025 - Bon Pasteur (11e)
– 25e dimanche du Temps Ordinaire — Année C
- Am 8, 4-7 ; Ps 112 (113), 1-2, 5-6, 7-8 ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13
Quand nous entendons ce passage de l’Évangile, aujourd’hui, sur le mauvais usage de l’argent et la possibilité qu’il y ait un usage utile de l’argent, nous n’oublions pas que, dimanche dernier, nous avons entendu le récit de l’enfant prodigue, qui avait fait un usage de l’argent en le dilapidant et en l’utilisant à ses fins propres, pour lui-même.
On pourrait prendre d’abord la lecture du Livre d’Amos que nous avons entendue, comme une condamnation de ceux qui utilisent mal l’argent : ils sont plein de cupidité, ils ne veulent qu’amasser à leur profit et se servir de l’argent pour leur plaisir. C’est ce que décrit le prophète dans un temps où Israël se trouve plutôt dans une situation confortable et où le pays vit dans une sorte de bien-être qui profite surtout aux riches bien sûr, mais il y a de l’argent, il y a du commerce et on voit qu’il y a des gens qui voudraient bien qu’il n’y ait pas de dimanche - ce n’est pas le mot utilisé - qu’il n’y ait pas de fêtes au cours desquelles on est obligé de s’arrêter parce que Dieu s’arrête le septième jour, obligeant à ne pas faire de commerce ces jours-là. Et ils disent : « Quand ce jour sera-t-il fini pour que je puisse recommencer mes affaires et gagner de l’argent ? »
On peut penser aussi, de la scène de l’évangile que nous venons d’entendre, que Jésus en a contre l’argent mal utilisé, mais aussi contre les riches qui profitent. Évidemment ces deux lectures de ces deux textes ne sont pas fausses, mais elles ont l’inconvénient de porter la faute sur d’autres que nous, de dire simplement : « Moi, je ne suis pas très riche et donc je n’utilise pas mal l’argent, je fais ce que je peux avec le peu que j’ai. » Alors, s’il s’agit de cela, et si on est venu à l’église pour entendre la condamnation des autres, il y a quelque chose qui ne va pas très bien ! Ce qui est clair, c’est qu’à l’époque du prophète Amos, comme probablement à l’époque de Jésus, dans beaucoup d’époques à travers l’histoire, celles en tout cas qui n’ont pas été marquées par des récessions économiques et des souffrances économiques excessives avec de grandes difficultés - et il y en a, les périodes de disette et de difficultés économiques ont été bien nombreuses dans l’histoire du monde - dans ces époques dont il est question ici, et dans la nôtre, l’argent semble être comme un concurrent de Dieu. L’argent semble être disposé dans la société d’aujourd’hui, dans notre société, même si elle traverse des difficultés que nous connaissons bien, comme une valeur suprême. Il y a une fascination contre laquelle il faut que tout le monde lutte dans la société, une fascination de l’argent. On connaît le prix des objets de luxe, qui est étalé souvent ; on sait combien sont payés les footballeurs professionnels à des tarifs qui paraissent incroyables ; on connaît la richesse des puissants de ce monde, et elle est étalée aussi à la vue de tout le monde et cela crée chez nous tous une fascination. Cela nous entraîne et cela entraîne toute une société, beaucoup de gens qui croient que l’argent peut être facile et qui cherchent à gagner de l’argent par des moyens malhonnêtes au détriment de ceux qui ont des difficultés, de ceux qui sont les pauvres.
Alors heureusement il y a des contre-exemples. Il y a heureusement dans notre société, et je pense particulièrement à quelque chose qui se passe dans notre propre diocèse, et qui se passe souvent dans les grandes villes, le système des colocations avec des gens de la rue, l’Association pour l’Amitié, à Paris, a plusieurs de ces lieux qui font vivre ensemble, notamment des jeunes professionnels et des personnes qui autrement seraient à la rue.
Ou bien une autre association qui permet à des femmes seules avec enfants d’être mises à l’abri et en sécurité pendant des temps qui leur sont difficiles, jusqu’à retrouver une certaine sérénité et peut-être la possibilité de vivre de façon plus paisible.
Ou bien encore une autre association qui permet une colocation entre des jeunes professionnels et des personnes traumatisées à la suite d’accidents qui leur ont fait perdre une part de leur autonomie.
Et demain je vais bénir la première pierre d’une maison qui va accueillir ces trois associations, dans le sixième arrondissement, dans l’ancien couvent des Sœurs de la Visitation. Et pour moi c’est un exemple qui contredit et contrarie cette fascination de notre société pour l’argent, parce que cela valorise plutôt le désir d’être ensemble ; le désir de vivre avec ceux qui sont en difficulté ; le désir de partager. Et cela c’est, d’une certaine façon, sans prix, c’est une valeur extraordinaire que le partage : le partage des biens, le partage de l’amitié, le partage de la vie quotidienne. Cela n’a pas de prix mais cela coûte quand même quelque chose ! Parce que pour réaliser cette maison que nous allons ouvrir d’ici un an et demi, à peu près, il faut de l’argent. Et c’est un bon usage de l’argent, c’est un usage heureux qui permet à une société d’être redressée dans sa fascination de l’argent.
Je vous propose cette réflexion-là, car je crois que nous ne sommes pas sans moyen pour réagir contre cette fascination de l’argent dans le monde d’aujourd’hui. Et il y a tant d’autres associations que je n’ai pas besoin de vous citer, que vous connaissez bien et qui aident, qui sont là à collecter de l’argent pour qu’il ait un usage juste, un usage qui permet à ceux qui sont le plus en difficulté de vivre et de porter la fraternité.
C’est pour cela que l’apôtre Paul, dans la deuxième lecture, nous invite à prier pour les responsables de la société. Bien sûr on pense aux responsables de l’État, aux responsables politiques, mais aussi, je le crois, à ceux qui, bénéficiant de facilités et de l’argent, doivent être capables de les utiliser au bénéfice de tous, doivent avoir l’idée de les partager le mieux possible et de rendre la vie plus aisée et plus juste pour tous.
La prière que l’apôtre Paul nous demande d’avoir pour ceux qui exercent une responsabilité est une prière que je crois indispensable, parce que, dit-il, « Dieu veut le salut de tous ». Il veut le salut de ceux qui se perdent dans des actions inutiles, dans des actions immorales, dans des actions lointaines par rapport à Lui : il veut le bien de chacun d’entre nous qui essayons de vivre le plus simplement possible avec modestie et avec le désir d’une vraie fraternité. Il veut le bien de ceux qui sont en responsabilité dans le monde et de ceux, qui ayant beaucoup de moyens, ne mesurent pas toujours qu’ils ont une vraie responsabilité à l’égard des autres.
Que le Seigneur écoute notre prière aujourd’hui et qu’il ne nous fasse pas oublier cette prière pour tous, cette prière pour ceux qui exercent les plus grandes responsabilités dans notre monde. Qu’ils se laissent toucher par la misère, par la peine, par la pauvreté, par le désir d’une vie juste que nous essayons de mener les uns et les autres. Qu’ils se laissent toucher par tout cela et qu’ils travaillent, eux aussi, au bien le plus commun de l’humanité.
C’est pour cela que, chaque dimanche, nous sommes rassemblés. C’est pour cela que, chaque jour, nous essayons de prier. C’est pour cela que, tous ensemble, nous formons des communautés qui gardent dans leur cœur ce désir du salut de tous et d’une justice pour tous, de sorte que chacun, comme dit l’apôtre, puisse mener une vie paisible avec les autres et devant le Seigneur.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris