Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Messe d’obsèques de Monseigneur Michel Pollien, évêque auxiliaire émérite de Paris
Samedi 19 janvier 2013 - cathédrale Notre-Dame
Is 40, 9-11 ; Ps 39 ; Jn 11, 17-27
– Voir le dossier Mgr Michel Pollien.
Frères et Sœurs,
Au mois de septembre dernier, quand nous avons célébré ici même une messe d’action de grâces pour les soixante-quinze ans de Mgr Michel Pollien, et pour ses années de ministère parisien, il nous avait cité ce verset du prophète Isaïe « comme un berger il conduit son troupeau, son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits. » (Is 40, 11). Ce verset avait été pour lui une sorte de référence, de lumière et de modèle dans son chemin pour endosser, à son tour, la charge pastorale. Il ne s’agissait plus seulement de contempler la miséricorde et la tendresse du seul pasteur : Dieu, mais encore de manifester par son ministère, par sa manière d’être et de vivre ce ministère, cette miséricorde et cette tendresse aujourd’hui, pour les hommes de ce temps. Et nous savons combien le ministère de Michel Pollien a été éclairé et défini par cette volonté non seulement d’être proche de tous, mais de manifester et de mettre en œuvre un véritable amour pastoral. Je pense que pour beaucoup de prêtres - et en tout cas pour moi - cette manière d’exercer son ministère d’évêque a été une référence, un modèle et un encouragement.
Nous le savons Michel était très attentif à chacun, mais peut être de manière plus privilégiée à ceux auxquels personne ne prête attention. En effet, il vivait cette tendresse pastorale pour l’humanité, peut-être parce qu’à travers l’histoire de sa vie il avait traversé et connu beaucoup des situations dans lesquelles se trouvaient les personnes auxquelles il était envoyé et dont il était proche. Ainsi cette proximité découlait non seulement de l’intention pastorale de son ministère mais aussi de l’expérience intérieure de ce qu’il avait vécu et de ce qu’il vivait avec eux.
Proche, attentif, témoin de l’amour de Dieu pour les hommes, il n’était pas simplement un compagnon de route supplémentaire, il était un témoin de la foi. Un témoin serein, un témoin paisible mais un témoin indéfectible. Peut-être aussi parce que dans sa propre vie, il avait mesuré combien la relation avec le Christ pouvait changer quelque chose, et même changer le cours d’une existence. Il n’hésitait pas lui non plus à annoncer avec force : voici votre Dieu. Ce témoignage de la foi, dont il était persuadé et qu’il mettait en œuvre, il s’est employé tout au long de son ministère à y associer les chrétiens laïcs, hommes, femmes, à travers les équipes des différents mouvements qu’il a pu accompagner, en particulier dans la mission ouvrière, convaincu que la meilleure parole pouvant atteindre le cœur des hommes était le témoignage de leurs semblables. Et donc, il s’est toujours dépensé pour permettre au plus grand nombre de chrétiens et de chrétiennes de devenir ces témoins de la foi.
Le témoignage de la foi peut être variable et incertain dans beaucoup de situations humaines. Mais nous voici aujourd’hui confrontés à une situation que connaissent tous les hommes : la fin de la vie. A ce moment-là, le témoignage de la foi ne se gradue pas, ne se module pas, ne peut pas se contourner. Il est appelé, il est sommé de s’exprimer à la manière dont le Christ pose la question à la sœur de Lazare : « je suis la Résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. … Crois-tu cela ?... Oui, Seigneur, tu es le Messie » (Jn 11, 25-27). Ce témoignage de la foi devant la mort, devant l’épreuve qu’elle représente, et devant la rupture sans solution qu’elle manifeste, nous sommes tous appelés à le rendre quand nous entourons des parents, des amis, des relations qui sont frappés par la mort de l’un de leurs proches. Michel Pollien, tout au long de son ministère, a eu à vivre cet accompagnement dans la foi pour quantité de familles, plus ou moins convaincues que Jésus était le Messie et qui n’auraient peut-être pas été toujours capables de répondre comme Marthe à la question de Jésus. Mais sommes-nous toujours capables de répondre comme Marthe à la question de Jésus ? Ou plutôt, ne sommes-nous pas toujours en chemin pour répondre comme Marthe à la question de Jésus ? Et ce récit de l’évangile de saint Jean ne nous est-il pas donné précisément comme une lumière pour nous fortifier dans la recherche de notre réponse personnelle au Christ ?
Par-delà ces situations constituées par le ministère sacerdotal dans l’accompagnement des familles frappées par le deuil, Michel Pollien nous a donné un témoignage de la foi plus direct et plus immédiat au cours des dernières années de sa vie, alors qu’il était frappé par la maladie, sans illusion sur les chances ou les possibilités d’une guérison médicale. Il avait cette conviction que la manière dont il portait et vivait cette situation était aussi un témoignage rendu au Christ ressuscité. Nous savons que, en particulier au cours de la dernière année, la souffrance a été très forte, très dure à porter. Mais nous avons toujours trouvé Michel conscient de ce qu’il vivait, et je crois pouvoir le dire : désireux que ce qu’il vivait contribue à l’accomplissement de son ministère sacerdotal, comme nous l’avons chanté tout à l’heure en reprenant le psaume 39 : « Me voici Seigneur, je viens faire ta volonté tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit : « Voici, je viens. » ». Il me semble que tout au long de ces mois écoulés, marqués par la souffrance et par l’accompagnement médical, Michel a vécu cette offrande ultime non plus simplement de ses activités, de ses réalisations pastorales, mais tout simplement l’offrande de lui-même, le don de sa vie dans le sacrifice du Christ pour la vie du monde.
En l’accompagnant aujourd’hui, nous recueillons les signes de ce témoignage, nous rendons grâce d’avoir pu en bénéficier, et nous prions le Seigneur pour que la vie et la mort de Michel au milieu de nous soient la source d’une force plus grande dans notre fidélité à l’Évangile et dans notre désir d’être nous aussi témoins du Christ. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris