Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe et confirmations d’élèves de Saint-Louis de Gonzague
Samedi 4 juin 2016 - Lycée Saint-Louis de Gonzague (Franklin) (16e)
En ressuscitant le fils de la veuve de Naïm, Jésus fait œuvre de compassion à son égard, s’inscrit dans l’héritage d’Elie en se révélant comme un grand prophète, et annonce enfin ce que sera sa propre résurrection. La certitude que Dieu a compassion pour l’humanité s’inscrit dans le contenu de notre foi. Avec la confirmation, nous sommes invités à remettre le Christ au centre de notre vie et à laisser l’Esprit Saint éclairer notre liberté.
– Dixième dimanche du temps ordinaire – Année C
– 1 R 17, 17-24 ; Ps 29 (30), 3-4,5-6b, 6cd.12,13 ; Ga 1, 11-19 ; Lc 7, 11-17
Frères et Sœurs,
En ressuscitant le fils de la veuve de Naïm, Jésus envoie un triple message. D’abord, évidemment, un message à cette pauvre veuve qui allait se retrouver sans soutien et sans moyen de vivre, alors qu’elle vivait seule avec son fils. L’évangile nous dit, comme c’est souvent le cas dans des rencontres analogues, que Jésus est touché de compassion, qu’il s’approche et qu’il fait quelque chose. Les Actes des Apôtres diront que Jésus est passé parmi les hommes en faisant le bien. Il passe, il voit, il s’approche, il touche et il sauve. Pour cette femme, c’est une nouvelle vie qui commence.
Le deuxième message s’adresse à la foule et aux disciples qui l’entourent, dont la plupart sont des Juifs. En refaisant le même geste qu’avait accompli le grand prophète Elie en ressuscitant le fils de la veuve de Sarepta, Jésus manifeste, sans avoir besoin de plus de discours, qu’il est l’héritier d’Elie, qu’il est le nouvel Elie. Comme le grand prophète Elie, lui aussi est capable de ressusciter un homme mort. Ceci nous aide à comprendre pourquoi l’évangile nous dit que « la crainte s’empare de tous et qu’ils rendent gloire à Dieu en disant : un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple » (Lc 7, 16). Ainsi, par la résurrection du fils de la veuve de Naïm, Jésus, une fois de plus, manifeste qu’il est l’héritier de la grande promesse faite par Dieu à Israël.
Ce signe comporte un troisième message. L’homme couché dans la mort, que Jésus fait se lever vivant, annonce prophétiquement par avance, ce que lui-même va vivre. Condamné, crucifié, mis à mort, il se lèvera, vivant, pour le salut de tous. Celles et ceux qui sont témoins de cette résurrection du fils de la veuve de Naïm, quand ces événements surviendront à Jérusalem, pourront se souvenir que déjà, il s’est manifesté comme le maître de la vie et de la mort.
Ce triple message, que Jésus nous adresse à travers l’évangile, éclaire la relation que nous essayons de vivre avec lui. Nous le voyons comme celui qui a compassion des hommes, qui a compassion de nous, celui qui voit, même lorsque nous ne les voyons pas, nos faiblesses, nos misères, nos blessures, nos souffrances, nos peines. Non seulement, il voit les malheurs qui nous affligent de l’extérieur mais puisqu’il connaît le cœur de l’homme, il voit la souffrance que nous éprouvons intérieurement. Ainsi, pour celui qui croit au Christ, la première certitude qui éclaire sa vie, c’est que, plus jamais il ne sera seul. Quelles que soient les circonstances imprévues qu’il rencontrera dans son existence, quels que soient les malheurs qui le frappent, quels que soient les doutes qui habitent son cœur ou son esprit, quel que soit le trouble qui peut parfois l’assaillir, il sait qu’au plus profond de son existence, quelqu’un a compassion de lui. Cette compassion que Dieu porte à l’humanité n’est pas simplement une sorte de pétition de principe que l’on se répète ! Elle s’exprime à travers des gestes, des paroles et des relations qui sont le tissu de notre existence humaine.
Si durs que soient nos cœurs, si perturbée que puisse être notre vie, nous savons qu’il y a autour de nous, tout proches de nous, dans nos familles, dans notre entourage, dans nos amis, des hommes et des femmes qui nous regardent avec compassion, en portant sur nous ce regard d’amour et de tendresse qui n’est qu’un reflet, bien imparfait, mais un reflet tout de même, du regard que Dieu porte à l’humanité. Oui, nous vivons sous ce regard bienveillant de Dieu, à tous les moments et dans toutes les circonstances de notre vie. Nous découvrons Jésus comme un grand prophète, même si nous ne le connaissons pas très bien. Tout le monde n’est pas expert dans la connaissance des Écritures mais nous avons quand même suffisamment étudié les évangiles pour avoir devant les yeux et dans le cœur, une image de Jésus. Non pas une image d’Épinal, mais une image vivante de celui qui pose ce regard d’amour sur l’humanité, de celui qui rencontre des foules pour leur annoncer la Bonne nouvelle, de celui qui donne des signes de salut à travers ses miracles. Ce grand prophète ne nous annonce pas un avenir de mort mais un avenir de vie. Il n’est pas venu pour parler d’un Dieu de mort mais pour parler du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, du Dieu des vivants, du Dieu qui veut notre vie.
Cette certitude que Jésus est venu annoncer une nouvelle fois dans l’histoire des hommes, le projet d’amour de Dieu pour l’humanité est une espérance pour chacune et chacun d’entre nous. Nous ne sommes pas les fidèles d’un Dieu qui veut le mal de l’homme. Nous ne sommes pas les fidèles d’un Dieu qui veut exterminer les pécheurs. Nous ne sommes pas les fidèles d’un Dieu qui veut contraindre les mécréants. Nous sommes les fidèles d’un Dieu qui a engagé toute sa capacité et sa puissance, pour faire surgir la vie, pour l’entretenir et pour l’amener à bon port. Nous sommes fidèles du Dieu de miséricorde. Cette fidélité s’exprime dans notre relation avec le Christ : Jésus de Nazareth, mort et ressuscité pour le monde, pour l’humanité.
Chers amis, au moment où vous allez être confirmés, vous exprimez quelque chose, non seulement à l’égard de votre propre vie, mais à l’égard de cette personne de Jésus de Nazareth. Depuis un certain nombre d’années - depuis votre baptême, pour les uns tout bébés, pour les autres plus grands - vous avez appris à connaître, non seulement son histoire mais plus profondément à reconnaître sa présence. Alors qu’au moment de votre baptême, parents, parrains et marraines avaient répondu pour vous devant lui, aujourd’hui, en demandant à être confirmés, vous allez répondre vous-mêmes, pour vous, devant lui. Vous allez exprimer dans le secret de votre cœur, à travers les paroles de la célébration, votre volonté de compter parmi ses disciples, votre désir d’être proche de lui, votre espérance que sa présence soit pour vous, une forte ressource pour conduire votre existence.
Que le Christ soit au centre de votre vie ! Un cercle n’a qu’un centre. Il ne peut pas y avoir deux centres dans notre vie. Il ne peut pas y avoir deux divinités. Il ne peut pas y avoir deux sauveurs. Il ne peut pas y avoir deux seigneurs et a fortiori trois ou quatre ! Au moment où vous arrivez à une période de votre existence où, peu à peu, - même si vous avez encore quelques années devant vous pour réfléchir et peser le sens que vous voulez donner à votre vie - les opportunités se réduisent. Quand on apprend à lire et à écrire, tout l’univers est ouvert ! Quand on arrive dans des sections littéraires, scientifiques, on s’investit dans une direction et pas dans une autre. Cela ne veut pas dire que l’on rejette le reste, mais cela limite forcément notre disponibilité et oriente notre vie. Ces choix que vous allez opérer successivement jusqu’à votre baccalauréat et au-delà, vont être l’occasion de vérifier qui est au centre. Autrement dit, qu’est-ce que vous cherchez ? Pourquoi allez-vous passer encore tant d’heures et tant d’années sur des exercices dont l’utilité immédiate ne vous paraîtra pas forcément évidente ? Pour quoi faire ? Pour quel résultat faut-il payer ce prix ? Quel sera le dialogue décisif qui va orienter votre vie ? Quel est ce dialogue intérieur qui vous permettra de discerner ce qui vous attire, ce qui vous tente, les domaines dans lesquels vous avez le sentiment d’avoir la capacité de réaliser quelque chose ? Mais surtout, quel sens voudrez-vous donner à ce que vous réaliserez ?
L’Esprit Saint que je vais appeler sur vous sera une lumière, une force, un guide dans ce chemin où vous orienterez votre vie pour prendre peu à peu des formes définitives. Il vous appelle, il vous appellera à choisir ce qui est mieux, ce qui est meilleur, ce qui est plus généreux, et au moment de ces appels, il faudra que vous renonciez à ce qui est moins bon, moins généreux, pour ne pas parler de ce qui serait pire ! Ce choix s’appelle la liberté, c’est notre grandeur et c’est le risque de notre vie.
Je souhaite à chacune et à chacun d’entre vous que l’Esprit Saint qui va confirmer votre baptême, fasse de vous - selon la formule employée par le Pape François dans son exhortation sur l’évangélisation - des disciples missionnaires.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.