Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - 28e dimanche du Temps ordinaire – Année C

Dimanche 9 octobre 2016 – Notre-Dame de Paris

La guérison de Naaman le Syrien et des lépreux par Jésus, parmi lesquels, seul un Samaritain vient le remercier, invitent à mettre en relation la foi et l’action de grâce. La foi nous fait reconnaître que Dieu agit dans le monde. Ainsi, rendre grâce devient un acte de foi : nous devons à Dieu les biens que nous recevons à chaque instant.

 2 R 5,14-17 ; Ps 97,1-4a.6b ; 2 Tm 2,8-13 ; Lc 17,11-19

Frères et Sœurs,

Dimanche après dimanche, la lecture de l’évangile de saint Luc nous conduit à approfondir ce qu’est la condition de disciple, la condition de celles et de ceux qui suivent le Christ sur son chemin, même s’ils n’en connaissent pas encore le terme, ni surtout la façon dont il va s’achever. Nous avons vu comment, progressivement, Jésus après avoir appelé les disciples à la pauvreté radicale, les a appelés à la foi, ou plus exactement, a mis en évidence comment la foi était le cœur de la démarche de ceux qui veulent le suivre.

Aujourd’hui, les lectures mettent en relation la foi et l’action de grâce. Le général Syrien Naaman, guéri de sa lèpre, malgré sa répugnance à aller se plonger dans le Jourdain alors qu’il pensait avoir chez lui des fleuves aux vertus thérapeutiques au moins comparables, finit par se laisser convaincre par son serviteur : il va se tremper dans le Jourdain et il en ressort purifié. Ce païen, cet étranger, qui n’a aucune connaissance de la révélation dont Israël a été fait dépositaire, essaye de comprendre et de réagir à cet événement miraculeux dont il est le bénéficiaire. Sa première réaction est évidemment de vouloir en remercier l’homme de Dieu qu’il était venu consulter, même si les conseils que l’homme de Dieu lui avait donnés ne lui paraissaient pas d’une originalité vraiment exceptionnelle ! Il finit par convenir que c’est sur sa parole qu’il est allé se baigner dans le Jourdain, et que sans doute, il doit à cette parole d’être guéri. Ainsi, il vient très normalement faire l’hommage de quelques cadeaux à cet intermédiaire bienveillant, et voit ses cadeaux refusés ! Aussi faut-il qu’il trouve un autre destinataire. Il faut que sa reconnaissance trouve à qui s’adresser ; si ce n’est pas à l’homme de Dieu, c’est peut-être à Dieu lui-même qu’il faut l’adresser ? Et donc, il emporte de la terre en confessant que dorénavant il n’offrira plus de sacrifice à d’autres dieux qu’à celui d’Israël.

Il en va de même dans la purification des lépreux que nous rapporte l’évangile de Luc. Dans une région aux populations très mêlées, située entre la Samarie et la Galilée, on n’était pas vraiment dans le cœur le plus pur de la nation juive ! C’est pourtant dans ce territoire que Jésus purifie ces dix lépreux, ou plus exactement, qu’il les envoie faire reconnaître leur guérison comme c’était prévu par la loi. Un seul revient pour le remercier, pour lui rendre grâce. Celui qui revient n’est pas un Juif mais un Samaritain. Quelle est la cause de sa guérison ? A qui doit-il attribuer le miracle dont il a bénéficié ? Il n’est pas non plus un grand connaisseur de la tradition juive. Il ne possède pas les clefs d’interprétation de la révélation. C’est un Samaritain, et c’est lui à qui Jésus répond : « Relève-toi ; ta foi t’a sauvé » (Lc 17,19).

De ces deux épisodes, nous pouvons tirer quelques réflexions. La première, certainement, c’est que la foi n’est pas simplement une adhésion à des doctrines, à des systèmes, à des idéologies. La foi, c’est la reconnaissance que quelqu’un agit dans le monde. Dieu agit dans le monde. Cette reconnaissance, dans le cas de Naaman le Syrien, comme dans le cas du Samaritain, s’appuie sur le miracle dont l’un et l’autre ont bénéficié. Cela signifie qu’ils cherchent une explication, une compréhension, une cause aux événements auxquels ils participent, ou aux événements qui surviennent dans leurs vies, aux événements heureux. Nous connaissons bien le mécanisme qui consiste à attribuer à une puissance cachée et inconnue tout le mal qui nous arrive, pourvu que l’on ne cherche pas en nous-mêmes, mais il est beaucoup plus rare que l’on se passionne pour considérer le bien qui nous arrive ! Quelle est cette force bénéfique, quel est ce regard miséricordieux qui se pose sur la vie humaine ? Comment sommes-nous capables de scruter notre vie personnelle, l’histoire de notre existence telle que nous la connaissons, mais aussi notre vie collective, l’histoire de notre société, l’histoire de notre Église ? Comment nous entraînons-nous à scruter cette histoire pour discerner comment Dieu a agi, pour comprendre comment à travers des décisions humaines tout à fait conjoncturelles, c’était pourtant la volonté de Dieu qui était à l’œuvre. Ainsi, rendre grâce, ce n’est pas simplement dire merci parce que l’on est content, ce n’est pas simplement remercier d’être nourri, d’être à l’abri, d’être en bonne santé et de tous les biens que nous espérons pouvoir conserver. Rendre grâce, c’est reconnaître que ces biens dont nous bénéficions, nous les devons à quelqu’un, nous les recevons de quelqu’un, nous bénéficions de l’assistance permanente que Dieu donne à l’humanité. C’est pourquoi rendre grâce est un acte de foi. Cela veut dire : ce qui arrive n’est pas simplement le hasard, ce n’est pas simplement la chance d’avoir rencontré des gens qui étaient bienveillants, ce n’est pas la chance d’être né maintenant plutôt qu’il y a 200 ans ou bien dans 50 ans. Rendre grâce, c’est reconnaître que Dieu agit maintenant pour moi. Dieu me fait vivre aujourd’hui, Dieu me met debout et me sauve : « relève toi, ta foi t’a sauvé ».

Chaque dimanche, l’Église est rassemblée pour rendre grâce à Dieu du don qu’il lui a fait dans la personne de son Fils Jésus-Christ. Si au cœur de cette démarche de reconnaissance de la bienveillance de Dieu pour les hommes, la profession de foi est un élément incontournable, c’est précisément parce que nous ne venons pas le dimanche, ou les autres jours, simplement dire merci parce que l’on a eu de bons résultats dans la semaine écoulée, mais reconnaître que Dieu a été à l’œuvre, qu’il est à l’œuvre et qu’il continue d’être à l’œuvre.

Ainsi, frères et sœurs, nous devons être attentifs à celles et à ceux qui sont sensibles à cette intervention de Dieu dans leur vie, comme Naaman le Syrien, ou comme le lépreux samaritain, celles et ceux qui sont peut-être moins formés, moins équipés que nous dans la foi, mais qui ont une approche plus vitale et qui reconnaissent que, quelqu’un conduit leur vie. Puissions-nous à leur école, nous aussi reconnaître que le Dieu de miséricorde reste fidèle à sa parole et ne peut se rejeter lui-même !

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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