Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de clôture du Jubilé de la Miséricorde et confirmations d’adultes à Notre-Dame de Paris
Samedi 12 novembre 2016 - Notre-Dame de Paris
L’Église fait l’expérience de la miséricorde de Dieu dans le temps. Nous sommes invités à relire dans nos propres vies cette présence de la miséricorde de Dieu à notre égard. Se préparer à recevoir le sacrement de confirmation en est une occasion. C’est le point de départ d’une nouvelle manière de vivre et de devenir missionnaire. Par les sacrements, Dieu agit en nous au-delà de nos seules forces. Face aux incertitudes et aux vicissitudes du monde, la fidélité et la persévérance des disciples du Christ devient un signe de la présence continuelle de Dieu qui n’abandonne pas les hommes.
– 33e dimanche du temps ordinaire – Année C
– Ma 3,19-20 ; Ps 97 ; 2 Th 3, 7-12 ; Lc 21, 5-19
Frères et Sœurs,
L’Église du Christ sait ce qu’est la miséricorde. Elle ne le sait pas par une science particulière, mais elle le sait par une expérience continue, de génération en génération au long des siècles. Ce peuple, dont nous sommes ce soir les représentants en ce temps présent, ce peuple composé de pécheurs arrachés à la violence du mal pour être confiés au tout puissant amour de Dieu, sait que Dieu est plus grand que notre cœur, que son amour est plus grand que notre faiblesse. Nous savons que nous ne pouvons vivre comme Église, durer à travers le temps, accomplir la mission que Jésus nous a confiée, si nous ne sommes pas portés par cette miséricorde de Dieu qui reprend notre histoire en-deçà de nos faiblesses et nous donne la force de témoigner du Christ.
Cette expérience collective de l’Église dont le pape François a voulu faire le thème central de cette année jubilaire, est aussi l’expérience de chacune et de chacun d’entre nous dans sa propre vie. Chaque fois que Dieu nous donne la grâce de relire l’histoire de notre existence, nous relisons une histoire de miséricorde, parce que nous relisons l’histoire d’un amour sans cesse renouvelé, auquel nous avons répondu par de bien piètres paroles, actions, ou même dont nous nous sommes détournés.
Ce que chacun et chacune des baptisés dans l’Église du Christ fait de l’expérience de la miséricorde de Dieu, vous qui allez être confirmés, vous en avez vécu une forme particulièrement aigüe au cours de ces mois durant lesquels vous vous êtes préparés à la confirmation. Chacune des lettres que vous m’avez écrites, avec la particularité de votre histoire personnelle, reflète cette lecture d’une présence miséricordieuse de Dieu au long de votre vie, à travers des personnes qui en ont été les signes, à travers des événements heureux ou douloureux, à travers l’expérience des infidélités et des ruptures, des maladies, de la mort, qui marquent chacune de nos vies. Cette lecture, vous l’avez faite encore à travers les années d’absence où vous n’avez pas voulu, pas pu, pas su être en phase avec la présence de Dieu, et la découverte que vous avez faite à la faveur d’un événement particulier, d’une période plus intense de votre vie, que ce Dieu qui était resté longtemps méconnu ou masqué sous la trace des événements, n’avait pas cessé d’être présent et actif, que ce soit à travers l’expérience plus vigoureuse de l’amour conjugal ou parental, que ce soit à travers des temps forts de vie communautaire comme les JMJ, que ce soit à travers des temps de silence, de méditation, de prière. Celui qui pouvait paraître loin de vous a manifesté qu’il n’avait pas cessé d’être près de vous : c’est cela la miséricorde. Quand nous nous détournons de lui, lui ne se détourne pas de nous. Quand nous avons des éclipses dans nos convictions ou dans la ferveur de notre attachement, lui ne s’éclipse pas. A tout moment, dès que nous nous tournons vers lui et que nous crions vers lui, il répond et il nous montre qu’il est là.
Cette expérience de la miséricorde au long de votre vie se concrétise ce soir par la célébration du sacrement de confirmation qui relève et ravive le sacrement de votre baptême, redonne la plénitude de la vie chrétienne à votre existence, et vous constitue pleinement comme membres de l’Église, disciples du Christ – et comme le Pape nous l’a répété à plusieurs reprises, disciples veut dire disciples missionnaires. C’est-à-dire que l’on ne peut pas être disciple du Christ dans la clandestinité, non pas parce qu’il serait difficile de se cacher, mais parce que notre manière de vivre, si elle essaye d’être fidèle à la parole que nous avons reçue, transforme insensiblement notre existence, notre manière d’être, notre relation avec les autres. Au point qu’inévitablement, un jour ou l’autre, quelqu’un se demandera : d’où cela vient-il ? Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Quelle est la source de cette manière de vivre ? C’est ainsi qu’au long des siècles de l’Église, un certain nombre de disciples ont été acculés -plus qu’ils ne l’ont désiré souvent- à rendre témoignage à celui qui était la source de leur force et de leur vie.
Beaucoup parmi vous, viennent encore avec une certaine crainte : est-ce que je vais être à la hauteur de ce sacrement ? Comme si nous pouvions être à la hauteur d’un sacrement ! Comme si nous pouvions construire une vie chrétienne par nos propres forces alors que c’est Dieu qui nous construit comme chrétiens. Est-ce que je vais être à la hauteur ? Ne vais-je pas défaillir ? Mais si, vous allez défaillir ! Inévitablement ! Mais la promesse du Christ n’est pas que vous ne rencontrerez pas d’obstacles, de difficultés ou de faiblesses, c’est que son Esprit sera en vous et qu’il portera votre réponse. L’avenir, nous ne pouvons pas le préparer par anticipation, mais nous pouvons le préparer dans le présent, en nous remettant dans la foi à la certitude que Dieu n’abandonne pas les siens.
Quand vous serez traduits devant les synagogues ou les tribunaux, dit Jésus, vous n’aurez pas besoin de vous inquiéter de savoir comment vous ferez, l’Esprit vous donnera sur le moment ce qu’il faut faire. C’est la lumière et la force de cet Esprit que vous allez recevoir par l’onction du saint chrême pour faire de vous des témoins de la miséricorde de Dieu au milieu du malheur des hommes.
Vous avez entendu dans l’Évangile l’évocation de ces périodes de trouble : « dresser nation contre nation, royaume contre royaume » (Lc 21,10), famille contre famille, « des signes éclatants dans le ciel » (Lc 21,11), des cataclysmes en tout genre. Il y a deux ou trois ans, beaucoup de nos concitoyens auraient pensé que c’était un conte pour enfants où l’on noircit le tableau pour leur faire peur… Mais depuis un an, nous savons que cela arrive non pas seulement à l’autre bout du monde -pour lequel nous avons beaucoup de sympathie et de compassion mais qui est quand même l’autre bout du monde… A présent, cela arrive chez nous ! Nous pouvons être confrontés à l’absurdité horrible de la mort aveugle. Nous pouvons être confrontés à des troubles. Nous pouvons être confrontés à des événements qui dépassent les forces personnelles. Et voici que nous sommes sollicités, non pas de donner notre avis sur tous les réseaux sociaux, mais de donner notre témoignage par notre manière de vivre. Allons-nous nous laisser terrifier ? « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu, vous serez détestés à cause de mon nom » (Lc 21,17-18). Comment réagissons-nous à cette détestation ? Comment réagissons-nous à cette violence ? Réagissons-nous simplement comme des êtres apeurés qui courent dans tous les sens, s’imaginant qu’ils peuvent éviter le malheur en trouvant des forteresses assez puissantes pour les endiguer ? Ou bien réagissons-nous avec confiance, avec foi dans l’amour de Dieu ? Sommes-nous construits par cette certitude que Dieu n’abandonne jamais l’humanité ? Sommes-nous construits par cette certitude que pas un cheveu de notre tête ne sera perdu, et donc conduits par la puissance de l’Esprit dans une sagesse qui nous permet de ne pas défaillir dans l’adversité, de rester debout et forts, de soutenir ceux qui nous entourent et qui peuvent être plus faibles, qui nous permet de témoigner de cette certitude que Dieu n’abandonne pas les hommes.
Frères et sœurs, il nous faut ce soir entendre la prophétie du Christ qui s’adresse à nous, « c’est par votre persévérance que vous garderez votre vie » (Lc 21,19). Il ne nous demande pas d’être des gens extraordinaires, il ne nous demande pas d’avoir des vies héroïques, il ne nous demande pas d’être des modèles en tout genre, il nous demande simplement d’être fidèles et persévérants, de tenir bon dans les difficultés, d’être des points d’appui pour ceux qui ont moins de force, d’être une espérance au moment où l’humanité est frappée par la mort, d’être le signe que notre Dieu est le Dieu de la vie. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.