La force de l’homélie
Paris Notre-Dame du 14 juillet 2016
P. N.-D. – Vous venez de publier un livre sur la prédication du cardinal Jean-Marie Lustiger. Pourquoi avoir choisi ce thème de l’homélie ?
P. Jean-Baptiste Arnaud – Quand le cardinal André Vingt-Trois m’a demandé d’entreprendre cette thèse en 2011, j’étais vicaire à Ste-Marie des Batignolles (17e). Ce qui m’intéressait, c’était la question du lien entre l’Église et la parole de Dieu, l’Église qui reçoit la parole de Dieu pour la transmettre au monde. J’avais été marqué par Benoit XVI qui, dans Verbum Domini, insiste sur l’importance de travailler l’homélie et la manière de prêcher. Réflexion qu’il reprend dans sa préface de Jésus de
Nazareth, en soulignant que nous n’avons sans doute pas assez mis en pratique l’interprétation spirituelle de l’Écriture – ce que Vatican II a pourtant demandé.
P. N.-D. – Et pourquoi le cardinal Lustiger ?
P. J.-B. A. – Je cherchais un théologien qui soit aussi un pasteur. Dans la préface de son premier livre, Sermons d’un curé de Paris*, il souligne la place centrale qu’occupe pour lui l’homélie. Je me suis donc posé la question : que signifie prêcher ? Pour Jean-Marie Lustiger, cela ne se limite pas à une question d’art oratoire. C’est d’abord le mystère d’une personne qui reçoit la parole de Dieu et se laisse transformer par elle. Pour le prêtre, c’est aussi savoir discerner ce que l’assemblée a dans le cœur. Jean-Marie Lustiger disait : il faut comprendre quel est le problème spirituel soulevé par ces lectures. Ce qu’il résumait en une phrase : est-ce que je crois que cette parole est de Dieu, qui me parle aujourd’hui ? L’homélie est une parole de « circonstances », qui va guider dans leur vocation ceux qui la reçoivent. Quand je prêche, je me pose sans cesse cette question : d’où vient cette parole et où va-t-elle ?
P. N.-D. – Le cardinal Lustiger prêchait d’une manière particulière, debout devant l’autel, les Évangiles à la main.
P. J.-B. A. – C’était sans doute une façon pour lui de manifester l’unité entre la liturgie
de la parole et la liturgie eucharistique. Mais c’est aussi une manière de signifier que la parole de l’homélie est une parole libre, qui fait corps avec l’Évangile. Il demandait
d’ailleurs aux jeunes prêtres de prêcher chaque dimanche, à chaque messe et
sans débiter un discours déjà tout fait.
P. N.-D. – Vous dites que la manière dont il prêchait est indissociable du contenu de sa prédication ?
P. J.-B. A. – Ses homélies ramenaient toujours au Christ et à l’Église, au Christ qui
fait entrer l’Église dans son mystère pascal. On dit souvent que l’homélie fait passer de la liturgie de la parole à la liturgie de l’eucharistie. C’est vrai, mais ce n’est pas que
cela. C’est parce qu’il y a l’offrande eucharistique que l’homélie a ce statut particulier
– sinon ce serait juste un discours comme un autre. C’est une parole dans la messe,
mais qui dit quelque chose qui peut être entendu au dehors. Jean-Marie Lustiger avait conscience que les chrétiens auxquels il s’adressait devaient eux-mêmes relayer la parole de Dieu. Un évêque prêche pour que le peuple se reconnaisse habilité à prêcher. Il l’avait dit un jour à l’École Cathédrale : nous sommes tous appelés à prêcher, c’est-à-dire à témoigner par la parole et les actes, participant ainsi à l’oeuvre du Christ. ❏ Propos recueillis par Priscilia de Selve
*Sermons d’un curé de Paris, Éd. Fayard (1978).