La précarité silencieuse des hommes seuls
Paris Notre-Dame du 8 janvier 2015
P.N.-D. – Dans son rapport statistique annuel sur la pauvreté [1] publié à la fin de l’année 2014, le Secours catholique-Caritas France attire notamment l’attention sur la grande exclusion des hommes célibataires au faible niveau de vie. Pourquoi ?
Jean-Luc Auriau – Parce que la situation s’aggrave. La grande exclusion touche toutes les catégories sociales dès que survient un accident de la vie. Sur l’ensemble des personnes accueillies en France par le Secours catholique en 2013 – près de 1,5 million –, le niveau de vie mensuel moyen des hommes seuls est le plus faible de tous les ménages et s’élève en moyenne à 437 euros par mois. La situation de ce public dans la capitale recouvre des réalités différentes – migrants, pères célibataires, jeunes en rupture familiale, sortants de prison, etc. – mais ils ont en commun la pauvreté matérielle et un grand isolement. On constate une augmentation des hommes sans-abri : en novembre 2014 [2], 54% ,de leurs demandes pour un hébergement n’ont pas abouti, dont 76% pour absence de places disponibles. Le nombre de demandes non pourvues a progressé de 43% depuis un an.
P. N.-D. - D’où vient l’isolement de ces hommes ?
J.-L. A. – Ressources minimales, difficultés à trouver un logement et un emploi, rupture progressive du lien social sont autant de facteurs qui amènent ces hommes à vivre à l’écart de la société et à s’enfermer dans la solitude. Marginalisés, ils ont le sentiment d’être abandonnés et ont perdu l’estime d’eux-mêmes. Ces dernières années, il y a eu une augmentation des séparations conjugales qui conduisent certains à s’isoler. Les pères qui vivent seuls ont moins d’occasions d’aller vers l’extérieur. Autre élément d’explication : la croissance du chômage. Le travail est important pour la socialisation et sa perte peut mener à l’exclusion. Concernant les hommes vivant dans la rue, leurs repères deviennent trop en décalage avec le reste de la société et ils développent des peurs. De plus, leur santé est rapidement fragilisée par leurs conditions de vie. Pour les migrants, la barrière de la langue est un réel frein pour créer des liens avec les autres.
P. N.-D. – Comment aider ces hommes à se sortir de la précarité ?
J.-L. A. – Le Secours catholique de Paris leur apporte une aide matérielle, mais nos équipes travaillent surtout à la reconstruction de leur confiance en eux. Le but est qu’ils deviennent moteurs de leur réinsertion. Pour sortir des personnes de l’exclusion, il faut d’abord aller vers elles pour recréer du lien. Par exemple, nous installons certains soirs des stands avec des cafés dans la rue. Nous avons aussi cinq accueils de jour où nous valorisons, lors de diverses activités, les talents des personnes vivant dans la rue : théâtre, foot, peinture, cafés culturels, création d’un journal, etc. L’essentiel est d’être dans une attitude d’écoute et de les considérer comme des frères en humanité. Chaque citoyen peut agir en allant à la rencontre des personnes marginalisées. • Propos recueillis par Céline Marcon
[1] Plus d’infos : www.secours-catholique.org
[2] Chiffres de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale.