(Re)découvrir la pensée sociale de l’Église catholique

Paris Notre-Dame du 3 avril 2014

P. N.-D. – Vous avez contribué à l’élaboration de Notre bien commun (Éd. de l’Atelier) [1], un parcours sur la pensée sociale de l’Église catholique conçu par la Conférence des évêques de France. À quand remonte la préoccupation sociale de l’Église ?

Elena Lasida, professeur à la Faculté de sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris.
© Céline Marcon

Elena Lasida – Elle est présente depuis son origine et est même constitutive de l’identité chrétienne. Dans l’Évangile, l’attention privilégiée aux plus pauvres est par exemple un principe fondamental. Cependant, ce qu’on appelle aujourd’hui pensée ou doctrine sociale de l’Église naît avec l’encyclique Rerum novarum, publiée par le pape Léon XIII en 1891 : la question sociale y est liée aux conséquences de la révolution industrielle. Il s’agit du premier document de référence du Vatican qui aborde directement un thème d’ordre socio-économique. Il s’est prononcé en faveur du respect de la dignité des ouvriers, à une époque où les conditions de travail n’étaient pas protégées, comme aujourd’hui, par le droit du travail.

P. N.-D. - Quel est l’apport de la pensée sociale de l’Église pour notre monde d’aujourd’hui ?

E. L. – Elle ne propose pas un modèle alternatif mais un regard différent sur notre société, centré sur la personne humaine. Elle invite à ordonner les logiques économiques, politiques et sociales en fonction de cette priorité. Ainsi, elle plaide pour un développement « intégral » de notre monde qui concerne toutes les dimensions de la vie humaine (économique, sociale, relationnelle, affective, etc.) et la totalité des êtres humains. Le bien-être qu’elle vise n’est pas seulement celui du confort matériel mais également, et surtout, celui du bien vivre ensemble

P. N.-D.- Outre la dignité humaine, quels sont les autres socles de cette pensée ?

E. L. – L’autre référence centrale est celle du bien commun. Défini dans l’encyclique Caritas in veritate comme « le bien de nous tous », il évoque l’idée d’une communauté de destin et d’une interdépendance de base entre les êtres humains. Il est lié à deux autres principes fondamentaux : « la destination universelle des biens » et « l’option préférentielle pour les plus pauvres ». Le premier est fondé sur l’idée que la création et ses ressources ont été données à l’ensemble des créatures et non seulement à ceux qui peuvent les payer. Le deuxième appelle, dans nos sociétés marquées par l’inégalité, à avoir une attention privilégiée à l’égard des plus démunis. Nous pouvons également citer la notion de « subsidiarité »,qui incite à prendre les décisions à chaque niveau de responsabilité et non pas seulement au niveau le plus élevé. Au contraire de ce que laisse penser l’expression "doctrine sociale", il ne s’agit pas d’une liste de normes à mettre en application. Ce sont des repères pour rendre le monde plus humain, et de ce fait, elle est en construction permanente, en écho aux mutations des sociétés. Il est donc important que les chrétiens s’emparent de cette tradition pour la creuser et la faire évoluer. C’est pour cette raison que la Conférence des évêques de France a réalisé le parcours Notre bien commun, afin de la rendre accessible au plus grand nombre. • Propos recueillis par Céline Marcon

[1Notre bien commun, Éd. de l’Atelier, 10€. Ce livre, accompagné d’un DVD, est disponible en librairie.

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