Intervention de Marie-Thérèse Hermange - Cycle Droit, Liberté et Foi 2010
Cycle “Le corps, la personne et le droit”- 13 octobre 2010
2e séance : Le corps, hors du commerce ?
– Présidence : M. Jean Castelain, Bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris
– Introduction : Me Thierry Massis
– M. Roberto Andorno : Le fondement éthique du principe d’indisponibilité du corps humain
– Mme Marie-Thérèse Hermange : La législation, enjeux médicaux et sociaux
La législation, enjeux médicaux et sociaux
Merci Monseigneur, merci aux Bernardins et au Barreau de Paris, de m’avoir conviée à ce cycle : droit, liberté et foi. Je mesure la responsabilité qui m’incombe et vous demande d’accueillir mes propos avec indulgence, d’autant que je représente ici la chose publique, c’est à dire « l’opinion qui pense mal » selon Bachelard. "La science, ajoutait Bachelard, s’oppose à l’opinion, et s’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, de fait, toujours tort".
Mon propos ne sera donc pas celui de l’érudition mais celui d’une femme qui a vocation à légiférer, et, à cet effet est impliquée dans l’espace de bioéthique au moment où le parlement va être conduit à réviser la loi de 2004 autour des cinq thèmes suivants : l’assistance médicale à la procréation, le prélèvement et la greffe d’organes, les diagnostics prénatal et préimplantatoire, la médecine prédictive, la recherche sur les cellules souches et sur l’embryon.
Tel est le premier lieu d’où je parle. Mais mon propos est aussi celui d’une femme qui tente d’être chrétienne en politique et qui pour cela cherche le roc sur lequel bâtir ses décisions, tâche difficile qui donne parfois l’impression de bâtir sur du sable. Certes nous pouvons faire un autre choix mais il nous conduit bien souvent à une impasse, nous prosternant devant : « l’œuvre de nos mains » (Jn, 1, 16), instituant avec nos propres critères normes et limites et même, selon l’expression de Benoit XVI dans cette même enceinte : « la région de la dissimilitude » par rapport à la vocation même de la personne humaine.
Dans la perspective où je me situe (ou dans cette perspective), toute préoccupation bioéthique fut-elle de bienfaisance ou de compassion ne peut se soustraire à un questionnement sur le sens. C’est par celui-ci que passe inéluctablement la problématique qui nous interroge aujourd’hui. Le corps est-il du ressort de chacun ou la société doit-elle protéger l’homme à travers le corps de chacun ? Peut-on accepter la commercialisation du corps humain sans porter atteinte à la communauté humaine en général ? Que doit-on autoriser et pourquoi ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour satisfaire telle ou telle demande particulière ? Qu’est-ce que c’est que donner lorsque l’on donne son propre corps ?
L’énoncé de ces questions témoigne que si elles ne sont pas ordonnées à tout le moins à la loi naturelle, l’homme peut avoir pour tentation de se vouloir maitre de l’homme. Or le fait de se rendre maitre du corps de l’autre et « de s’élever lui-même au rang de créateur déiforme peut finalement aboutir à la destruction même de l’homme [1] ». C’est pourquoi sous couvert de bioéthique, nous sommes quelquefois en réalité en pleine situation inéthique.
Telle est la contradiction que nous pose le débat d’aujourd’hui et que je veux aborder ce soir en montrant comment d’une conception anthropologique altruiste de notre droit (corps au service de l’homme) (I), les risques sont grands de voir se construire un corpus juridique sociétal où le corps devient une denrée pour se servir de l’homme (II), donnant au législateur l’occasion de s’interroger sur cette parole de Luc (11, 46) : « malheureux êtes-vous docteurs de la loi parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter. » (III)
I- Une conception anthropologique altruiste de notre droit ou le corps au service de l’homme
En France, les dons de produits humains (cellules, tissus ou organes [2]) faits "à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui" [3] obéissent à la reconnaissance de principes éthiques universels : la dignité de la personne humaine et le respect de la vie d’êtres humains desquels découlent tous les autres. Ces deux principes s’étendent aux éléments et produits détachés du corps humain ; c’est donc leur origine qui justifie ce respect, principe qui est à la source de celui de l’inviolabilité (qui signifie qu’un individu ne peut être contraint de subir une atteinte à son corps) et du principe de non patrimonialité [4] qui interdit toute exploitation commerciale de son corps. En donnant ce statut protecteur au corps humain, le législateur a fait prévaloir l’indissociabilité de la personne et de son corps et en a déduit un triptyque juridique pour tout ce qui est relatif au don d’organes :
1- le consentement présumé qui implique, qu’après sa mort chaque personne est présumée consentante si elle n’a pas manifesté son opposition de son vivant sur un registre, ou à sa famille .
2- L’anonymat du don qui se veut une mesure de protection de la vie privée du donneur et du receveur destinée à empêcher pressions morales et financières ; disposition qui s’applique au prélèvement du don d’organes sur donneur décédé ou au don de tissus comme les cellules hématopoïétiques.
3- La gratuité, d’abord exigée pour le sang, inscrite dans le code de la santé depuis 1976 veut exprimer le fait que le don est appelé à rester dans la sphère de la générosité et de la solidarité, mais aussi le fait que "le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial" [5] et que ses organes ou tissus ne peuvent être utilisés comme des articles à vendre ou a utiliser. Le non respect de ce principe est pénalement sanctionné [6] mais cette interdiction n’exclut toutefois pas un remboursement des frais que le donneur a pu engager [7].
Ce corpus juridique a une dimension anthropologique dès lors que les principes qui les dictent ne sont ni soumis aux progrès de la technique ni aux lois du marché et qu’ils encadrent et protègent une réalité intemporelle, celle du bien-être humain, conforme à la loi naturelle, voire à la volonté de Dieu (ou en référence avec le donné révélé). Dans cette perspective, le corps humain ne peut être traité comme une entité exclusivement physique ou biologique ce que nous dit l’article XVIII de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1793 : "Tout homme peut engager ses services, son temps, mais il ne peut se vendre ni être vendu. Sa personne n’est pas une propriété aliénable" étant littéralement sans prix. Cette dimension de notre loi civile rejoint la loi naturelle mais aussi la dimension chrétienne puisque pour celle-ci, il ne s’agit pas de donner quelque chose qui nous appartient dans la mesure où le bien de la vie n’est pas la propriété de l’homme et que nul ne se fabrique son corps. Chacun le reçoit comme un don gratuit de Dieu. C’est pourquoi aucun prix quel qu’il soit ne peut correspondre à ce don gratuit et total. C’est seulement dans le cadre de ce don libre que le prélèvement d’organes a un sens. Celui-ci n’est en réalité qu’un acte technique et chirurgical qui n’a de consistance que s’il se situe non sur une logique de prélèvement mais sur celle de la divine surabondance que l’être humain peut accueillir et faire sienne en vérité : "je ne vous appelle plus serviteurs redevables mais amis" (Jn, 15, 15)."Donnez et l’on vous donnera, une bonne mesure tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein, car de la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour"(Luc 6, 38). En vérité, dans la gratuité du don d’organes, par analogie avec le mystère pascal, ce qui déplace toute logique : c’est celle de la fécondité de l’amour. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, nul ne peut contraindre, d’une manière ou d’une autre à donner son corps. Tel est l’esprit de notre législation.
Or aujourd’hui ce corpus juridique est remis en question par une construction matérialiste et utilitariste du corps tendant à en faire une denrée et sur laquelle se fondent certains discours.
II- Les risques d’un corpus juridique où le corps serait conçu comme une denrée pour se servir de l’homme
A- Le discours quantitativiste de la pénurie d’organes
Depuis quelques années, la politique de prélèvement d’organes est remise en question au vue de la pénurie chronique d’organes disponibles [8]. En effet, en France, comme dans d’autres pays, s’est installé un déséquilibre croissant entre le nombre de prélèvements sur donneurs décédés et vivants et l’augmentation du nombre de patients placés sur une liste d’attente en vue d’être greffés. C’est ainsi que dans notre pays, sur la liste d’attente pour recevoir une greffe, 437 personnes inscrites sur ladite liste sont décédées en 2010 par rapport aux 9000 inscrites.
Face à cette situation, des efforts ont été réalisés pour augmenter le nombre de donneurs décédés ou vivants. Néanmoins certains estiment qu’une nouvelle approche est nécessaire : puisque notre corpus juridique ne peut faire face au besoin de l’augmentation de l’activité de transplantation, bien souvent véhiculée par des discours qui nient la complexité du mode de fonctionnement du don et qui indirectement instrumentalisent notre humanité : un discours anatomiste du cadavre où la mort est attendue pour rendre possible la transplantation d’un organe, des discours de prélèvement systématique au nom d’une générosité imposée de commande comme ces propos faisant dire à certains médecins : quand des parents refusent de donner les organes d’un enfant qui vient de mourir, ils en condamnent un autre à la mort. Ceux-ci véhiculent une rationalité instrumentale et un imaginaire médiatique tendant à faire croire qu’une communication promotionnelle du don d’organes parviendra à mettre un terme aux réticences du public ou encore que commercialiser la pratique du don d’organes changerait la donne. C’est dans ce cadre que des tactiques comme rechercher soi-même l’organe nécessaire ou son donneur sur internet s’immiscent dans le débat et changent la donne. Ou encore, acheter son organe à l’étranger : aux USA, en Inde, en Europe avec des marchés intéressants et des propositions d’immédiateté pour être greffé sans tenir compte toujours des complications médicales pour le receveur [9]. Toujours est-il, comme le rapporte le philosophe Cherri, dans un livre Rien à vendre par son propriétaire, que les mentalités semblent évoluer. La réflexion d’un médecin néphrologue résume bien le changement progressif de cet état d’esprit. "Quand j’ai réalisé pour la première fois que le commerce des organes pouvait être une possibilité en transplantation, j’y ai été, très opposé en trouvant que c’était une chose horrible. En y réfléchissant je n’en suis plus si sûr. Je me demande qui a décidé que ce commerce était moralement faux." [10] C’est ainsi que nous sommes entrain de glisser vers un risque de marchandisation pour l’ensemble des dons d’organes où le corps serait conçu comme une denrée. De deux choses l’une :
- Soit nous conservons le principe de gratuité considérant que le corps forme le substrat de la personne, qu’il ne peut en être dissocié et que toute rémunération porte atteinte à la dignité de celle-ci et peut engendrer un trafic d’organes,
- Soit nous revenons sur ce principe et nous considérons, par la vente d’organes que ceux-ci sont des biens pouvant faire l’objet de commerce, voire d’échange ou de trafic car cela n’altère pas plus l’autonomie que le don, une personne pouvant continuer à faire des choix rationnels avec un organe en moins. Dans ce cas, nous accepterions de revenir sur le principe de non-patrimonialité du corps humain et alors la liste des interrogations devient sans fin : comment sera régulé ce marché ? Sera-t-il régi par un contrat ? Sera-t-elle pratiquée pour tous les dons y compris pour les dons intrafamiliaux ? Considère-t-on que tous les donneurs subissent un préjudice dans leur corps-auquel cas tous les donneurs devraient être indemnisés par principe ? Et enfin, au-delà des questions théoriques, combien d’organes ou de prises de sang pourra-t-on vendre par personne ? Quel public sera concerné par la vente des produits de son corps ? Quand les échanges sont régulés par l’argent n’y a -t-il pas l’évidence que les plus aisés achèteront aux plus nécessiteux ?
Cette problématique s’immisce dans l’ensemble des domaines du débat bioéthique. Je voudrais en pointer quatre.
B- Les risques de marchandisation pour les dons du corps ou le corps conçu comme une denrée
1. La rémunération du don de gamètes et plus particulièrement du don d’ovocytes : problématique posée en raison d’une part de leur pénurie, et d’autre part de pratiques fréquentes dans des pays comme l’Espagne.
Si le législateur lève la gratuité, n’assimile-t-il pas ce don à une logique comptable de résultat, faisant des ovocytes et au-delà des génitrices, des denrées au service de la vie ? Si les modalités de conception sont révélées à l’enfant à l’issue de cette technique, quel récit de ces origines pourra lui être fait s’il n’est pas le fruit d’un don mais d’une tractation marchande. L’acceptation d’une rémunération pour les dons d’ovocytes ne risque-t-il pas de faire lever la gratuité pour tous les autres don d’organes ?
2. La recherche sur l’embryon ne peut être déconnectée de son application industrielle éventuelle dans l’hypothèse où des applications thérapeutiques seraient démontrées puisqu’il existe un continuum qui s’étend de ladite recherche à son développement industriel. Aujourd’hui une telle finalité est expressément interdite par le code de santé publique [11] mais sous la revendication d’un régime « d’autorisation pérenne » n’a–t-on pas en filigrane pour objectif de ne pas décourager les investissements privés par des échéances à court terme ? Le législateur doit nécessairement se poser cette interrogation en étant conscient que l’autorité du laboratoire ne peut rendre caduque toutes les disciplines qui ont parlé de l’homme mais autrement que sous la forme d’une molécule ?
3. Le sang de cordon ombilical
Alors que nous avons fait la première greffe mondiale de sang de cordon ombilical démontrant que les cellules souches issues du sang de cordon étaient susceptibles d’être utilisées dans 85 maladies du sang, notre pays avec ses 10 000 unités aujourd’hui conservées est au 16e rang après la Tchéquie à conserver son sang de cordon. Ainsi, parce qu’il n’y a pas de politique publique en la matière, certains souhaiteraient s’engager dans la voie de la privatisation, c’est à dire contre rémunération d’une part et d’autre part dans un but autologue, c’est à dire personnel, et privé.
S’engager dans la voie de la marchandisation et de la privatisation, autant pour les cellules souches que pour l’ensemble du don d’organes, serait abandonner la fonction anthropologique de la loi pour faire de celle-ci une adaptation sociologique et technique, encadrant les avancées de la technique. Dans ce contexte, les normes juridiques fondant notre droit positif ne seraient plus des réalités tangibles inspirées par des critères d’équité, de justice et de respect des droits de l’homme. Mais dans ce cas, comme le dit Mgr d’Ornellas, portant sans doute en lui la parole de Saint Paul : "Je n’ai connu le péché que par la loi" (Rm, 8, 2-2) : que signifie une loi civile qui ne dit plus où est la transgression ?
C’est ce que nous allons voir aussi avec une question qui fait actualité : la gestation pour autrui.
4. La gestation pour autrui
Au-delà du fait que légaliser la gestation pour autrui , c’est légaliser un abandon d’enfant puisque l’enfant né après la gestation pour autrui est un bébé abandonné par sa gestatrice car la mère d’intention ne deviendra légale qu’après une procédure d ’abandon à la naissance par celle qui accouche, légaliser la gestation pour autrui c’est aussi réifier la femme en la considérant comme un sac ou un garage à louer puisque la GPA implique un échange marchand entre la mère porteuse et la mère commanditaire. Un tel échange faisant l’objet d’un contrat fait entrer la maternité dans le secteur tertiaire et le droit des contrats privés dans le droit de la filiation. C’est donc considérer indirectement que l’être humain est une chose puisqu’en vertu de notre droit il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui font l’objet de convention. C’est enfin poser plusieurs questions : quel sera l’objet du contrat ? Comment sera-t-il résilié ? L’acte de céder un enfant contre rétribution ne le fait-il pas basculer dans le monde des choses, appropriables et disponibles, à l’inverse de la personne radicalement indisponible ? Là aussi, c’est enfin perturber toute notre éthique du don.
A partir de là tout est possible, jusqu’à par exemple inclure la femme dans une procédure similaire à celle qui est conduite pour autoriser un médicament à être mis sur le marché. En effet la procédure de certification et d’expertise – c’est-à-dire les conditions pour devenir mère porteuse-, nécessite les conditions d’inclusion pour devenir mère porteuse, avec des critères requis, des modalités de prise en charge des soins, des modalités de suivi de recueil des données et leur exploitation, l’interprétation des résultats soumis à une analyse contradictoire… En d’autres termes, l’évaluation du bénéfice thérapeutique se fera sur le même critère que pour le médicament : sa qualité, son efficacité et sa sécurité au bénéfice d’une nouvelle molécule qui n’est plus appelée un médicament mais qui est un être humain en l’occurrence un enfant.
Cette question, le législateur aura à la trancher car même si le gouvernement dans le projet de loi présenté sur la bioéthique reste sur l’interdit de la gestation pour autrui, des amendements au texte gouvernemental seront sans doute déposés pour tenter de lever cet interdit au nom d’un désir d’enfant. Mais est-ce à la société d’y répondre car il y a bien une différence éthique entre accompagner des situations en souffrance en permettant éventuellement l’établissement juridique de leur filiation et légaliser une telle pratique qui reste d’exception ? De concession en concession nous abandonnerions les principes d’humanité qui constituent le socle de celle-ci jusqu’à faire du corps humain une denrée oubliant cette adresse : « Malheureux êtes-vous docteurs de la loi ».
III- Malheureux êtes-vous docteurs de la loi
On l’a pressenti, ni la science ni la médecine ne disent où est le bien de l’homme et seulement ce qu’est un homme. Des institutions qualifiées ont la charge de se prononcer en la matière : des institutions législatives et gouvernementales qui ordonnent le monde et la cité. Ainsi, c’est par le biais du législateur et du gouvernement que le sens de ce que font et de ce que doivent faire médecine et biologie leur est donné. Or, si le cadre légal omet la finalité même de l’homme-le replacer au cœur du dispositif législatif- mais le fonde exclusivement sur une philosophie organique matérialiste et rationaliste ou un relativisme éthique, comme le souligne Benoit XVI [12] « les réponses aux défis de la société d’aujourd’hui apparaissent comme des réponses inadéquates à la juste question de l’homme. Le rationalisme fut et est inadéquat parce qu’il ne tient pas compte des limites humaines, le relativisme contemporain mortifie la raison parce qu’il arrive à affirmer que l’être humain ne peut rien connaitre avec certitude au-delà du domaine scientifique positif. » Ainsi si les dispositions législatives ne sont pas tendues vers le bien commun fondé sur la loi naturelle, les principes qui font humanité sont alors constamment remis en cause. Or, les valeurs contenues dans ce droit naturel expriment : « des normes inéluctables et coercitives qui disent la vérité intrinsèque de l’être humain et qui ne dépendent pas de la volonté du législateur. Il s’agit en effet de normes qui précèdent toute loi humaine en tant que telle, elles n’admettent d’intervention ni de dérogation de la part de personne » [13]. De ce droit naturel, découlent les impératifs éthiques qu’il est nécessaire de respecter. Or si la législation devient un compromis entre divers intérêts et désirs, le législateur transforme alors en droit des intérêts privés ou des désirs qui s’opposent au devoir découlant de la responsabilité humaine de l’homme. C’est pourquoi le droit naturel est en définitive « le seul rempart valable contre l’abus de pouvoir technologique » qui consiste à réduire l’être humain comme objet de manipulation vendable et sécable traité comme une denrée et un marchandise abandonnant le sujet faible (par exemple femme et enfant dans le cadre de la GPA ou l’embryon qui ne peut pas parler) à la volonté du plus fort. Ainsi est renvoyée au législateur cette affirmation « Malheureux alors êtes-vous docteurs de la loi ».
Malheureux êtes-vous parce qu’il y a impotence non pas tant lorsque l’homme est atteint dans l’un de ses organes mais lorsqu’il est trop préservé. C’est ce qui apparait nettement dans l’Évangile où celles et ceux qui s’ouvrent à la parole d’amour du Christ sont les blessés de la vie, les malades, mendiants et les femmes. Qui lui résiste ? Ceux qui ont tout, la force, la puissance, la fortune, le pouvoir, ces biens les ont cuirassés, ce sont les pharisiens c’est-à-dire les docteurs de la loi qui nous disent notre part d’humanité qui vit renfermée à l’intérieur de cette toute puissance tellement satisfaite d’elle-même qu’elle ne peut ni ne veut en sortir jusqu’à oublier de percevoir la source de cette rationalité : la Raison Créatrice. Oui « aucune loi faite par les hommes ne peut renverser la norme inscrite par le Créateur sans que la société soit dramatiquement blessée dans ce qui constitue son fondement de base. »
L’oublier serait rendre précaire l’avenir de nos sociétés.
L’oublier c’est ne pas saisir que c’est par ce qu’il y a ontologiquement quelque chose d’altéré et d’abimé en l’homme, de manquant que l’homme aspire à un autre que soi, c’est-à-dire à l’altérité qu’il recherche en raison de son altération.
L’oublier c’est refuser la fécondité. La fécondité de la vie. Demeurant « séparé vis-à-vis de Dieu » (Is, 31-6), éprouvant alors comme une absence, comme une rupture. L’homme d’aujourd’hui en voulant maitriser l’homme pour en définitif pouvoir le maitriser dans son corps, dans sa vie, ne parvient qu’à un objectif : capturer la vie et occulter la souffrance dans sa nudité irréductible. Or celle-ci ne peut être occultée. D’où vient-elle ? Question qui a toujours inquiété les hommes. Pourquoi est-il aveugle ? disent les disciples. Mais au lieu de répondre sur les causes, sur le parce que, le Christ invoque le pour que. Pour que « soient manifestées les œuvres de Dieu » (Jn, 9-2). Pour que soit manifesté l’amour. Pour que soit manifesté de reconnaitre avec les oreilles et les yeux du cœur, les lois constitutives de l’harmonie de la création, les formes essentielles de l’être, émises par le créateur et en l’homme : un art digne de Dieu et qui soit en même temps digne de l’homme.
Pour que soit manifesté en définitive que le Corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le Corps (1 Co, 6-15s).
[1] Benoit XVI, 12 09 2008, rencontre avec le monde de la culure aux Bernardins.
[2] Aujourd’hui, il est possible de prélever et de greffer :
– les organes (le cœur, les poumons, les reins, le foie, le pancréas) ;
– les tissus et notamment les tissus concernant la peau, les tendons, la cornée, les os, les valves cardiaques ou les veines et vaisseaux sanguins. Mais des techniques expérimentales de greffes de tissus composites (mains, parties du visage) existent aussi.
– les cellules essentiellement aujourd’hui les cellules souches* hématopoïétiques* prélevées dans la moelle osseuse, le sang périphérique ou le sang de cordon ombilical, lesquelles concernent le traitement d’environ 85 maladies.
[3] art. 16-3 du Code civil
[4] art. 16-1 du code civil
[5] art. 16-1 du code civil
[6] Art. L. 1272-1, L. 1272-3 et L. 1273-2
[7] Décret du 11 mai 2000
[8] La baisse observée en 2008 de l’activité de greffe d’organes se poursuit en 2009 avec 4 580 organes greffés contre 4 620 en 2008 soit une baisse de 0,9%.
[9] (infection grave allant jusqu’au VIH (en Inde 78% des donneurs sont atteints de VIH), thrombose des veines rénales, hépatite B et C, pneumonie etc.) ou du taux de mortalité. C’est ainsi qu’en Inde la mortalité à un an après transplantation commerciale est de 10 à 19% alors qu’elle n’est que de 1 à 2% en Europe pour une greffe à partir d’un organe cadavérique.
[10] Cité par JG Hentz in Donner, recevoir un organe, sous la direction de Marie-Jo Thiel, Pu de Strasbourg, p. 350.
[11] Article L 2141-8 et L. 2151-3 du code de santé publique
[12] 5 aout 2009, catéchèse sur le Curé d’Ars
[13] Benoit XVI, le respect de la loi naturelle, remède au relativisme éthique, 7 février 2007