« Bernanos déniche en chacun de nous “l’homme des machines” »
Paris Notre-Dame du 10 février 2022
Le comédien et metteur en scène Michel-Olivier Michel porte actuellement sur les planches une adaptation de l’essai de l’écrivain Georges Bernanos, La France contre les robots. Intitulée Le Paradis des robots, la pièce offre une prise de recul sur notre quotidien rythmé par l’utilisation des machines. Une vibrante invitation à embrasser l’exercice de sa liberté.
Paris Notre-Dame – Comment vous est venue l’idée d’adapter ce texte au théâtre ?
Michel-Olivier Michel – Il y a deux ans, je marchais dans la rue près de la gare Saint-Lazare (8e). J’ai soudain éprouvé le désir de partager un regard avec chaque passant, comme poussé par l’envie de sentir dans cet échange notre appartenance à une humanité commune. Le premier passant qui se présenta regardait l’écran de son téléphone portable. Le deuxième, des écouteurs sur les oreilles, semblait comme absent de la réalité. Le troisième téléphonait. Je me suis alors amusé à compter le nombre de passants qu’il faudrait que je croise pour pouvoir échanger un simple contact. Après en avoir compté trente, j’ai pris peur. Je me suis alors rappelé l’essai de Bernanos et j’ai commencé à le relire. En pleine pandémie de Covid-19, j’ai été frappé par la ressemblance de ce que nous étions en train de vivre et ce monde que décrit Bernanos après guerre « où, à chaque carrefour, on guette les suspects, on filtre les passants […], où l’on fait du moindre portier d’hôtel l’auxiliaire bénévole de la police d’État. » Serions-nous déjà passés du côté de la « civilisation des machines » sans nous en être aperçus ? La place des machines est-elle si prégnante dans notre existence que les relations humaines les plus simples – considérer la personne qui se tient devant moi – seraient en voie de disparition ? Ce texte est tellement actuel, visionnaire que j’ai été saisi par lui. J’ai eu envie de le transmettre.
P. N.-D. – Le défi était grand. Comment monter sur scène un texte qui prend la forme, aride, de l’essai ?
M.-O. M. – C’était en effet un peu fou. Mais cela faisait deux ans que je n’avais pas joué… Et il y avait quelque chose qui me poussait à y aller. J’ai commencé le travail d’adaptation et de répétition tout seul. J’ai eu alors besoin d’un regard extérieur. J’ai donc proposé à Daphné de Quatrebarbes, comédienne, de jouer ce rôle. Elle m’a conduit à mener un travail d’incarnation du texte pour entendre, au-delà de la thèse présentée, la dimension humaine qu’elle soulève. Nous avons choisi de situer cet homme dans un espace concret, de le voir vivre et évoluer au quotidien, le voir réfléchir. L’idée était de faire vivre au spectateur le passage intérieur que vit le protagoniste sur scène. Ce personnage subit cette civilisation des machines, il est écrasé par ce qu’il voit. Il lutte pour survivre, il doit écrire, réfléchir, prier… pour découvrir que la seule issue pour l’homme réside dans sa vie intérieure.
P. N.-D. – Revenir à une vie intérieure. C’est peut-être finalement cela l’invitation de Bernanos que vous renouvelez aujourd’hui ?
M.-O. M. – Bernanos était un prophète. Un lanceur d’alerte. Nous faisons partie d’une génération où les technologies prennent toute la place dans notre quotidien. Il y a Netflix, WhatsApp, Instagram, Facebook… Tout cela vient combler un vide en nous alors que l’essence de l’être humain c’est justement d’être confronté à ce manque, à cette réalité d’être un être fi ni éprouvant un désir d’infini. C’est cette blessure, ce manque, qui donne naissance à une vie intérieure. Or, si je suis en permanence rempli, je ne peux y être confronté. Ces machines, ou plutôt l’utilisation que nous en faisons, nous empêchent d’accéder à notre être profond, à notre conscience. « L’homme demande aux « machines », comme le toxicomane le fait avec son poison favori, non pas de l’aider à surmonter la vie, mais à l’esquiver, à la manière d’un horrible renoncement à soi-même », écrit Bernanos. Celui-ci déniche en chacun de nous « l’homme des machines », passant à côté de sa vie pour ne pas avoir à affronter la « redoutable vocation humaine » : l’exercice quotidien de sa liberté.
Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab
Le Paradis des robots : Les vendredis, samedis (à 20h45) et dimanches (à 18h45) jusqu’au 20 février au 19, rue des Tanneries (13e). Plus d’informations et réservations : helloasso.com ; tarif : 15€.
Sommaire
Consulter ce numéro
Acheter ce numéro 1 € en ligne sur les applications iOs et Android