Texte de la Conférence de Carême du 23 mars 2014 à Notre-Dame de Paris : « Rappelle-toi les signes du Seigneur »

À Notre-Dame de Paris, par Mgr Bruno Lefevre Pontalis, vicaire général

Du premier moment de la création, Dieu est impliqué dans la vie de son peuple et de l’humanité. Il se dit dans l’histoire des hommes et le déroulement de nos existences. Il se révèle rarement avec le fracas du tonnerre. Dieu n’aime pas se donner en spectacle. Mais comme nous avons tendance à attendre des évènements extraordinaires pour comprendre sa volonté, nous risquons de passer assez facilement à côté de ces signes par lesquels le Seigneur nous appelle chaque jour. Comment la Bible parle-t-elle des signes de Dieu ? Pourquoi Jésus lui-même a, tantôt accepté, tantôt refusé de donner des signes de sa mission ? Quels sont aujourd’hui les manifestations sûres par lesquelles Dieu continue de nous appeler ? Comment en discerner l’authenticité ? Devons-nous finalement attendre et demander des signes ?

Les conférences sont retransmises en direct sur France-Culture et sur la télévision catholique KTO, à 21h sur Radio-Notre-Dame, à 23h sur RCF.

En vidéo.

« Rappelle-toi les signes du Seigneur » (Dt 7, 19)

Texte de la conférence
Reproduction papier ou numérique interdite.
Les conférences seront publiées dans un livre à paraître le dimanche 13 avril 2014 aux éditions Parole et Silence.

« Pour mieux connaître la nature et la signification d’une chose, écrit Aristote, il faut toujours en connaître l’origine ».

Cette loi se vérifie particulièrement pour ces signes par lesquels nous percevons, dans nos existences, Dieu qui nous parle et qui nous appelle. Car pour le chrétien, il est une chose certaine, c’est que du premier moment de la création, Dieu est impliqué dans la vie de son peuple et de l’humanité. Dieu, l’Emmanuel, marche avec nous, Dieu parle et intervient à sa manière.

Oh, bien sûr, Il se révèle rarement avec le fracas du tonnerre. Dieu n’aime pas se donner en spectacle. Il n’y a pas de « protocole de son action sur notre vie » affirme le pape François. [1]

La Bible nous enseigne qu’il est plutôt discret. À la suite du prophète Elie, nous découvrons que le « Dieu de tendresse et de fidélité » est le plus souvent dans la brise légère. Dans l’Évangile, il ne se manifeste pas aux mages sous le soleil de midi mais par une étoile qui s’éteint avant leur arrivée. Le Seigneur parle, mais sans tout de suite se faire connaître, comme pour les disciples d’Emmaüs. L’obscurité aussi peut devenir appel à continuer la route dans la confiance. Jésus lui-même refusera de donner des signes tels que ses contemporains le lui demandent et peu nombreux sont ceux qui sont jetés à terre comme saint Paul.

Mais comme nous avons tendance à attendre des phénomènes extraordinaires, nous passons facilement à côté de ces signes par lesquels le Seigneur nous appelle chaque jour à travers sa Parole, ses sacrements, ou les personnes et les simples événements de notre vie.

Il s’agit bien pour nous de reconnaître que Dieu parle aujourd’hui, de comprendre comment il parle, mais il nous faut aussi apprendre à discerner entre les réelles manifestations du Seigneur et ce qui pourrait être des fantasmes ou des mirages.

Dans la lumière de sa Parole et la grâce des sacrements, nous grandissons, peu à peu, dans l’intelligence de la foi et nous percevons, sous son regard, le sens surnaturel de nos vies.

Ainsi, après avoir défini ce qu’est un signe, nous regarderons dans un premier temps comment, dans la Bible, Dieu a utilisé certains d’entre eux pour communiquer avec son peuple. Il sera intéressant de comprendre pourquoi Jésus, lui-même, a accepté ou a refusé de donner des signes de son action. Puis, nous nous demanderons dans une deuxième partie quels peuvent être ceux par lesquels Dieu aujourd’hui continue de nous appeler. Enfin, nous répondrons à quelques interrogations afin de nous aider au discernement de l’authenticité des signes de Dieu dans nos existences.

Qu’est-ce donc tout d’abord qu’un signe ?

Définition du signe

Aujourd’hui, on entend généralement par signe, dans le domaine de la vie spirituelle, une intervention de Dieu qui me dit ce que je dois être et ce que je dois faire. Le signe divin ainsi compris, à la croisée des sentiments et de l’événement extérieur, est alors souvent attendu comme la grenouille attend le baiser du prince charmant, entretenant la confusion fâcheuse entre la vie de la grâce et le conte de fées.

Pourtant, l’être humain qui est à la fois corporel et spirituel a besoin de signes, de réalités visibles qui renvoient à une réalité invisible pour trouver son chemin, pour communiquer, mais aussi pour aimer et pour croire. Ainsi la nature, par sa beauté, sa variété et sa complexité peut susciter un émerveillement qui entraîne un questionnement allant jusqu’à la reconnaissance d’un Dieu créateur.

Beaucoup de gens attendent des miracles de Dieu alors que, par exemple, le signe le plus extraordinaire qui soit – la naissance d’un enfant – n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur. L’amour, lui-même, va, le plus souvent, se dévoiler par des signes qui seront donnés à l’être aimé. Le signe est comme un cadeau, posé sur le bord du chemin de la vie pour révéler un sentiment, pour redonner une direction à suivre, pour inviter à une conversion ou proposer un appel. Pour le croyant, il indique une des manières dont il perçoit la présence de Dieu dans sa vie.

Bien entendu, la prudence reste de mise lorsque nous affirmons : « Dieu fait ceci, Dieu dit cela… ». Chacun de nous ne peut parler que de sa propre expérience.

Tel fait qui a laissé mon ami de marbre, a changé ma vie. La chose en elle-même n’était pas un signe. Cela l’a été pour moi, je l’ai saisi en exerçant un discernement sur ce que j’avais perçu. Certains ont des facilités à lire les merveilles de Dieu dans leur vie, d’autres non. Il nous faut apprendre à relire régulièrement notre histoire personnelle pour y découvrir les signes de notre vie passée et pouvoir vivre notre vie actuelle.

Les signes donnés par Dieu dans la Bible

S’adaptant à notre nature, la Bible nous révèle que Dieu, pour sauver les hommes, leur a donné des signes tout au long de l’histoire du salut. Dans l’Écriture, ils sont appelés prodiges, merveilles, miracles, car c’est d’abord par la transcendance de son action en faveur des hommes que Dieu « signifie » sa puissance et son amour. L’identité même d’Israël, peuple choisi, conduit par Dieu, signifiant l’Alliance, se construira à travers ces signes grandioses ou discrets qu’il interprétera lui-même comme autant d’interventions divines en sa faveur. Sa foi ne cessera tout au long des étapes de son histoire, d’être nourrie par le souvenir des signes passés et par le don des signes présents. Son espérance sera suscitée par l’annonce des signes futurs.

Le grand signe fondateur donné à Israël et par lequel il a compris son identité et sa mission est, bien sûr, après l’élection d’Abraham, celui dans lequel l’Éternel a prouvé sa puissance et son amour en le libérant de l’esclavage, en le conduisant à travers le désert et en lui donnant la Terre de la Promesse. Pour rester fidèle au Dieu de l’Alliance, le Peuple d’Israël devra garder présents et vivants dans sa mémoire tous ces signes-événements des origines.

Tout au long de l’histoire sainte, Dieu continue de manifester sa puissance de salut par des signes miraculeux ; pensons au grand signe promis au roi Achaz que sera l’enfantement d’un fils (Is 7, 14). Mais arrêtons-nous un instant sur la célèbre histoire biblique de Gédéon (Jg 6) qui, voulant être sûr de « faire sa volonté », demande un signe au Seigneur. Gédéon vivait à l’époque de l’installation en Canaan, avant l’instauration de la royauté en Israël. À la tête du peuple, le Seigneur avait mis des hommes qu’on appelait les Juges. Ils étaient là pour faire appliquer la loi de Dieu. En lisant ces récits bibliques, au livre des Juges, on a un peu l’impression d’un moteur à quatre temps :

  1. Le péché d’infidélité du peuple au Dieu unique
  2. Suivi par le châtiment et le malheur
  3. Puis le repentir et le désir de retour vers Dieu
  4. Enfin, le salut procuré par un Juge, sorte de héros envoyé par Dieu

Et dès que cela va un petit peu mieux… l’infidélité recommence.

C’est dans ce contexte que Dieu appelle Gédéon. Et comme la plupart des appelés, Gédéon a un énorme doute, d’autant plus que le Seigneur lui dit : « Debout, vaillant guerrier ! ». Comme il ne correspond pas tout à fait au descriptif, il pense que le Seigneur s’est trompé d’adresse : « Pardon, mon Seigneur, lui répond Gédéon, comment sauverai-je Israël ? Mon clan est le plus pauvre en Manassé et moi, je suis le dernier dans la maison de mon père. » Mais le Seigneur confirme : c’est bien lui qu’Il appelle. C’est alors que Gédéon, dans son désir de ne pas se tromper, insiste lourdement et demande un premier signe, puis un second, au Seigneur qui ne s’en offusque pas. Gédéon dit à Dieu : « Si vraiment tu veux délivrer Israël par ma main, comme tu l’as dit, voici que j’étends sur le sol une toison de laine : s’il y a de la rosée seulement sur la toison et que le sol reste sec, alors je saurai que tu délivreras Israël par ma main comme tu l’as dit. » Et il en fut ainsi. Gédéon le lendemain se leva de bon matin, il pressa la toison et, de la toison, il sorti de la rosée, une pleine coupe d’eau. Gédéon dit encore à Dieu : « Ne t’irrite pas contre moi si je parle encore une fois. Permets que je fasse une dernière fois, l’épreuve de la toison : “qu’il n’y ait de sec que la seule toison et qu’il y ait de la rosée sur tout le sol !” Et Dieu fit ainsi en cette nuit-là. La toison seule resta sèche et il y eut de la rosée sur tout le sol » (Jg 6). Une fois le signe accordé, Gédéon se met en route et accomplit sa mission. Il y va avec la confirmation que c’est bien la volonté de Dieu.

On aimerait volontiers bénéficier d’un tel signe divin dans notre vie mais ce signe, bien massif accordé à Gédéon, n’est pas un marchandage. Il ne dit pas : « Si tu me donnes un signe, je ferai ceci ou cela ». On ne peut acheter Dieu. Gédéon ne fait pas de ce signe une condition sine qua non de son adhésion au plan divin. Il est un supplément gratuit de la bonté du Seigneur. Il n’est d’ailleurs pas le point de départ de son discernement mais plutôt la confirmation de ce qu’il a déjà reçu. Quand bien même, nous aurions la certitude d’avoir fait le bon choix, Dieu peut donner un signe supplémentaire de confirmation. Ce fut le cas dans le Nouveau Testament pour Marie dont la vocation sera confirmée par sa cousine Élisabeth. « Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein ! »

La place des signes dans la vie de Jésus

Cette mention d’un épisode évangélique nous conduit à nous demander utilement, quelle place avaient les signes dans la vie de Jésus. À l’époque du Nouveau Testament, les contemporains de Jésus attendaient pour les jours où viendrait le Messie, des prodiges et des signes au moins égaux à ceux de l’Exode. Jésus, d’une certaine manière déçoit cette attente, en son aspect charnel mais il va la combler spirituellement en inaugurant le vrai salut par ses miracles et surtout, en l’apportant, par le grand signe de sa croix et de sa résurrection (Jn 12, 33). Jésus est, par toute sa mission de serviteur, le signe par excellence, le signe efficace – annoncé par Syméon à Marie – qui apporte le salut à la multitude.

Fidèle à la promesse de Dieu d’un renouvellement des merveilles d’autrefois, Jésus a, cependant, multiplié les miracles. Ces miracles de Jésus sont ces signes que l’avènement du salut est bien arrivé. Ils constituent vraiment dans l’Évangile, « ces signes des temps » (Mt 16, 3) qui invitent à reconnaître, comme des indices sûrs, l’arrivée des temps du Messie.

En revanche, à l’inverse des Hébreux au désert, Jésus va, non seulement refuser de tenter Dieu en exigeant de lui des signes pour son propre avantage, « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu, répondra-t-il au démon » (Mt 4, 7), mais il refuse aussi de satisfaire ceux qui, avides de prodiges spectaculaires, lui demandent un signe pour le tenter.

Ainsi les évangiles synoptiques évitent-ils à propos des miracles, d’employer le mot de « signe ».

Dieu donne bien des signes de l’avènement du salut aux pauvres, comme Marie ou les bergers, mais il ne peut donner à ses contemporains les signes qu’ils réclament : ce serait pour Jésus pervertir sa mission. « Cette génération est une génération mauvaise. Elle demande un signe et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas » (Lc 11, 29). Ces auditeurs aveugles devraient commencer par se rendre attentifs au « signe de Jonas » leur dit Jésus ; c’est-à-dire à sa prédication de pénitence et de conversion. Ils seraient capables alors de déchiffrer les signes des temps sans en réclamer d’autres à leur convenance et seraient préparés à recevoir le témoignage du plus décisif de ces signes des temps : la résurrection elle-même de Jésus.

L’Évangile de saint Jean utilise cependant bien le terme de signe, pour désigner les miracles de Jésus. Pour lui, la vue des signes doit conduire à croire en Jésus car ils manifestent sa gloire et préparent à reconnaître par la foi le grand signe du Transpercé élevé sur la croix, source de toute vie. Tous les miracles rapportés par l’Évangile de Jean sont comme les figures anticipatrices de ce grand signe sauveur du Ressuscité, et conduisent à le reconnaître et à l’accueillir.

À la fin de cette première partie, nous pouvons affirmer, avec le Catéchisme de l’Église Catholique (303), que le témoignage de l’Écriture est unanime : « La sollicitude de la divine Providence est concrète et immédiate. Elle prend soin de tout, des moindres petites choses jusqu’aux grands événements du monde et de l’histoire ! » (CEC n° 303).

Oui, Dieu, en son Fils, marche à nos côtés. Il nous inspire et ne craint pas, pour confirmer sa Parole, de faire signe, mais nous entendons aussi l’enseignement de l’Évangile qui nous révèle que tout signe, en définitive, s’efface devant celui du Fils de l’Homme, « Jésus », et de la réalité de son triomphe.

Les signes de Dieu aujourd’hui

Si, comme nous le révèle la Bible, la pédagogie de Dieu est de se révéler à travers l’histoire des hommes, s’Il ne dédaigne pas non plus d’agir le plus souvent non pas de manière extraordinaire, mais dans la discrétion de la vie des hommes, si le Christ Jésus est le grand signe du salut donné à l’humanité, alors il nous faut regarder maintenant quels sont ces médiations, ces canaux par lesquels Dieu, qui demeure le même, continue aujourd’hui de manière certaine à communiquer.

Premier chemin : sa Parole

Le premier chemin par lequel Dieu, le plus sûrement, nous parle est sa Parole. Nous le savons mais il faut nous le redire. Oui, « ta parole est la lumière de mes pas, la lampe de ma route. Ta parole en se découvrant illumine et les simples comprennent » dit le Psaume 118. Dieu parle chaque jour aux croyants à travers l’Écriture, affirme saint Jérôme.

Que veux-tu me dire Seigneur, aujourd’hui, à travers ta Parole ? La Parole vivante, cachée dans le livre, m’attend pour me montrer le chemin que Dieu ouvre devant moi. Bien sûr, cette écoute de la Parole peut être rude, parfois obscure.

La Bible ne nous émeut pas de manière spectaculaire à toutes les pages. Le plus souvent, nous ne nous précipitons pas sur elle comme sur un roman lorsque nous avons besoin de nous détendre. Et pourtant, par elle, Dieu parle et me fait signe, souvent de manière extrêmement simple : « Viens, suis-moi, mangez, écoutez, sois croyant, convertis-toi… ».

Le philosophe et dramaturge Fabrice Hadjadj, de famille juive et ayant grandi dans l’esprit de révolte, raconte qu’il se mit à lire la Bible pour mieux s’en moquer. « Je l’ai donc lue, dit-il, en commençant par Isaïe et Job. Le choc ! Quel incroyable souffle ! Puis j’ai lu les évangiles. Tant de simplicité alliée à tant de profondeur ! La parole de Jésus n’était pas une parole comme les autres : c’était la parole, en chair, en os et en esprit. Bref, j’avais voulu détourner l’Écriture et c’est elle qui me retournait ! » Pour lui, comme pour tant d’autres, la Bible fut le signe par lequel Dieu l’appela, toucha son cœur comme un javelot et changea sa vie en profondeur.

Alors comment découvrir la volonté de Dieu sur moi à travers sa Parole ?

La tradition spirituelle propose quatre étapes simples, sous forme de questions qui peuvent m’aider à entrer en silence dans ce dialogue d’amour avec Dieu qui me fait signe et m’appelle.

– Tout d’abord que dit en soi le texte biblique ? Je commence par la lecture paisible du texte pour en saisir la profondeur

– Puis que me dit le texte ?

J’entre davantage en méditation pour me laisser toucher et remettre en question, en considérant que ce texte que je lis, me concerne moi, aujourd’hui.

– Vient ensuite une réponse : que dis-je au Seigneur en réponse à sa Parole ?

J’entre dans le dialogue qui me transforme par la prière de louange, de demande, d’intercession, d’action de grâce.

– Enfin, je me demande à quelle conversion de l’esprit, du cœur et de la vie, le Seigneur m’appelle ?

Je demande à Dieu le même regard que Lui pour reconnaître sa volonté dans ma vie. Tout appel sera d’autant plus fort que ma motivation ne reposera pas d’abord sur une obéissance ou un devoir d’être missionnaire, mais qu’elle vient du cœur.

Oui, à travers sa Parole vivante, Dieu me rejoint et m’appelle personnellement à le suivre.

La prière quotidienne et silencieuse

La prière quotidienne et silencieuse sera bien sûr le lieu où la Parole sera reçue, entendue et accueillie. Dieu nous fait des signes que nous pouvons percevoir si nous sommes des hommes et des femmes de silence et de prière, affirme le père Guy Gilbert dans son dernier livre « Jésus, un regard d’amour ». Tous les jours, demande à Dieu : « Envoie-moi un signe de paix. Quel que soit ton âge, jeune ou ancien, sache faire silence et prie chaque jour. Dieu te fera de nombreux signes ».

Les sacrements

Ce sont aussi, bien sûr, les sacrements par lesquels, au cœur de l’Église, le Christ me parle. Avons-nous assez conscience que les sacrements sont les signes visibles et agissants de l’amour de Dieu ? Une « véritable rencontre des enfants de Dieu avec leur Père, dans le Christ et l’Esprit Saint », selon la puissante expression du Catéchisme de l’Église Catholique. Et non pas une simple rencontre, mais un dialogue fait de gestes et de paroles d’amour, signes sensibles de la grâce en nous.

Les sacrements, mémoriaux des merveilles du Seigneur, continuent de rendre actuelle et efficace en son Église l’œuvre du salut du Christ Jésus. Il n’est pas surprenant alors que ce soit au cours de leur célébration que tant d’hommes et de femmes aient, en vérité, rencontré le Seigneur et reçu tant de signes pour marcher à sa suite. Wanda Poltawska, résistante et déportée polonaise à Ravensbrück, rapporte dans ses mémoires qu’elle cherche un accompagnateur spirituel qui puisse l’aider à comprendre l’enfer qu’elle a traversé. Sans succès jusqu’à ce jour de 1955 où elle va prier dans une église de Cracovie… « Le Père Karol Wojtyla entre, raconte-t-elle. Il se dirige vers une chapelle latérale. Je le suis au confessionnal, comme attirée par un aimant. Aujourd’hui, je pense que mes pas étaient guidés d’En Haut. Pourtant, il ne se passe rien d’extraordinaire, poursuit-elle, mais sa manière de parler et ce qu’il me dit, sonnait si juste et correspondait tellement à ce que je cherchais. Du coup, j’en étais certaine, je reviendrai voir ce prêtre parce qu’il me comprenait. Je ne lui ai pas demandé d’être mon père spirituel mais c’est venu tout seul quand il m’a dit en guise de conclusion, comme aucun prêtre ne l’avait fait jusque-là “Viens à la messe. Viens chaque jour”. Plus tard, j’ai pensé qu’en vérité tout prêtre devrait donner ce conseil : “Va à la messe parce que c’est vraiment une source de grâce” ».

Oui la fécondité de cette première rencontre prend sa source, comme beaucoup d’autres, dans un désir intense pour ce sacrement vital qu’est la réconciliation, nourri par celui de l’Eucharistie.

Dans l’Église, branchée sur son Seigneur par les sacrements, je suis sûr que Dieu me parle.

Les événements

Une clé précieuse de discernement réside dans le fait de savoir que Dieu parle aussi par les événements.

En hébreux, le mot « dabar » signifie à la fois « parole » et « événement ». Dans la Bible, on voit que Dieu rejoint l’homme par des oracles, des songes, mais souvent aussi par un événement. Nous pressentons alors qu’il ne s’agit pas de hasard ou de concours de circonstances mais bien de l’irruption de la Providence au travers de faits ordinaires de notre vie. « Le hasard, aurait dit Albert Einstein, c’est Dieu qui se promène incognito ! »

Attention, la main de Dieu n’est pas nécessairement directement derrière l’événement qui peut être heureux, telle une rencontre inspirée, ou malheureux, telle une souffrance, une maladie, un accident ou un deuil, mais Dieu passe à travers cet événement, se sert de lui pour me faire signe, dans la foi, à moi et à moi seul. La jambe cassée et le repos forcé du jeune Ignace de Loyola lui permirent de lire des vies de saints qui ont touché et ouvert son âme et finalement orienté sa vie à jamais, en lui faisant prendre conscience de ce que le Seigneur lui demandait.

Oui, les gamelles peuvent parfois être de bons signes !

Le Seigneur ouvre des portes ou les ferme à travers les événements de notre vie, les décisions que les autres peuvent prendre et la situation concrète où nous nous trouvons. Charles Péguy exprime cela de manière toute simple et profonde : « Les événements, dit Dieu, c’est moi. C’est moi qui vous caresse ou c’est moi qui vous rabote. C’est moi, n’ayez pas peur ».

Le plus souvent, les signes de Dieu sont d’abord à lire dans les petites choses de notre quotidien. Heureusement, la force du signe ne dépend pas de son intensité sur l’échelle sismique ou de sa hiérarchie au journal télévisé de 20 heures !

Madeleine Delbrêl, dans son petit ouvrage plein d’humour Alcide, développe avec bonheur cette thématique du quotidien : « Je n’obéis qu’à mon supérieur, écrit-elle, mais aussi au réveil qui sonne, au train en retard, à la pluie, au coup de fil que je n’avais pas prévu. Nous ne sommes jamais des laissés pour compte mais des bienheureux appelés. Appelés à savoir ce qu’il vous plaît, Seigneur, de faire ; appelés à savoir ce que vous attendez à chaque instant de nous. L’enfant à lever, la porte à ouvrir, le récepteur à décrocher, la lettre à écrire, la migraine à supporter… autant de tremplins pour l’extase, autant de ponts pour passer de notre pauvre, de notre mauvaise volonté, aux rivages sereins de votre bon plaisir ». C’est bien dans ce quotidien que le Seigneur nous attend, dans la fidélité aux engagements pris, dans la capacité à prendre nos responsabilités. Parfois, plein d’élan, on serait prêt à aller au bout du monde pour le Seigneur mais ce qui est certain, c’est qu’il nous attend là où, jour après jour, nous devons être. Il ne s’agit pas de tout subir passivement. Il y a des événements contre lesquels il faut lutter, des situations inacceptables, des conditions à améliorer mais ordinairement, nous savons bien ce que nous avons à faire. Accepter ce qui est, est source de paix et de courage pour accomplir notre tâche.

Dieu ne conduit donc pas nos vies comme un grand gourou ou une gentille nounou ! La Providence nous laisse libres. C’est peut-être l’un des paradoxes les plus déroutants de notre foi chrétienne. Dieu est le maître du monde et de l’histoire, tout en laissant à ses créatures la capacité de choisir au quotidien, l’orientation de leur vie. Le Concile Vatican II affirme ainsi que « les chrétiens devront être aidés à devenir capables de lire dans les événements petits et grands ce que réclame une situation, ce que Dieu attend d’eux » (Presbyterorum Ordinis, 6).

Les désirs

Si Dieu fait signe par les circonstances extérieures, Il nous guide aussi de l’intérieur, par les désirs profonds de notre coeur. Le coeur humain déborde d’aspirations. Nous désirons tant de choses parfois contradictoires. La prise en compte de ces désirs est primordiale car ils sont le matériau de base du discernement. Ils créent en nous une dynamique.

Le jeune homme riche de l’Évangile avait le désir d’obtenir la vie éternelle, tout comme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus était animée par le grand désir de devenir une sainte. Ainsi, l’attirance d’un jeune homme pour une jeune fille peut être le signe d’un appel à construire une relation amoureuse. Nos goûts, nos centres d’intérêts, nos motivations, nos dons sont autant de signes pour nous guider dans notre orientation de vie et notre mission. Dieu a déposé en nous une aspiration fondamentale au bonheur qui s’exprime par nos désirs. Il y a là une cohérence entre la volonté de Dieu et le désir profond de notre cœur.

Simone Pacot, dans son ouvrage L’évangélisation des profondeurs [2], affirme qu’il est impossible d’approfondir la notion de volonté de Dieu sans aborder le domaine des désirs, car la volonté, le désir de Dieu, ne peuvent en aucun cas être en contradiction avec nos désirs et nos aspirations les plus authentiques. Il ne saurait en être autrement car Dieu est le créateur de ces désirs-là.

Toute la difficulté consiste à découvrir parmi tous nos désirs celui qui est le plus authentique. Il importe de faire le tri parmi nos désirs. Tous ne sont pas mauvais, tous ne sont pas bons non plus, et peuvent être à purifier car marqués par le péché. Décider quelles aspirations mettre en premier, écouter ce qui nous habite en profondeur, c’est déjà nous mettre à l’écoute de Dieu. Il est donc fécond de s’interroger : quelles sont nos attirances, nos admirations, nos dons ? Ceci pour découvrir quel est notre appel : ce chemin de bonheur qui est le désir de Dieu sur nous.

En pratique, face à ce désir qui me travaille, il me faudra alors :

– Ne pas l’écarter. L’homme intérieur est celui qui prend le temps de se mettre à l’écoute de ce qui se passe en lui

– Le prendre au sérieux. On peut évacuer un désir parce qu’il nous fait peur ou qu’on ne s’en trouve pas digne. Mais on risque alors de passer à côté des suggestions de Dieu qui se dit par les sentiments humains.

– Croire encore que c’est là que Dieu m’attend. Ce qui est suggéré par un désir saint correspond à ce qui nous convient le mieux. C’est là que Dieu nous fera grandir.

– Le désir va aussi me révéler à moi-même. C’est dans l’accomplissement de la mission que Dieu nous donne que nous comprenons qui nous sommes aux yeux du Seigneur.

– Enfin, obéir à ce désir, s’il est authentique, va me rendre heureux et m’ouvrir à la joie.

Car l’appel de Dieu est profondément personnalisant et épanouissant. Il donne à notre existence toute sa fécondité dans l’Esprit Saint. Saint Ignace de Loyola nous rappelle dans les « Exercices Spirituels » que le signe que l’on va sur le bon chemin est celui d’une paix profonde et d’une consolation spirituelle dans l’amour de Dieu et de toute chose en Lui. Le chemin de discernement se fera, pour chacun, dans la lumière de sa conscience, ce lieu inviolable, ce jardin le plus secret accessible seulement à Dieu et à nous-même, où s’éveillent et se développent nos sens spirituels.

Quand nous écoutons notre conscience, nous entendons cette voix qui, comme le dit le Catéchisme de l’Église (CEC n° 1776-1789), « ne cesse de nous presser d’aimer, d’accomplir le bien et d’éviter le mal ». Notre conscience sera ainsi le lieu privilégié du discernement et de la purification de nos désirs. N’oublions pas ainsi, comme nous le rappelle opportunément le pape François dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile (n° 119), que « comme faisant partie de son mystère d’amour pour l’humanité, Dieu dote la totalité des fidèles d’un “instinct de la Foi” – le sensus fidei – qui les aide à discerner ce qui vient vraiment de Dieu ».

Nos rêves

Certains se demandent si Dieu peut nous révéler nos désirs authentiques et nous faire signe à travers nos rêves.

De Joseph, fils de Jacob, à Joseph, l’époux de Marie, l’Écriture, ne cesse d’évoquer des songes par lesquels Dieu s’adresse aux hommes. Le rationalisme a plutôt fermé la porte des rêves tandis que la psychanalyse l’a rouverte en très grand.

Puisque dans le rêve, nous ne tenons plus les rênes, Dieu peut-il en profiter pour se glisser dans les profondeurs de notre psychisme pour nous faire signe ? Le psychanalyste chrétien Jacques Arènes répond utilement en affirmant : « Qu’il s’agisse du Dieu des chrétiens ou de l’inconscient freudien, les signes que nous recevons en rêve ne sont jamais des indications claironnantes qu’il faut suivre à la lettre ! Un travail de relecture est toujours indispensable ».

Les autres

Nous ne pouvons achever cette deuxième partie sans affirmer que Dieu nous parle par les autres.

Le Seigneur nous donne l’occasion de rencontrer des personnes qui auront un rôle décisif d’appel dans notre vie. Que ce soit de la part d’un conjoint, d’un ami ou d’un collègue de travail, nous entendons une parole qui, tout à coup, fait jaillir une étincelle en nous : « J’ai compris, maintenant, je sais ce que je dois faire ! » Souvent, c’est en répondant favorablement à une banale invitation que nous avons découvert un nouveau groupe, une nouvelle activité et que, de fil en aiguille, notre vie a changé.

Le témoignage de Thierry Bizot, avec son livre Catholique anonyme et son film Qui a envie d’être aimé ? fut particulièrement éloquent.

Dans le cadre professionnel, même notre patron peut être instrument de Dieu pour nous révéler notre mission en nous proposant de nouvelles fonctions ou un changement de parcours ! Dans le cadre familial, ce sont souvent les enfants qui bousculent et obligent à une remise en cause et font évoluer. Dans la paroisse, notre curé et des membres de la communauté nous stimulent spirituellement et nous appellent. Toute personne que nous croisons peut ainsi devenir une balise sur notre route, un signe par lequel Dieu me rejoint, m’éclaire, me parle et agit dans ma vie. Là encore, le magnifique film, Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, illustre parfaitement comment Dieu peut agir et faire connaître sa volonté par les frères, par l’amour que les frères ont les uns pour les autres.

Oui, nous sommes appelés à être les uns pour les autres sacrements, c’est-à-dire signes vivants de la présence de Dieu.

Reconnaître les signes que Dieu nous donne

En cette dernière partie, je voudrais, en répondant à quelques questions plus précises, proposer des clés de discernement et de reconnaissance de ces signes qui peuvent nous être donnés.

Apprendre à discerner

Ainsi, il est probable que nous nous demandions tous à un moment ou à un autre : « Si Dieu intervient dans nos vies, comment être sûrs que c’est lui qui agit et non pas nous qui nous projetons ? », autrement dit, comment discerner l’authenticité des signes de Dieu ?

Il est rare que Dieu parle de façon explicite et, quand bien même il le ferait, le doute pourrait nous envahir. Ai-je rêvé ? Suis-je la proie d’une hallucination ? L’une des étapes du processus de discernement consiste à s’assurer que ce que nous pressentons est bien la volonté du Seigneur et non pas une tentation ou la fuite de notre imagination.

Saint Jean de la Croix, docteur mystique par excellence, nous invite à discerner ces signes, en en distinguant trois catégories. Il peut être utile de les regarder.

– Il y a d’abord le signe provoqué

Le fait de recevoir un signe dépendra de notre façon de le demander. Par exemple : « J’irai me confesser si la personne devant moi allume un cierge ! » Cette prière – entre guillemets – relève de la superstition. Elle comporte les dangers d’utiliser Dieu, de rechercher sa propre volonté et de manquer de confiance.

– Il y a aussi le signe demandé.

On demande une intervention extraordinaire à Dieu. Par exemple, sainte Thérèse de Lisieux demande « un signe de repentir » de l’assassin Pranzini avant son exécution. Sauf que Thérèse précise au Seigneur que c’est un signe « pour sa simple consolation » et que, s’Il ne l’accorde pas, cela n’ébranlera aucunement sa foi. Le risque d’une telle demande, suscitée souvent par la curiosité, c’est de projeter en Dieu nos propres désirs au lieu d’accueillir sa Volonté.

– Enfin, il y a le signe inattendu.

Le signe de la Providence dans ma vie ne fait que confirmer une option prise par notre raison éclairée par la foi et l’enseignement de l’Église. En l’accueillant, nous sommes confortés dans la confiance et l’Espérance théologale.

Saint Paul nous dira alors que l’action de Dieu se reconnaît à ses fruits : « Charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi » (Col 5, 22).

Mais il convient d’ajouter qu’on ne peut pas être juge et partie. C’est pourquoi, dans ce discernement, il est important d’être confirmé par d’autres personnes ayant compétence pour cela. Un appel, quel qu’il soit, est ainsi toujours utilement validé, dans son authenticité, par l’Église à laquelle on s’en remet ultimement. Un accompagnateur spirituel nous aidera à vérifier la conformité des signes reçus avec la Parole de Dieu et à ne pas trop nous habituer à cette voie des signes sensibles.

C’est bien en communion avec l’Église qui peut être la paroisse, la communauté à laquelle je suis relié comme à un corps vivant, que l’appel entendu et les signes reçus trouvent toute leur fécondité.

Et si je me trompe ?

La question se pose alors de savoir si, dans ce discernement, il est possible de se tromper ?

Si le cœur n’est pas assez fortifié par l’exercice des vertus théologales, de Foi, d’Espérance et de Charité, s’il n’est pas éduqué aux vertus cardinales de force, de prudence, de justice et de tempérance, nourri aussi par la Parole de Dieu, la prière et la pratique des sacrements, il risque d’être assujetti par ses passions, victime de carences affectives ou prisonnier de systèmes compensatoires. Ce sont des désordres qui nuisent à l’exercice de la liberté et peuvent pervertir les signes de Dieu, en se les appropriant à sa guise, au lieu de se laisser conduire avec confiance. L’Esprit du Mal – ce mystère d’iniquité qui est aussi à l’oeuvre en ce monde – peut venir brouiller les signes et parasiter leur signification.

Si nous regardons par exemple, l’épisode des tentations du Christ au désert, nous voyons que le démon demande des signes prodigieux, spectaculaires, éclatants qui nieraient en fin de compte, le réalisme de la condition humaine et exalteraient la toute puissance dans le but de détourner le Christ de son incarnation et de sa mission. Nous ne sommes pas à l’abri de ces tentations qui nous font miroiter des mirages, par le développement de l’imaginaire. « Satan lui-même se déguise en ange de lumière » nous prévient saint Paul (2 Co 11, 14). Si nous avançons seuls et déconnectés de la Parole de Dieu, nous risquons alors de tomber, soit dans l’orgueil, soit dans le désespoir.

Nous pouvons penser que ce serait tellement plus simple si Dieu nous envoyait des messages clairs, s’il disait sans équivoque quelle est sa volonté sur nous ! Cela nous épargnerait, pense-t-on, ce discernement parfois difficile et ôterait tout risque d’erreur.

Mais voilà, Dieu nous renvoie à notre décision.

Lorsqu’on observe la vie publique de Jésus, on constate qu’Il ne donne pas de réponse toute faite aux interrogations de ses contemporains. Au contraire, il parle en paraboles ce qui oblige son auditoire à recourir à son propre jugement pour chaque situation concrète. Dieu respecte trop notre liberté. Son plan n’est pas un programme appliqué par contrainte mais un projet d’amour. S’il nous présentait en toute lumière le chemin qu’il ouvre devant nous, nous n’aurions pas d’autre choix que de le suivre. Notre liberté disparaîtrait. Dieu attend de nous une libre adhésion à son projet, le « oui » de l’épouse à l’époux comme dans cette symbolique du livre d’Osée : « Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais la conduire au désert et je lui parlerai coeur à coeur » (Os 2, 56). Dieu prépare ainsi notre coeur. Si nous ne recevons pas des messages aussi clairs que nous voudrions, c’est, peut-être aussi, que notre coeur n’est pas encore prêt à les entendre.

C’est sur le chemin de la fidélité, de la persévérance et de la conversion que la lumière nous sera donnée… en avançant.

« Le fait de ne pas être toujours absolument sûrs de faire la volonté de Dieu, explique le Père Jacques Philippe dans son livre La liberté intérieure, est aussi pour nous une pauvreté douloureuse qui nous protège. Elle nous garde petits et humbles, en constante recherche. Elle nous évite de nous appuyer sur nous-mêmes et d’être dans une sorte de fausse sécurité qui nous dispenserait de la foi et de l’abandon ».

Le pape François, dans l’interview qu’il a donnée au mois d’août dernier aux revues jésuites, rappelle « qu’au cœur de tout discernement, il demeure un espace pour le doute. Les grandes figures bibliques, elles-mêmes, ont laissé une place au doute. Il y aurait un risque, dit-il, à trouver Dieu en toute chose et à dire avec certitude et arrogance “Dieu est ici”. L’attitude juste, rappelle le Pape, est celle de saint Augustin qui affirme qu’il faut chercher Dieu pour le trouver et le trouver pour le chercher encore. Dieu demeure toujours une surprise ».

Faut-il alors attendre des signes de Dieu ?

On peut certainement lui en demander, mais en humilité de cœur et pauvreté d’esprit. Car Dieu n’enverra pas nécessairement « le » signe que nous attendons, ou, plus probablement, sa réponse sera si surabondante qu’elle creusera en nous la conscience de notre extrême petitesse devant sa grandeur infinie. Pensons à l’effroi de saint Pierre dans l’Évangile devant la pêche miraculeuse. Devant Dieu à l’œuvre, nous risquons bien nous aussi de nous écrier : « Éloigne-toi de moi Seigneur, car je suis un homme pécheur ! (Mc 5, 8).

Dans sa pédagogie divine, Dieu nous mène doucement et fermement à la fois. Il vérifie, sans cesse, notre cœur, avide de signes sensibles, et notre esprit aveugle, qui veulent mettre la main sur ses grâces, comme les apôtres voulaient arrêter le temps et planter leur tente sur la montagne de la Transfiguration.

Dieu nous appelle à quitter les gras pâturages de la plaine pour monter vers les cimes plus arides mais plus pures, en nous délestant peu à peu, de tout ce qui nous entrave dans notre union à Lui.

Ainsi, tous les saints ont connu des nuits spirituelles, que ce soit la nuit des sens, celle de l’esprit ou la nuit de la foi. On le sait, à la fin de sa vie, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus allait jusqu’à se demander si le Ciel existait. Nous connaissons aussi maintenant l’itinéraire spirituel aride de Mère Teresa de Calcutta. Mais attention, il ne s’agit pas de renoncer du jour au lendemain aux signes sensibles.

Il se peut même que, dans la prière par exemple, le Seigneur permette, surtout au commencement d’une vie spirituelle profonde, des expériences sensibles et physiques, des signes de visitation, comme une forte émotion, certitude de sa présence à nos côtés, de son amour pour nous, avec parfois même, l’expérience d’une grande douceur ou d’une chaleur dans le cœur ou le corps, ou des pleurs. Prier n’empêche pas Dieu de nous faire des cadeaux avec des gros nœuds roses et des papiers de toutes les couleurs ! Quand nous en avons la grâce, ces signes, nous rassure saint Jean de la Croix, sont une voie par où Dieu nous mène. Il n’y a pas lieu de les dédaigner. Il serait présomptueux de les refuser mais, aussi dangereux de s’y attacher ou de les rechercher pour eux-mêmes ou d’en éprouver de la gourmandise ! Attention à ne jamais préférer les cadeaux de Dieu au Dieu des cadeaux !

« Je t’ai déjà tout dit dans ma Parole qui est mon Fils, je n’ai maintenant plus rien à te révéler et à te répondre qui soit plus que Lui » peut-on lire dans la Montée du Carmel du même Jean de la Croix (chapitre XX).

La sainteté se passerait-elle donc de signes ?

« Devant Dieu, poursuit le docteur de l’Église, une seule action, un seul acte de volonté, fait par charité, a plus de prix que toutes les visions, révélations ou communications qui peuvent venir du Ciel ». Nous voilà avertis.

Les signes dont nous pouvons personnellement être gratifiés, le sont toujours en vue d’un appel à suivre et à aimer plus profondément le Christ. À ces signes nous aurons toujours à donner une réponse de foi libre et sûre. Nous aurions beau demander à Dieu de multiplier les signes pour confirmer un appel, et les recevoir, cela ne nous dispensera jamais du pas à faire et de la réponse à donner dans la foi, l’espérance et l’amour.

C’est bien cela qui fait de nous véritablement des croyants et des disciples du Christ.

Conclusion

Acceptons donc de reconnaître que le croyant est un être écartelé. Écartelé entre les choses du ciel et celles de la terre, entre sa conscience et ses pulsions, entre son désir de tout diriger et sa soif d’abandon. Écartelé entre les grands appels de sa vie et les multiples tâches de son quotidien, entre sa volonté humaine et la volonté de Dieu sur lui. Écartelé entre son désir de recevoir des signes forts de la part de Dieu et la discrétion du Seigneur qui, respectant la liberté humaine, appelle à l’engagement dans la foi.

Poussé par son souhait de bien faire et un réel désir de sainteté, le croyant se tourne vers Dieu pour connaître sa volonté. Mais voilà, l’expérience du silence de Dieu est souvent l’expérience la plus forte. Dieu a-t-il entendu ? S’intéresse-t-il à moi ? Pourquoi laisse-t-Il donc l’homme en proie à son questionnement ? Ai-je bien vu les signes qu’il aurait pu me donner, entendu les appels qu’il m’aurait adressés ?

Oui, nous nous posons mille questions pour savoir comment faire, que faire, comment organiser notre vie du mieux possible, comment reconnaître le chemin où Dieu m’appelle. La réponse de Jésus est toujours la même : « Viens et suis-moi » (Mt 16, 21).

Discerner les signes que Dieu m’adresse n’est donc plus seulement une question de vision extérieure mais se transforme en un appel infini de Dieu à aimer. Un appel à déposer nos sécurités, nos imperfections, nos blessures afin de retrouver la liberté des baptisés. Se lever, se mettre en route, marcher dans les pas du Christ, sortir annoncer l’Évangile, donner sa vie ; c’est tout cela la dynamique du disciple. C’est dans notre cœur profond que Dieu est présent, dans cette tente intérieure où l’Esprit Saint vient faire sa demeure. C’est par cet accueil de la grâce en nous que devient possible la reconnaissance des signes qu’Il nous donne et la compréhension des appels qu’Il nous adresse pour notre bonheur.

Cet accueil de l’Esprit Saint, la Vierge Marie l’a vécu en plénitude dans le oui de l’Annonciation, renouvelé tant de fois. Toute sa vie est un abandon, une confiance totale malgré l’obscurité et la présence de la croix. Celle qui ne comprenait pas toujours et qui méditait tout cela dans son cœur, est notre modèle de discernement et d’acceptation du chemin que le Seigneur propose. Aujourd’hui encore, elle nous encourage dans notre recherche et nous assure au milieu de nos hésitations. Aujourd’hui encore, elle ne cesse de nous dire en désignant son Fils : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2, 5).

[1Messe à la chapelle de la maison Sainte Marthe le 28 juin 2013.

[2L’évangélisation des profondeurs, Cerf, 1997, p. 143.

Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris 2014 : “L’homme, un être appelé”

Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris 2014 : “L’homme, un être appelé”