Conférence de Carême de Notre-Dame de Paris : “Charles Péguy : Une spiritualité de la communion”

Le dimanche 3 mars 2024, M. Nicolas Faguer, docteur ès-lettres, a donné la troisième conférence du cycle “La mystérieuse musique des sacrements. Littérature et spiritualité”.

Tant de coups de fortune et de coups de misère
N’ont point laïcisé ce cœur sacramentaire.

Nicolas Faguer, docteur ès-lettres, est professeur de français au collège La Vaucouleurs ; il a publié L’unité de l’œuvre de Péguy selon Hans Urs von Balthasar en 2013.

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Texte de la conférence

Reproduction papier ou numérique interdite. Les conférences seront publiées, avec les références et les notes, dans un livre aux Éditions Saint-Léger.

Charles Péguy : Une spiritualité de la communion

Tant de coups de fortune et de coups de misère
N’ont point laïcisé ce cœur sacramentaire

Monseigneur, Mesdames, Messieurs, chers amis,

La meilleure façon d’entrer dans notre méditation, et d’accéder à la manière dont Charles Péguy a vécu les sacrements et en parlé, c’est sans doute de commencer par regarder le lieu où nous nous trouvons. Nous sommes dans une nef, au cœur de cette église de Saint-Germain-l’Auxerrois. Une nef est comme un bateau renversé, avec la coque au-dessus de notre tête, et nous sommes assis pour ainsi dire sur le pont. Cette nef est un vaisseau qui nous réunit, et qui nous emporte quelque part. Par le seul fait de nous trouver ici physiquement, autour de Charles Péguy, avec la même intention de l’écouter, nous sommes déjà en communion. Et les personnes qui nous voient sur KTO, et celles qui nous écoutent sur France Culture, sont elles aussi en communion avec nous, d’une manière spirituelle. Aussi peut-on dire que la finalité de cette barque qui s’appelle la nef, est nous de mettre en communion les uns avec les autres, et avec Celui qui tient le gouvernail du navire.

Et il y a plusieurs manières de parler du Commandant de notre barque. On peut le reconnaître dans la grande croix formée par cette nef et le transept ; on peut aussi le désigner à partir la table qui est derrière moi et que l’on appelle l’autel, le lieu du sacrifice, et de l’ambon où l’on proclame sa parole – lesquels, par une curieuse coïncidence, ont été dessinés par mes parents, auxquels je voudrais rendre hommage ; on peut également le vénérer sous la forme du pain consacré qui est conservé dans le tabernacle et qu’un lumignon rouge annonce ; on peut encore le voir présent dans les figures des prêtres qui écoutent les pénitents dans ces lieux étonnants qui ressemblent à de grandes armoires appelées confessionnaux. On peut le voir symboliquement dans le soleil qui tous les matins surgit à l’orient, pénètre les vitraux colorés de la face Est, et irradie l’intérieur de sa lumière irisée. Enfin, et c’est là peut-être le trait plus particulièrement péguyste, notre capitaine se manifeste au-dessus de nous, lorsque nous suivons des yeux la lente montée des colonnes gothiques, lesquelles cessent soudain d’être colonnes pour devenir ogives, et se rencontrent dans une dernière pierre que l’on appelle la clé de voûte. Les artistes qui ont présidé à la construction de Saint-Germain-l’Auxerrois ont placé des figures de saints sur les différentes clés de voûte de la nef. Mais sur celle qui est juste au-dessus de moi, il y a une sorte de fleur. Traditionnellement c’est la Vierge Marie qui est désignée comme fleur d’Israël, comme lys pour sa pureté, comme rose mystique, mais ici la fleur renvoie au Christ, parce qu’il est comme une floraison de la longue suite de générations depuis Adam : il est la fine fleur de l’humanité. En commentant le poème de Victor Hugo « Booz endormi », Péguy écrit que l’Incarnation du Fils de Dieu est « comme une fleur et comme un fruit temporel, comme une fleur et comme un fruit de la terre […], comme une réussite extraordinaire de fécondité charnelle, comme une infloraison, […] comme le couronnement, comme l’aboutissement d’une histoire arrivée à la chair, et à la terre [1]. » Jésus est donc véritablement la pierre qui conclut la lente marche que fut l’ancien testament, et de laquelle descendra l’humanité du nouveau testament. Voici ce qu’il écrit dans un magnifique poème de 1912, intitulé Le Mystère des saints Innocents :

Tout l’ancien testament va vers Jean Baptiste et vers Jésus.
Mais tout le nouveau testament vient de Jésus.
C’est comme une belle voûte qui monte des deux côtés vers la clef de voûte. […]
Et la dernière pierre avant la clef est Jean le Baptiste.
Mais la première pierre après la clef est Pierre le fondateur.
Tu es Pierre et sur cette pierre.
Et il fut crucifié la tête en bas,
C’est-à-dire en redescendant. […]
Et la clef de cette mystique voûte.
La clef elle-même
Charnelle, spirituelle,
Temporelle, éternelle,
C’est Jésus,
Homme, Dieu [2].

Or, Jésus, en qui se rencontre humanité et divinité, esprit et chair, temps et éternité, est aussi le fondateur des sacrements, dont la nature est pareillement spirituelle et charnelle, temporelle et éternelle. Comme le Christ est un lieu de rencontre entre ciel et terre, entre l’homme, tous les hommes, et Dieu, il fonde les sacrements afin que cette rencontre et cette communion puisse être offerte à tous les hommes de tous les temps et tous lieux et se perpétuer de génération en génération, afin que toute personne puisse se recréer cette communion entre l’homme et Dieu. Le but de notre conférence sera alors de méditer sur cette communion rendue possible par les sacrements. Nous savons par saint Jean que la « communion » est la fin de la vie chrétienne. Dans sa première lettre, l’Apôtre écrit : « ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous » (1 Jn, 1, 3). « Quant à notre communion elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ » (1 Jn 1, 4). « Si nous marchons dans la lumière comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres » (1 Jn 1,7). Or, si les sacrements jouent un rôle central dans la réalisation d’une telle communion, Péguy a approfondi ce mystère précisément en vivant la vie sacramentelle du dehors. Marié civilement à une femme qui refusa le mariage religieux et le baptême de ses enfants, il ne put se nourrir des sacrements du mariage, de l’eucharistie et de la confession. La richesse et la profondeur de son regard sur les sacrements est mystérieusement le fruit de son exclusion temporaire de la pratique sacramentelle.

Repartons d’un bref aperçu de sa vie.

1. La vie de Péguy : une soif constante de communion

La vie de Charles Péguy peut se découper en trois parties : l’enfance à Orléans ; les études à Paris et les engagements socialistes ; le retour à la foi chrétienne.

Enfance

Charles Péguy naît à Orléans le 7 janvier 1873, dans le faubourg Bourgogne, quatre jours exactement après la petite Thérèse, dont il est très proche spirituellement par bien des aspects, et un jour après l’anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc, qui aura une si grande importance dans sa vie. Il a été baptisé le 13 avril dans l’église Saint-Aignan, qui contient encore, dans une chapelle latérale, les fonts baptismaux où le prêtre a immergé le petit Charles. L’enfant devient, à dix mois, orphelin de père. Désiré Péguy meurt d’un cancer de l’estomac, séquelle des privations de la guerre de 1870. Charles est un enfant unique, éduqué par sa grand-mère maternelle, Etiennette Quéré, illettrée, et qui lui transmet le goût de la langue, et par sa mère Cécile, rempailleuse de chaise, dont il a immortalisé la noblesse et la grâce de son travail manuel : « J’ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales [3]. »

L’apprentissage prend très tôt une place centrale. Le jeune Charles trouve dans les jeunes instituteurs stagiaires de son école primaire des figures paternelles qui ouvrent son âme à la richesse du monde et du savoir. Et il va au catéchisme avec le même enthousiasme qu’il va à l’école :

Nous allions au catéchisme, le jeudi je pense, pour ne pas déranger les heures de classe. Le catéchisme était fort loin de là, en ville, dans notre antique paroisse de Saint-Aignan. Tout le monde n’a pas une paroisse comme ça [4].

Péguy accueille l’enseignement du curé et celui du maître avec le même naturel, malgré les apparentes contradictions. Plus tard il écrira :

Qu’importait, pourvu que ce fussent des enseignements. Il y a dans l’enseignement et dans l’enfance quelque chose de si sacré, il y a dans cette première ouverture des yeux de l’enfant sur le monde, il y a dans ce premier regard quelque chose de si religieux que ces deux enseignements se liaient dans nos cœurs et que nous savons bien qu’ils y resteront éternellement liés [5].

Le 25 juin 1885, à l’âge de 13 ans, il fait sa première communion à Orléans, alors qu’il a commencé ses études au Lycée public de la ville [le Lycée comprenait ce qu’on appelle aujourd’hui collège et lycée.] Il vit dans un milieu où l’on reçoit les sacrements de l’initiation chrétienne, mais où l’on pratique peu le dimanche. Sa mère n’avait pas le temps, a-t-elle dit à Emmanuel Mounier bien des années après la mort de Péguy.
Pourtant Péguy a gardé de son enfance le souvenir d’un monde marqué par une atmosphère de prière intérieure, où travail et oraison, ora et labora, s’alliaient naturellement :

Tout était une élévation, intérieure, et une prière, toute la journée, le sommeil et la veille, le travail et le peu de repos, le lit et la table, la soupe et le bœuf, la maison et le jardin, la porte et la rue, la cour et le pas de la porte, les assiettes sur la table.
Ils disaient en riant, et pour embêter les curés, que travailler c’est prier, et ils ne croyaient pas si bien dire.
Tant leur travail était une prière. Et l’atelier était un oratoire [6].

Études et mariage

Arrivé à Paris en 1891 pour préparer le concours de l’École Normale Supérieure au Lycée Lakanal de Sceaux, Péguy découvre bientôt les grandes problématiques sociales et politiques de son temps. Il s’engage dans l’Affaire Dreyfus pour la défense de ce dernier et la lutte contre l’antisémitisme. Il découvre la pauvreté du monde ouvrier et participe avec son aumônier à des soupes populaires.

Il entre à l’École Normale Supérieure en 1894, et c’est dans ce contexte très mouvementé qu’il rompt avec l’Église catholique qu’il considère trop liée aux classes bourgeoises, injustement hostile au juif Dreyfus, et responsable en partie de l’abandon des classes ouvrières. Il se rapproche de différents mouvements anarchistes, communistes et socialistes. Mais l’idéal qu’il conçoit peu à peu lui est très personnel : il rêve d’une cité harmonieuse qui ne fermerait la porte à personne. Tous les hommes de tous les peuples, de toutes les races et de toutes les religions y auraient leur place [7]. Les maux suprêmes sont l’exclusion et la misère. Il considère la solidarité comme une valeur absolue, et rejette tout ce qui s’y oppose. Ainsi le dogme catholique d’un enfer éternel qui couperait la solidarité du genre humain l’épouvante. Il affirme : « cette épouvante me tient au cœur [8] ». C’est donc au nom d’une communion totale et absolue qu’il rompt avec l’Église catholique pour laquelle l’idée d’une rupture dans la solidarité éternelle fait partie de ses enseignements fondamentaux. Mais paradoxalement, l’héroïne qu’il se donne pour modèle dans sa lutte contre l’exclusion et la misère, est une figure catholique : Jeanne d’Arc, à laquelle il consacre une triple pièce de théâtre en 1897.

Dans la même année, il se marie avec Charlotte Baudouin, le 28 octobre. Cette jeune femme est la sœur de Marcel, son condisciple à l’ENS, disparu prématurément. Dans une sorte de fidélité d’amitié, il épouse la sœur de l’ami défunt. Or, la famille Baudouin est foncièrement républicaine, attachée aux valeurs de la laïcité et aux institutions étatiques. Le mariage sera donc célébré civilement.

Péguy échoue l’année suivante à l’agrégation de philosophie, et après quelques tentatives éditoriales, il fonde en 1900 sa propre revue, Les Cahiers de la quinzaine, dans lesquels il publie ses réflexions sur l’actualité politique, mais agit aussi en garant des libertés individuelles : des dizaines de collaborateurs tournent autour de la revue, pour y donner des essais, des biographies, des romans, des poésies. Son slogan : « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, dire ennuyeusement la vérité ennuyeuse, dire tristement la vérité triste [9] ». La revue a un véritable impact intellectuel dans la France de la Belle Époque, mais les abonnés ne dépassèrent jamais les 1400. Quelque chose de son idéal d’une cité harmonieuse prend forme au sein de la revue et dans les locaux de sa boutique située au 8 rue de la Sorbonne.

Retour à la foi chrétienne

Autour de 1907-1908, Péguy, ancien catholique et fervent défenseur d’une solidarité humaine universelle, rencontre à nouveau le christianisme. En septembre 1908, son ami Joseph Lotte vient lui rendre visite. Il est alité, soudain il se relève sur son coude, et lui dit : « Je ne t’ai pas tout dit… J’ai retrouvé ma foi… Je suis catholique. » Son évolution intérieure commence à se sentir dans ses écrits, mais c’est seulement avec la publication du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc en janvier 1910 qu’il affirme publiquement sa réadhésion à une vision chrétienne du monde. Suivront près de quatre mille pages en Pléiade, écrites en quatre ans et demi seulement, dans lesquelles son génie ira de sommet en sommet. En revenant à une vie de foi, la poésie restée en sommeil depuis sa première Jeanne d’Arc de 1897 refleurit. Les œuvres plus connues de ses dernières années sont : Le Porche du mystère de la deuxième vertu (septembre 1911), consacré à l’espérance ; Le Mystère des saints Innocents (mars 1912), centré sur la tendresse du Père et l’abandon confiant des enfants ; La Tapisserie de Notre Dame (mai 1913) qui rapporte son pèlerinage à Chartres et ses prières dans la cathédrale.

À ces œuvres poétiques s’ajoutent des essais et des pamphlets de grande envergure comme Notre jeunesse (juillet 1910) où il défend ses engagements dreyfusistes et dénonce l’importance excessive donnée par les catholiques au « modernisme de l’intelligence » [les arguments scientifiques athées] pour mieux voiler le « modernisme du cœur » [l’avarice, l’argent] qui obscurcit comme une ombre les cœurs des croyants et des incroyants ; cette réflexion trouve son point d’aboutissement dans L’Argent (avril 1913) qui révèle, avec des accents prophétiques, les transformations sociales majeures dues au rôle désormais central de l’argent dans les vie des hommes. Ces textes manifestent combien le retour à la foi n’a pas été synonyme de retrait dans le spirituel. Au contraire, au nom de l’Incarnation du Fils, Péguy trouve des raisons supplémentaires d’enraciner le christianisme dans le monde, et de lutter pour que toutes les réalités humaines soient reconfigurées selon l’Esprit de Dieu : politique, école, institutions sociales et ecclésiales, famille… Il sait pourtant que les chrétiens sont souvent seuls dans leurs combats, baignant dans un climat hostile. Il exprime cela dans la formule : « nous sommes tous à la frontière ». Ce sont les mots qu’a choisis Hans Urs von Balthasar pour intituler sa propre sélection de textes en prose de Charles Péguy [10].

Péguy retrouve la foi au moment où d’autres écrivains reviennent aussi au christianisme, comme Huysmans ou Claudel. Mais à la différence de ces derniers, il ne veut pas se présenter comme un converti, parce qu’il a le sentiment d’avoir toujours suivi le bon chemin, de ne s’être jamais écarté de ce que lui dictait sa conscience, et que c’est précisément en écoutant ce que lui disait son cœur qu’il a quitté une Église minée par une mentalité bourgeoise pour embrasser les idéaux socialistes de solidarité universelle, et qu’il a retrouvé plus tard, au plus profond de la vision chrétienne, le lieu où ses idéaux socialistes pouvaient se réaliser.

Nous avons constamment tenu la même voie droite et c’est cette même voie qui nous a conduits où nous sommes. [...] C’est par un approfondissement constant de notre cœur dans la même voie, ce n’est nullement par une évolution [...] que nous avons trouvé la voie de chrétienté. [...] Nous avons pu être avant la lettre. Nous n’avons jamais été contre l’esprit [11].

Ainsi, en poursuivant jusqu’au bout son idée de solidarité a-t-il fini par redécouvrir la communion des saints. Son entêtement socialiste à ne pas fermer la porte à personne lui a ouvert les yeux de l’âme sur l’entêtement du Dieu-Trinité à ne pas perdre une seule brebis. Au Dieu « résigné » d’une certaine théologie catholique, qui ne serait pas peiné de laisser des masses de pécheurs se perdre éternellement en enfer, il oppose un Dieu de l’espérance qui tremble de devoir condamner ses fils. Péguy prend conscience du rôle qu’il aura à jouer dans le monde croyant : « Au fond c’est une renaissance catholique qui se fait par moi. Il voir ce qui est et tenir bon [12]. » Pourquoi dit-il qu’il doit « tenir bon » ? Parce que sa situation personnelle l’a placé dans des conditions de vie qui menacent de le faire exploser.

En effet, au moment de son retour à la foi, Péguy est confronté à la question des sacrements. Il est marié civilement. Que faire ? Il en parle à Jacques Maritain, qui est à l’époque très proche de lui, et à qui il pense confier la direction des Cahiers. Maritain a suivi une évolution parallèle à celle de Péguy, et a été baptisé catholique en 1906. Péguy envoie Maritain demander conseil à son ancien camarade de khâgne Dom Baillet, devenu moine à Solesmes. Ce dernier impose deux obligations pour la réintégration de Péguy dans l’Église : se marier religieusement et faire baptiser les trois enfants issus de son union avec Charlotte : Marcel, Germaine et Pierre, qui avaient, en 1910, 12, 9 et 7 ans. Péguy se voit très vite confronté au refus absolu de sa femme et de sa belle-famille. Or, comme il n’est marié que civilement, son mariage n’est pas reconnu par l’Église, et sa situation équivaut à celle d’un concubinage, qui a pour conséquence qu’il ne peut pas recevoir les sacrements de l’eucharistie et de la confession, et donc ne peut pas prendre part à une vie chrétienne et paroissiale ordinaire. Ses amis catholiques le pressent de faire un choix : s’il se dit bon chrétien, soit il oblige sa femme à se soumettre aux règles de l’Église, soit il vaut mieux la quitter. Il n’y a pas de troisième voie. Mais pour Péguy, le chantre de la solidarité, mais aussi de la liberté personnelle face aux dominations institutionnelles, forcer sa femme irait contre son idéal de la liberté, et la quitter contredirait la solidarité de destin qu’il a assumée dans sa jeunesse à son égard et à l’égard des enfants. Par ailleurs, il ne comprend pas que la foi puisse venir nier la nature : Comment l’irruption de la grâce pourrait-elle dénouer les nœuds sincères que les époux ont forgé dans le passé ?

Aussi préfère-t-il attendre, voir, prier, et attendre les indications de la grâce. Ne pouvant baptiser ses enfants, il les confie à la Marie : « mes petits ne sont pas baptisés, à la sainte Vierge de s’en occuper [13] », ce qui est commenté par Claudel : « je n’y comprends rien ! » À tous ces soubresauts, viendra s’ajouter une passion amoureuse pour une jeune admiratrice juive. Péguy ne tentera pas de la séduire et poussera la jeune femme à épouser quelqu’un d’autre. Mais cette épreuve, venue remplir la coupe déjà pleine, donne tout son sens aux vers que nous avons mis en exergue de notre conférence : « tant de coups de fortune et de coups de misère [14] ». Tant de coups fortune et tant de grâce dans la vie intérieure et dans l’écriture, et tant de coups de misère dans la vie personnelle. Il remercie son ange gardien de l’avoir retenu d’accomplir l’irréparable : « Ça ne pouvait plus durer. J’étais résolu à toutes les abdications. Eh bien, le mal que j’acceptais, au devant duquel j’allais, mon ange gardien l’écartait, tout simplement [15]. »

Ainsi, celui qui avait mis la communion au-dessus de tout se voit privé de la communion. Celui qui avait fait de la rupture de la solidarité le mal suprême se retrouvé coupé de la communauté paroissiale. Et pourtant il a affirmé que toutes ces épreuves « n’ont pas laïcisé ce cœur sacramentaire [16] ». Péguy est resté fermement attaché aux sacrements et continue à s’en nourrir bien qu’il en soit exclu. Bien plus, il s’attache, dans son œuvre, à en faire entendre « la mystérieuse musique », pour reprendre les mots de notre archevêque.

Voyons donc plus précisément son rapport aux sacrements en général, puis à certains sacrements en particulier.

2. Les deux familles de sacrements

Dès son retour à la foi, Péguy parle très vite des sacrements. Dans un écrit posthume intitulé Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle [commencé sans doute dès l’été 1909 et terminé en juin 1912], Péguy met en scène la muse de l’histoire, Clio, qui s’adresse à son âme charnelle. Cette expression oxymorique, qui unit en une seule formule âme et chair, autrement deux réalités que nous opposons habituellement, indique le proprement humain en l’homme : son âme reçoit ses caractéristiques de la chair, laquelle est composée de deux dimensions, le temps et l’espace. Aussi Jésus, au moment d’instituer les sacrements, les fait-il coïncider avec les propriétés temporelles et spatiales de l’âme charnelle humaine. Péguy médite ce grand mystère en présentant les sacrements comme une grande famille, à l’intérieur de laquelle se trouvent deux familles. Il opère en quelque sorte comme un bon maître d’école qui explique en opérant des distinctions, endossant peut-être, avec une pointe d’humour, l’habit de ses chers professeurs stagiaires de son enfance orléanaise [17].

Nous disons en effet « les sacrements » au pluriel. Et nous les connaissons, ils sont sept : eucharistie, confession, baptême, confirmation, ordre, mariage, onction des malades. Nous les considérons comme les sept frères d’une même famille. Mais regardons bien attentivement :

Il faut bien qu’il y ait ici deux familles particulières, de sacrements, dans la grande famille générale, puisque les deux premiers, le sacrement de nourriture (mystique et charnelle), et le sacrement de purgation, on recommande, on prescrit même, par des prescriptions (même canoniques) plus ou moins rigoureuses, de les multiplier. Au lieu que les cinq autres il est interdit de les (re)doubler même. […] Les deux premiers font une nourriture (le deuxième étant (devenu) préparatoire à la nourriture, préparatoire du premier), la nourriture mystique et charnelle. Les deux autres font les initiations, sont les initiations sacramentelles, font les initia, les commencements, successifs, et par suite s’échelonnent comme un emploi du temps de l’homme. Ils sont, ils font une sorte d’échelle irréversible de la vie (et de la mort).

Ainsi Péguy, à peine revenu à la foi, plonge dans le grand mystère du recoupement mystique entre la vie spirituelle catholique et la vie charnelle. Notre âme, comme notre corps, a besoin d’une nourriture. Et notre temporalité spirituelle, comme notre temporalité corporelle, est marquée par un « emploi du temps », par des stades qui forment « une échelle irréversible de la vie (et de la mort). On a :

« Le baptême qui fait, qui sanctionne, qui marque l’entrée, dans le christianisme même, dans tout le christianisme, dans la cité chrétienne, l’entrée dans l’état (de) chrétien ; la confirmation qui fait l’entrée dans le commerce avec le Saint-Esprit ; l’ordre qui fait l’entrée dans le ministère, dans l’état sacerdotal, dans l’état de prêtre ; le mariage qui fait l’entrée dans l’état de mariage ». Péguy ouvre alors une parenthèse assez amusante pour expliquer l’entrée dans l’état du mariage à partir de l’expérience des vrais bons chrétiens, qui sont symboliquement ceux du temps de la bonne Jeanne : « il est indéniable que pour le Français moyen de ce temps, pour le chrétien moyen, ordinaire de ce temps, bien ordinaire, le mariage était surtout un ménage, faisait surtout un ménage ; et qu’ainsi le sacrement de mariage fait surtout une mise en ménage ». Péguy termine l’ « extrême-onction, qui fait littéralement pour ainsi dire une entrée dans l’état de mort, une préparation unique, une entrée unique dans l’état de préparation à la mort et au jugement [18]. »

Ainsi la vie chrétienne en général, et la vie catholique en particulier, ne peut se penser sans la nourriture mystique sacramentelle et sans les rites de passage qui créent l’emploi du temps d’une existence.

Entrons à présent plus avant dans les différents sacrements.

3. Le mariage

Péguy présente le mariage dans les termes les plus simples, comme une mise en ménage. Sa vision de l’amour entre l’homme et la femme n’a rien des élans romantiques. Elle est très loin des passions des personnages de Claudel. Péguy insiste sur la dimension presque triviale de la vie quotidienne, les tâches domestiques, les repas, le travail et la prière. Le modèle auquel toutes les familles sont ordonnées est celui de la sainte famille. Il écrit :

Toute famille chrétienne a les yeux fixés sur la famille de Nazareth. Des milliers et des milliers de familles, chrétiennes, des centaines de milliers, des familles chrétiennes innombrables ont fait leur salut et gagné le ciel, ensemble, en famille, les yeux uniquement fixés sur la famille de Nazareth [19].

Ce regard porté sur la famille de Nazareth implique en premier lieu le choix de la fidélité. Péguy a un rapport difficile avec sa femme, mais il a imploré la grâce de demeurer fidèle, malgré les tentations diverses, même amoureuses. C’est une des raisons pour lesquelles il est allé à Chartres. Dans ses prières à la Vierge, revient toujours le motif de la fidélité. Péguy ne demande pas de changement miraculeux de la réalité, comme une transformation, voire une conversion de sa femme Charlotte, il demande simplement de tenir bon :

Régente de la mer et de l’illustre port
Nous ne demandons rien dans ces amendements
Reine que de garder sous vos commandements
Une fidélité plus forte que la mort [20].

Il identifie la fidélité à un honneur qu’il doit garder et aimer :

Par ce vieux tour de main, par cette même adresse,
Qui ne servira plus à courir le bonheur,
Puissions-nous, ô régente, au moins tenir l’honneur,
Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse [21].

Mais si la relation à son épouse devient si difficile depuis son retour à la foi, pour Péguy le mariage ne se résume pas au lien entre l’homme et la femme. Il y a aussi les enfants. Or, c’est précisément la décision de rester ferme dans la fidélité, malgré la dureté des relations sponsales, qui a permis au poète de découvrir la merveille de la tendresse paternelle et de pénétrer ainsi dans le cœur paternel de Dieu [22]. C’est comme si l’obstruction de la relation homme/femme avait ouvert en lui une autre dimension du mariage chrétien, celle du rapport père/enfant.

Péguy décrira-t-il ainsi avec une délicatesse merveilleuse le rapport de Joseph à Jésus :

… Jésus dans son berceau
 
Regarde saint Joseph et par espièglerie
Veut lui tirer la barbe et le vieux se récrie
Et fait semblant de mordre afin que l’enfant rie [23] ;

Il dépeint le rapport des mères à leurs filles :

Les armes de Jésus […] c’est la sourde tendresse
De la mère à la fille afin que reparaisse
En cette enfant naissante une même tendresse
 
Et dans le temps futur une même caresse
Et ce même regard et cette même tresse
Blonde qui fleurira [24].

C’est un rapport semblable qu’il a ses enfants, et dont il rend compte avec l’image inattendue du baiser du père à ses enfants, le soir, quand ils lui présentent « Le milieu des cheveux, la naissance, l’origine, le point d’origine des cheveux ». Cet extrait provient du Porche du mystère de la deuxième vertu, publié en octobre 1911 :

Pour eux le baiser du père c’est un jeu, un amusement, une cérémonie. […]
Ça leur est tellement dû.
Ils ont le cœur pur.
Ils reçoivent ça comme un morceau de pain.
Ils jouent, ils s’amusent de ça comme d’un morceau de pain.
Le baiser du père. C’est le pain de chaque jour. S’ils soupçonnaient ce que c’est pour le père.
Les malheureux. Mais ça ne les regarde pas.
Ils ont bien le temps de le savoir plus tard.
Ils trouvent seulement, quand leurs yeux rencontrent le regard du père.
Qu’il n’a pas l’air de s’amuser assez.
Dans la vie [25].

Ce regard plein de tendresse du père charnel sur ses enfants est comme projeté quelques mois plus tard, dans le cœur du Père éternel, qui regarde les enfants s’endormir. Cela se passe dans Le Mystère des saints Innocents (mars 1912). Dieu affirme s’y connaître en sainteté, il a vu les immenses sacrifices de ses saints, les martyres brûlés, des vies d’amour et de pénitence :

J’ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis
Je n’ai jamais vu de si drôle et par conséquent je ne connais rien de si beau dans le monde
Que cet enfant qui s’endort en faisant sa prière
(Que ce petit être qui s’endort de confiance)
Et qui mélange son « Notre Père » avec son « Je vous salue Marie ».
Rien n’est si beau, et c’est même un point
Où la Sainte Vierge est de mon avis
Là-dessus.
Et je peux bien dire que c’est le seul point où nous soyons du même avis.
Car généralement nous sommes d’un avis contraire,
Parce qu’elle est pour la miséricorde
Et moi il faut bien que je sois pour la justice [26].

Le Père du ciel a un cœur qui se laisse toucher par sa créature. Toujours dans les saints Innocents, Péguy rappelle cette étonnante parabole du fils prodigue qu’un jour Jésus inventa pour ses frères et cette prière du Notre Père qu’il leur enseigna pour ligoter les bras de la justice et délier les bras de la miséricorde :

Notre père qui êtes au cieux. […] Et à présent il faut que je les juge comme un père. Pour ce que ça peut juger, un père. Un homme avait deux fils.
Pour ce que c’est capable de juger. Un homme avait deux fils.
On sait assez comment un père juge. Il y a un exemple connu.
On sait assez comment le père a jugé le fils qui était parti et qui est revenu.
C’est encore le père qui pleurait le plus [27].

Ces mêmes larmes paternelles, Péguy les avaient illustrées l’année précédent, dans le Porche, en décrivant un pauvre bûcheron qui travaille au froid dans sa maison, et pense à ses enfants au chaud à la maison avec leur mère. Et puis il pense à ce qu’ils seront plus tard.

Il rit en pensant à la tête qu’ils feront.
Il rit en lui-même et peut-être même en dessus.
En dehors.
 
Quand il pense à la tête qu’ils feront quand ils auront de la barbe.
 
Et il pense avec tendresse à sa fille qui sera une si bonne ménagère.
Parce que sûrement elle sera comme sa mère. […]
 
Aussitôt le sang lui reflue au cœur. […]
Et la bise aigre. […]
Vient à présent lui glacer deux grosses larmes qui descendent bêtement sur ses joues [28].

Ces différents extraits nous montrent que le mariage de Péguy, malgré la relation difficile avec son épouse, comporte toujours une ouverture magnifique vers Dieu dans l’analogie de la paternité. Hans Urs von Balthasar a écrit à ce sujet : « Chez Péguy, cette expérience originaire [de la paternité] est peut-être même la plus profonde : non l’expérience de l’éros entre les époux, qui chez Bloy vagabonde sur des chemins tellement égarés, chez Claudel demeure dans des eaux troubles, chez Bernanos et Péguy fait presque complètement défaut (aucun des quatre n’a eu un mariage heureux), mais l’expérience de l’amour entre père et fils, qui deviendra pour lui l’accès terrestre pour monter dans le mystère intérieur de la Trinité [29]. »

Cela signifie que si le mariage est pour Péguy un lieu de communion avec Dieu, c’est moins dans le rapport à sa femme que dans la tendresse pour ses enfants. Il ouvre ainsi le sacrement à une méditation nouvelle. D’habitude, on souligne surtout l’analogie entre l’amour des époux et celui du Christ et de son Église, si bien qu’ils sont en communion avec Dieu du fait de l’imitation qu’ils vivent de l’amour sponsal entre le Sauveur et son Épouse. Mais lorsque cet amour entre époux fait défaut, parce que l’un des époux est mort, parti, ou simplement parce que la relation demeure douloureuse, alors reste toujours cet autre dimension, paternelle ou maternelle, qui demeure un lieu de communion avec la Trinité. Dans l’amour d’un père à ses enfants peut s’ouvrir un accès à l’amour du Père céleste pour son Fils éternel, et en lui pour chacun d’entre nous. Et ainsi le mariage, par le biais des enfants, peut-il se faire accès à la vie divine et intuition de ce que sont les relations trinitaires entre le Père et le Fils dans l’Esprit Saint.

Péguy n’a pas forcé sa femme à l’épouser à l’église. Il a patienté. Après sa mort, en 1925, Charlotte se fera baptiser catholique, avec Pierre et Germaine. Marcel avait choisi le baptême méthodiste l’année précédente. « Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage. »

Et lui-même a accepté de vivre sans sacrements. Mais quelque chose a eu lieu dans son dernier mois de vie. Mobilisé, il vit avec un aumônier militaire, un frère capucin non-prêtre, qui a rapporté la piété avec laquelle il a participé aux messes. Du 12 au 16 août, il est à Loupmont avec son régiment, dans la Meuse. On sait qu’il a participé à la messe du 15 août. La tradition dit qu’il se serait confessé et aurait communié. Le lendemain, il écrit à sa femme l’une de ses dernières lettres et lui confie : « je pense à vous sans une ombre et sans une hésitation » [30].

Trois semaines plus tard, il devait mourir aux portes de Paris, à Villeroy, près de Meaux, la veille de la bataille de la Marne, fauché dans un champ, expirant sur ces derniers mots : « Mon Dieu, mes enfants… ».

4. Baptême et communion eucharistique

Pour Péguy, le baptême marque l’entrée « dans la cité chrétienne ». Cette expression est un synonyme de communion des saints. Le baptême sanctionne l’entrée dans une communauté qui s’étend à tous les temps et à tous les lieux, ici-bas et dans l’au-delà. Nous percevons d’emblée comment la vie sacramentelle consiste en une entrée en communion. L’enfant ou l’adulte qui est baptisé est placé au point de croisement où l’ensemble de l’humanité sauvée par le Christ rencontre, en son Sauveur, le Dieu-Trinité. Mais le baptême est aussi le lieu indépassable du commencement, de la source première :

Et le baptême est le sacrement des petits.
Et le baptême est le sacrement le plus neuf.
Et le baptême est le sacrement qui commence. […]
Et le baptême est le sacrement du premier jour.
Et le baptême est tout ce qu’il y a de plus beau et de plus grand.
S’il n’y avait pas le sacrifice.
Et la consommation du corps de Notre-Seigneur [31].

Avec les expressions de « sacrifice » et de « consommation du corps de Notre-Seigneur », nous sommes à présent amenés à parler de l’eucharistie. Ce sacrement est celui qui occupe le plus de place dans l’œuvre de Péguy. Il en parle dès sa première œuvre chrétienne publique, Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910) dans laquelle il imagine les sentiments de la petite bergère le jour de sa première communion. Le poète les décrit à travers un dialogue fictif entre Jeannette et une religieuse franciscaine, Madame Gervaise, venue apaiser les angoisses de la petite croyante qui voit l’enfer redéborder de partout à cause des guerres, au point que son âme est envahie par le désespoir et par une détresse infinie et indicible. Le salut du Christ semble ne pas opérer, Dieu donne l’impression de s’être retiré du monde. Quelque chose ne fonctionne plus dans la chrétienté. Comment tant de bons chrétiens peuvent produire un tel état de damnation ? Madame Gervaise rappelle à la jeune fille tout ce qu’elle avait attendu de sa première communion :

Et je sais que la damnation va comme un flot montant où les âmes se noient.
Et je sais que ton âme est douloureuse à mort, quand tu vois l’éternelle, la croissante éternelle damnation des âmes [32]. […]
Un espoir te restait. Tu venais sur tes douze ans. Dans cette grande détresse tu attendais au moins, tu te disais qu’elle finirait bientôt, car tu approchais de la communication du corps de Notre-Seigneur, et tu touchais à la communication du corps de Notre-Seigneur, et la communication du corps de Notre-Seigneur guérit de tous les maux. […] À ton tour tu reçus pour la première fois le corps de Notre-Seigneur-Jésus-Christ. […] Et tu te retrouvas le soir ; et tu étais seule ; […] dans la même détresse ; mais […] elle était devenue infiniment pire, elle était devenue infinie ; elle était devenue autre ; car le plus grand médecin du monde était passé, et il n’y avait rien fait. […]
Enfin tu avais manqué ta première communion [33].

Mais un peu plus tard, Jeannette apprend que le Mont Saint-Michel, longtemps repris par les Anglais, a été libéré. La fillette sursaute de joie, son âme s’ouvre : tout est nouveau à ses yeux, la création est neuve, le monde est neuf, la prière est neuve, Dieu est neuf. Elle se prépare à vivre en quelque sorte sa véritable première communion et répète constamment : « Quelle bonne communion je vais faire demain matin [34] » :

Vous le savez, c’est entre nous, c’est demain que je vais faire ma vraie première communion [35].
Vous nous avez rendu la prière avec les sacrements [36].
C’est comme si vous nous aviez donné la naissance et la vie des sacrements une deuxième fois.
La naissance et la vie sacramentelle [37].
C’est comme si le salut coulait de vos mains fraîches, comme si la rédemption coulait toute vive de vos plaies [38].

Ces paroles révèlent en transparence la communion si bonne que Péguy aurait tant aimé faire. Lui aussi aimerait renaître à la vie intérieure et à la vie sacramentelle. Mais il patiente, et en attendant il médite le mystère salvifique qui se réalise à chaque fois que nous participons à la messe, que nous recevions ou non l’hostie sacrée.

Pour entrer dans ce mystère salvifique, il faut remonter au milieu du Le Mystère de la charité. Jeannette est restée longtemps en contemplation. Elle a médité le bonheur de tous ceux qui ont pu voir Jésus, l’écouter, manger à sa table. Et nous, nous sommes condamnés à n’avoir que des paroles rapportées. Ses dernières phrases confinent au désespoir : « Si vous étiez là, Dieu, ça ne se passerait tout de même pas comme ça. Ça ne se serait jamais passé comme ça [39]. » Elle veut dire par là que la guerre de cent ans n’aurait jamais eu lieu si Dieu avait été parmi nous comme il l’avait été en Palestine.

Mais voilà que Madame Gervaise entre inopinément en scène. « En vision à elles deux », elle annonce :

Il est là.
Il est là comme au premier jour.
Il est là comme au jour de sa mort.
Éternellement il est là parmi nous autant qu’au premier jour.
Éternellement tous les jours.
Il est là parmi nous dans tous les jours de son éternité.
 
Son corps, son même corps, pend sur la même croix ;
Ses yeux, ses mêmes yeux, tremblent des mêmes larmes ;
Son sang, son même sang, saigne des mêmes plaies ;
Son cœur, son même cœur, saigne du même amour.
 
Le même sacrifice fait couler le même sang [40].

Péguy insiste fortement : quand nous assistons à la messe, nous sommes en présence de « son même corps », de « ses mêmes yeux », de « son même sang », de « son même cœur », comme au Golgotha. « Il est là » avec la même réalité qu’il l’a été le jour de sa crucifixion. Cela signifie que la participation à la messe, avant d’être un précepte à accomplir pour être en règle, avant d’être un moment de bien-être spirituel individuel, est essentiellement une participation à la mort du Christ par amour pour les pécheurs.

Mais Péguy va plus loin. Nous ne sommes pas seulement présents à mort : nous touchons directement le corps de Jésus. C’est tout l’objet des dernières pages du Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle que nous avons cité tout à l’heure à propos des deux familles de sacrements. Clio se demande comment les chrétiens peuvent vivre, puisque chacun de leurs péchés atteint le corps de Jésus comme la lance romaine :

On se demande comment vous pouvez vivre. […] Ce chantage, de toujours vous mettre, à la moindre alerte, en présence du corps même de Jésus, du corps dans l’hostie, du corps sur la croix, qui est le même, en présence du supplice, en présence de la passion de Jésus. […] C’est Jésus que vous atteignez, Jésus que vous blessez, Jésus que vous lésez, Jésus que vous crucifiez. Par ce mécanisme le crucifiement, la crucifixion recommence éternellement dans le monde, perpétuellement éternellement. Elle recommence éternellement dans la messe. […] Aussi on se demande comment vous allez encore à la messe, comment vous osez, encore, aller à la messe, comment vous avez ce courage, ce triste courage [41].

Aller à la messe c’est remettre à mort Jésus par nos péchés, mais cet acte de mise à mort se transforme mystérieusement en communion. Tous nos péchés sont des fils qui nous relient à Jésus et nous relient les uns aux autres :

Des fils innombrables lient tout être à Jésus, à l’être de Jésus, à l’être Jésus. […] Voilà votre communion. Par des fils innombrables, par des fils invisibles, par des fils mystérieux, infiniment, éternellement mystérieux, tout est lié à tout, tous êtes liés tous ; et à tout. […] Le moindre péché, (et c’est si vite fait, mes frères ; c’est ce qu’il y a de plus facile à faire, de plus vite fait ; un instant), a un retentissement éternel [42].

Ainsi la participation à la messe est-elle une entrée dans ce qu’Adrienne von Speyr appelle « la communion des pécheurs » : nous tous, par notre péché individuel, sommes reliés entre nous au corps de Jésus que nous mettons à mort, et la communion est sans vides, totale et complète. Ceci signifie que la communion eucharistique commence bien avant la communion à l’hostie consacrée que l’on reçoit après la consécration. La communion a son point initial dans le fait d’avoir été reliés au Christ par nos péchés et d’être tous rattachés à son corps crucifié. Que nous puissions recevoir ou non l’hostie consacrée se trouve comme en second plan par rapport à cette union ontologique du pécheur avec son Sauveur, par le truchement de son péché individuel. On comprend donc comment Péguy a pu garder un lien vivant et fort à l’eucharistie bien qu’il n’ait pas pu se nourrir de l’hostie consacrée : pour lui l’eucharistie demeure une nourriture spirituelle dans la mesure où elle le met en présence du sacrifice réel du Christ au Golgotha, et ainsi le fait entrer dans la communion des pécheurs, qui est aussi communion des sauvés, communion des saints.

Aujourd’hui beaucoup de personnes qui ne peuvent recevoir la communion eucharistique assistent humblement à la messe dominicale, et se présentent devant le prêtre, les bras en croix sur la poitrine, pour demander une bénédiction. Au temps de Péguy, de telles pratiques n’avaient pas encore lieu. C’est pourquoi lui-même ne pratiquait pas. Pèlerin à Chartres, il pria dans la cathédrale, mais n’assista pas à la messe :

J’ai prié une heure dans la cathédrale, le samedi soir. J’ai prié une heure, le dimanche matin, avant la grand-messe. Je n’ai pas assisté à la grand-messe. J’avais peur de la foule [43].

Il n’allait donc pas à la messe, mais son cœur restait « sacramentaire » parce qu’il était profondément ancré à la réalité mystique qui s’actualise durant la messe : nous pécheurs sommes rattachés à lui qui « est là » comme il le fut sur le Golgotha.

Et comme Péguy est si sensible au « il est là » du Christ eucharistique, il reste aussi attaché au sacrement de l’eucharistie du fait de la présence réelle de Jésus dans le pain consacré. La litanie des « Il est là » traduit l’émerveillement du poète revenu à la foi : son Seigneur n’est pas seulement au ciel, il est aussi présent là, humblement, dans un simple tabernacle que la violence humaine peut détruire. Dans les saints Innocents, il nous invite à entrer dans les églises le cœur tourné vers le Seigneur présent et à oublier un peu nos propres péchés. Il cité l’exemple d’un pèlerin qui a longtemps marché dans des sentiers boueux. Quand il arrive au seuil de l’église, le marcheur se nettoie bien sûr les chaussures, mais :

Une fois qu’il est entré il ne pense plus toujours à ses pieds,
Il ne regarde plus toujours si ses pieds sont bien essuyés.
Il n’a plus de cœur, il n’a plus de regard, il n’a plus de voix
Que pour cet autel où le corps de Jésus
Et le souvenir et l’attente du corps de Jésus
Brille éternellement [44].

Cette image du pèlerin qui s’essuie les pieds correspond à notre examen de conscience : ne nous attardons pas trop sur nos misères le soir avant de dormir, mais après avoir fait notre examen, entrons dans la nuit comme le pèlerin qui s’achemine vers le tabernacle.

5. L’attitude de confession

Cette image de l’examen de conscience nous conduit au rapport de Péguy à la confession. Nous avons vu que sa situation matrimoniale lui empêchait de recevoir l’absolution sacramentelle. Mais le sacrement du pardon ne saurait se limiter au seul acte sacramentel entre le prêtre et le pénitent. Adrienne von Speyr, dans son livre intitulé La Confession, émet l’idée que la confession sacramentelle est enveloppée dans une attitude spirituelle d’ouverture qu’elle appelle attitude de confession et qu’elle voit à l’œuvre déjà entre les personnes de la Trinité :

Pour Dieu, c’est une béatitude que de se dévoiler devant Dieu. Bien sûr, le Dieu qui voit tout aurait la possibilité, humainement parlant, de voir même sans qu’on ne lui montre rien. Par exemple quand Dieu voit le péché́ de l’homme qui, comme Adam, se cache devant lui. Mais il y a en Dieu la béatitude de se montrer et la béatitude de voir ce qui est montré, la joie de la communication réciproque, qui comprend à la fois le fait de montrer et celui de recevoir ce qui est montré [45].

Si l’on regarde à présent la vie de Péguy, on ne peut manquer de voir en lui une véritable attitude de confession. C’est essentiellement lors de son pèlerinage à Chartres qu’elle se manifeste à nous. Il part le cœur lourd de peines, qu’il décrit dans ces vers immortels :

Étoile de la mer et de la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvant écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape
 
Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine [46].

Cette « lassitude » renvoie aux problèmes conjugaux, à son cœur amoureux d’une autre, à la maladie de son fils, et la « force pleine » à sa détermination à venir présenter tous ses problèmes à la Vierge à Chartres. Mais comme Adam dans le texte d’Adrienne von Speyr, il est soudain pris par la peur. Arrivé sur le plateau à quelques kilomètres de la cathédrale, son cœur chancelle :

Nous voici parvenu sur la haute terrasse
Où rien ne cache plus l’homme de devant Dieu,
Où nul déguisement ni du temps ni du lieu
Ne pourra nous sauver, Seigneur, de votre chasse [47].

Désormais, en présence de Marie, et comme lové dans son voile, la confession intérieure ne lui fait plus peur. Elle devient facile. Elle devient même une joie, de même que pour Dieu c’est une béatitude de s’ouvrir à lui-même. Les Prières dans la cathédrale témoignent de son attitude de confession en acte :

Ô reine voici donc après la longue route,
Avant de repartir par ce même chemin,
Le seul asile ouvert au creux de votre main,
Et le jardin secret où l’âme s’ouvre toute [48].

Par cette expression d’un « jardin secret où l’âme s’ouvre toute », Péguy fait écho à l’image traditionnelle de la Vierge comme « jardin secret », mais c’est un jardin qui n’est pas totalement fermé puisque lui, le pauvre pécheur et pèlerin, y a trouvé un accès, et comme lui chacun d’entre nous. En Marie nous sommes bien comme dans un beau jardin au printemps, et en elle « l’âme s’ouvre toute », non par force, par violence, mais tout naturellement :

Voici le lieu du monde où tout devient facile,
Le regret, le départ, même l’événement,
Et l’adieu temporaire et le détournement,
Le seul coin de la terre où tout devient docile, […]
 
C’est la révolte ici qui devient impossible,
Et ce qui se présente est la démission.
Et c’est l’effacement qui devient invincible,
Et tout n’est que bonjour et salutation [49].

C’est dans ces mêmes prières qu’il affirme n’avoir point laïcisé son « cœur sacramentaire » et qu’il invoque Marie comme « reine des sept douleurs et des sept sacrements [50]. » Le pèlerinage à Chartres de Péguy nous montre donc comment vivre la confession en dehors de l’acte sacramentel : comme attitude d’ouverture à Dieu, avec l’aide de la Vierge. C’est une attitude qui embrasse le moment sacramentel et à laquelle tout croyant est appelé, qu’il puisse ou non se confesser sacramentellement, et même, oserions-nous dire, qu’il soit chrétien ou d’une autre religion. S’il est vrai qu’en Dieu la plus grande béatitude est de se montrer, alors tout homme ne trouvera de béatitude plus grande qui ne soit celle de rester devant Dieu dans cette attitude d’ouverture, dans cette attitude de confession. Et mystérieusement, cette plus grande communion intérieure avec Dieu permet aussi, par surcroît, de surmonter les pires discordances humaines. « J’ai prié, mon vieux, comme jamais je n’ai prié », confie Péguy de retour de Chartres. « J’ai pu prier pour mes ennemis ; ça ne m’était jamais arrivé. Quand je dis ennemis, tu comprends bien que je ne parle pas des Laudet ; ceux-là je suis capable de prier pour eux tous les jours. Mais il y a certains ennemis, certaines qualités d’ennemis, s’il fallait prier pour eux en temps normal, immanquablement j’aurais une crise de foie ; non, mon foie ne me permettrait pas [51]. »

Conclusion : Sacrements et prière

La fin des sacrements est donc toujours la communion à Dieu et à autrui, et donc l’amour de Dieu et des frères. Cela permet de ne pas les absolutiser. Aux curés trop sacramentels – et par curés il pense aussi bien aux prêtres qu’aux croyants sûrs dans les règles, à ceux que Bernanos appelle les « bien-pensants » –, Péguy rappelle avec humour, et un peu d’agacement, qu’il y a aussi la prière. C’est elle qui lui a permis de tenir bon toutes ces années.

Ce qu’il y a d’embêtant, c’est qu’il faut se méfier des curés. Ils n’ont pas la foi, ou si peu. La foi, c’est chez les laïques qu’elle se trouve encore. Ils sont d’ailleurs très forts, les bougres. Comme ils ont l’administration des sacrements, ils laissent croire qu’il n’y a que les sacrements. Ils oublient de dire qu’il y a la prière et que la prière est au moins de moitié ! Les sacrements, la prière, ça fait deux. Ils tiennent les uns, mais nous disposons toujours de l’autre. Songe donc à ce que c’est qu’un signe de croix ! Se couvrir d’un signe de croix ! Quelle communion avec Jésus [52] !

Mais plus profondément, sacrement et prière ne sont pas deux moitiés qui se complètent. Dans l’esprit de Péguy, la prière est le climat au sein duquel le sacrement trouve sa vitalité. C’est la prière qui met la vie sacramentelle en mouvement, faute de quoi elle se réduit à des pratiques sèches pour nous rendre justes par nous-mêmes. Dans Le Mystère des saints Innocents, Péguy décrit le mouvement de la prière comme une immense flotte dirigée par la prière du Fils, qui attaque avec son Notre Père le cœur de Dieu. Nous avions commencé par nous décrire dans cette nef ecclésiale. Maintenant, voyez comment ce vaisseau où nous sommes s’apprête à larguer les amarres. Et voyez comment Dieu nous voit, voyez comment les prières embrassent tout, voyez comment les sacrements sont pris dans cet immense mouvement ! Et voyez l’inattendue dernière flotte qui suit celle des oraisons sacramentelles ! C’est Dieu le Père qui parle :

Il a bien su ce qu’il faisait ce jour-là, mon fils qui les aime tant.
Quand il a mis cette barrière entre eux et moi, Notre père qui êtes aux cieux, ces trois ou quatre mots. […]
Et à présent voici comme ils me paraissent ; voici comme je les vois ;
Voici comme je suis forcé de les voir.
De même que le sillage d’un beau vaisseau va en s’élargissant jusqu’à disparaître et se perdre.
Mais commence par une pointe, qui est la pointe même du vaisseau.
Ainsi le sillage immense des pécheurs s’élargit jusqu’à disparaître et se perdre
Mais il commence par une pointe, et c’est cette pointe qui vient vers moi.
Qui est tournée vers moi. […]
Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon fils. […]
Et cette pointe ce sont ces trois ou quatre mots : notre père qui êtes au cieux […].
Et à présent derrière lui pécheur se dérobe à ma face. Et voici comment je vois, voici comment je suis forcé de les voir. Voici comment je me représente ce cortège.
Chaque Pater est comme un vaisseau de haut bord
Qui a lui-même son propre éperon, notre père qui êtes aux cieux. […] Évidemment quand un homme a dit ça, il peut se cacher derrière. […]
Et derrière ces beaux vaisseaux de haut bord les Ave Maria
S’avancent comme des galères innocentes, comme de virginales birèmes.
Comme des vaisseaux plats, qui ne blessent point l’humilité de la mer. […]
De tous les vaisseaux ce sont les plus opportunes,
C’est-à-dire celles qui se présentent le plus directement devant le port.
 
Telle est la deuxième flotte, ce sont les prières de la Vierge. Et la troisième flotte ce sont les autres innombrables prières.
Toutes. Celles qui se disent à la messe et aux vêpres. Et au salut.
Et les prières des moines qui marquent toutes les heures du jour. Et les heures de la nuit.
Et le Benedicite qui se dit pour se mettre à table.
Devant une bonne soupière fumante.
Toutes, enfin toutes. Et il n’en reste plus.
 
Or je vois la quatrième flotte. Je vois la flotte invisible. Et ce sont toutes les prières qui ne sont pas même dites, les paroles qui ne sont pas prononcées.
Mais moi je les entends. Ces obscurs mouvements du cœur, les obscurs bons mouvements, les secrets bons mouvements.
Qui jaillissent inconsciemment et qui naissent et inconsciemment montent vers moi.
Celui qui en est le siège ne les aperçoit même pas. Il n’en sait rien, et il n’en est vraiment que le siège.
Mais moi je les recueille, dit Dieu, et je les compte et je les pèse.
Parce que je suis le juge secret [53].

Introduction à la conférence

Chaque dimanche, conférence à 16h30, prière à 17h15, vêpres à 17h45, messe à 18h30 à Saint-Germain l’Auxerrois.

Diffusion en direct sur KTO télévision et France Culture, en différé sur Radio Notre Dame.

[1Victor-Marie, comte Hugo, 23 octobre 1910, Premier cahier de la douzième série des Cahiers de la Quinzaine, in Charles Péguy, Œuvres en prose complètes, Tome III, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, Paris, 1992 (= PL. III), p. 234-236.

[2Le Mystère des saints Innocents, 24 mars 1912, Douzième cahier de la treizième série des Cahiers de la Quinzaine, in Charles Péguy, Œuvres poétiques et dramatiques, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, Paris, 2014 (= OPD), p. 883-886.

[3L’Argent, 16 février 1913, Sixième cahier de la quatorzième série des Cahiers de la Quinzaine, in PL. III, p. 790.

[4L’Argent, in PL. III, p. 804.

[5L’Argent, in PL. III, p. 805.

[6L’Argent, in PL. III, p. 792.

[7Cf. Marcel. Premier dialogue de la cité harmonieuse, 1898, in Œuvres en prose complètes, Tome I, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, Paris, 1987 (= PL I), p. 55-117.

[8Toujours de la grippe, 5 avril 1900, Septième cahier de la première série des Cahiers de la Quinzaine, in PL. I, p. 471.

[9Lettre du Provincial, 5 janvier 1900, Premier cahier de la première série des Cahiers de la Quinzaine, in PL. I, p. 291-292.

[10Charles Péguy, Nous sommes tous à la frontière, textes choisis par Hans Urs von Balthasar, Éditions Johannes Verlag, 2014.

[11Un nouveau théologien. M. Fernand Laudet, 24 septembre 1911, Deuxième cahier de la treizième série des Cahiers de la Quinzaine, in PL. III, p. 549-550.

[12Charles Péguy, Lettres et entretiens, 1927, entretien du 27 septembre 1912, p. 158.

[13Charles Péguy, Lettres et entretiens, 1927, entretien du 27 septembre 1912, p. 158.

[14Prière de déférence, 1913 [publication posthume, Pléiade de 1941], in OPD, p. 1164.

[15Charles Péguy, Lettres et entretiens, 1927, entretien du 27 septembre 1912, p. 159.

[16Prière de déférence, in OPD, p. 1164.

[17Notons au passage que toute l’œuvre de Péguy est scandée par des moments où il se fait en quelque sorte maître d’école et établit des distinctions pour que nous entendions bien le sens des mots, ou plutôt que nous comprenions en quels sens, au pluriel, un mot peut être entendu. Ainsi de la guerre et de la bataille et de la victoire : Péguy distingue « la catégorie des guerres livrées et des batailles données et des victoires gagnées à la frontière et la catégorie des guerres livrées et des batailles données et des malheureuses victoires gagnées au centre » (Note conjointe sur M. Descartes et sur la philosophie cartésienne, posthume, 1914, in PL. III, p. 1387). Une guerre contre un ennemi extérieur n’est pas de la même catégorie qu’une guerre contre un ennemi intérieur : la première « entre toujours dans la catégorie d’un certain bonheur », la seconde, qui est une guerre civile, « s’enfonce dans la catégorie d’un certain malheur ». Les mots ne sont donc pas univoques, et la tâche de l’écrivain, et du poète, et de nous aider à en pénétrer les différents sens. Il en est de même pour les saints, que nous englobons dans une même communion heureuse. Mais, explique le poète dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu, ici aussi avec un brin d’humour, en faisant parler Dieu :

Il ne fait aucun doute qu’il y a deux races de saints dans le ciel.
Deux sortes de saints.
(Heureusement qu’ils font bon ménage ensemble.) […]
Il y a deux extractions, ceux qui viennent des justes et ceux qui viennent des pécheurs.
Ceux qui n’ont jamais inspiré d’inquiétudes sérieuses
Et ceux qui ont inspiré une inquiétude
Mortelle (Le Porche du mystère de la deuxième vertu, in OPD, p. 717-718).

[18Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, in PL. III, p. 720-721.

[19Un nouveau théologien. M. Fernand Laudet, in PL. III, p. 413.

[20La Tapisserie de Notre Dame. Les Quatre prières dans la cathédrale, [11 mai 1913, Dixième cahier de la treizième série des Cahiers de la Quinzaine]. 2. Prière de Demande, in OPD, p. 1158

[21La Tapisserie de Notre Dame. Prière de Confidence, in OPD, p. 1159.

[22C’est la thèse défendue par Hans Urs von Balthasar dans Gloire II. Éventail de styles. 2. Styles laïques, Éditions Johannes Verlag, 2021, p. 482-483 : « C’est précisément cette dureté recherchée de plein gré et ce mépris totalement non kantien des propres tendresses qui obtiendra à Péguy la grâce de pénétrer, plus profondément que ne l’a jamais fait un poète chrétien, dans les mystères de tendresse du cœur de Dieu qui – plus intérieur au cœur humain que lui-même – est l’agapè la plus pure. »

[23La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc. Les Armes de Jésus, 1913, in OPD, p. 1089.

[24La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc. Les Armes de Jésus, in OPD, p. 1109.

[25Le Porche du mystère de la deuxième vertu, 22 octobre 1911, Quatrième cahier de la treizième série des Cahiers de la Quinzaine, in OPD, p. 660.

[26Le Mystère des saints Innocents, in OPD, p. 893.

[27Le Mystère des saints Innocents, in OPD, p. 798.

[28Le Porche du mystère de la deuxième vertu, in OPD, p. 646-647.

[29Hans Urs von Balthasar, Gloire II. Éventail de styles. 2. Styles laïques, p. 567.

[30Lettre du 16 août 1914. Voir http://www.charlespeguy.fr/news/145

[31Le Porche du mystère de la deuxième vertu, in OPD, p. 649.

[32Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, 16 janvier 1910, Sixième cahier de la onzième série des Cahiers de la quinzaine, in OPD, p. 450.

[33Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, in OPD, p. 454-456.

[34Pages retranchées du Mystère de la charité, in OPD, p. 604s.

[35Id., p. 606.

[36Id., p. 604.

[37Id., p. 605.

[38Id., p. 605.

[39Le Mystère de la charité, in OPD, p. 443-444.

[40Le Mystère de la charité, in OPD, p. 444.

[41Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, in PL. III, p. 777-778.

[42Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, in PL. III, p. 780-781.

[43Charles Péguy, Lettres et entretiens, 1927, entretien du 27 septembre 1912, p. 157-158.

[44Le Mystère des saints innocents, in OPD, p. 791.

[45Adrienne von Speyr, La Confession, Editions Johannes Verlag, 2016, p. 25.

[46La Tapisserie de Notre Dame. La Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres, in OPD, p. 1139-1140.

[47Id., p. 1145.].

La crainte de sa nudité devant le Dieu et l’ébranle et il se sent poursuivi par un juge inébranlable. Quelques vers plus loin il s’apaise, parce que la divine avocate apparaît :

Mais voici que c’est vous, reine de majesté.
Comment avons-nous pu nous laisser décevoir,
Et marcher devant vous sans vous apercevoir.
Nous serons donc toujours ce peuple inconcerté[[Id., p. 1145.

[48La Tapisserie de Notre Dame. Les Quatre prières dans la cathédrale. I. Prière de résidence, in OPD, p. 1150.

[49La Tapisserie de Notre Dame. Les Quatre prières dans la cathédrale. 1. Prière de résidence, in OPD, p. 1150. 1151.

[50Prière de déférence, in OPD, p. 1164.

[51Charles Péguy, Lettres et entretiens, 1927, entretien du 27 septembre 1912, p. 158.

[52Charles Péguy, Lettres et entretiens, 1927, entretien du 1er avril 1910, p. 138.

[53Le mystère des saints Innocents, in OPD, p. 797-798. 799. 800. 801. 806.

Carême 2024 – “La mystérieuse musique des sacrements. Littérature et spiritualité.”

Conférences