Texte de la conférence de carême de Notre-Dame de Paris du 21 février 2021
Le dimanche 21 février 2021, le père Guillaume de Menthière a donné sa première conférence du cycle 2021 sur le thème “L’homme périmé ? sauver le salut”.
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Texte de la conférence
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Les conférences seront publiées, avec les références et les notes, dans un livre aux éditions Parole et Silence.
L’homme périmé ?
Sauver le salut
« Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve », vous me permettrez de commencer par ce beau vers du poète Hölderlin les conférences de ce carême, car, en fait de catastrophes, j’ignore ce qui nous sera servi cette année mais je sens bien, inexorable, la montée des périls.
Souvenons-nous. Il y a deux ans l’incendie de Notre-Dame se déclenchait, ravageur, au lendemain de la dernière prédication de carême sur la Résurrection et le Chemin d’Emmaüs. L’an dernier la crise sanitaire frappait et le confinement imposait de finir à huis-clos le cycle des conférences sur l’Eglise. C’est ainsi, Monseigneur, que nous avons vécu ce paradoxe : alors que nous parlions de l’Eglise, l’Assemblée du Seigneur, nous n’étions qu’une poignée d’ecclésiastiques, seuls, perdus dans Saint-Germain-l’Auxerrois vide de fidèles…
Quand j’étais jeune vicaire, mon curé invitait avec humour ses ouailles à s’inscrire à la sortie paroissiale en disant : vous comprenez mes frères, un curé peut tout faire lui-même : il peut prêcher, gouverner, organiser, chanter, administrer… Il n’y a qu’une chose qu’un curé ne peut pas faire tout seul : la foule…Pas plus qu’un curé, un évêque, même méritant, ne peut être à lui tout seul la multitude, le peuple, l’assemblée.
Salut et confinement
Dieu merci cette année, des fidèles sont là, masqués, hydro-alcoolisés, distanciés, pyrocouverts, mais ils sont là ! Oserai-je dire que c’est pour nous les catholiques que l’épreuve du confinement fut la plus pénible ? Il y a des traditions religieuses qui peuvent aisément se vivre à domicile, des rites que ne perturbe pas la réclusion, des spiritualités qui s’accommodent de l’isolement. Mais le catholicisme, c’est l’anti-confinement par excellence. La religion de l’Incarnation exige le vis-à-vis, le coude à coude et la chaleur du contact. Elle vient rompre la distanciation, enlever les masques, faire tomber les barrières.
Un sociologue américain a même réalisé une étrange « géographie des contacts tactiles ». Il en ressort que c’est nettement dans les pays d’imprégnation catholique qu’on se touche le plus. Saint Thomas d’Aquin donnait déjà le toucher pour le plus humain et le plus chrétien des cinq sens. Toucher implique la réciprocité, le va-et-vient du « les uns les autres ». Je peux voir sans être vu, entendre sans être entendu, mais non toucher sans me laisser toucher. La main tendue du Christ, la caresse de la grâce, le contact sacramentel tout cela nous est essentiel.
Voilà pourquoi le Grand Diviseur se félicite de la situation. Satan le sait : le confinement, c’est la déconfiture des catholiques. Il se frotte les mains en contemplant narquois l’exact contrepied du plan de Dieu. Hélas ! Comme je l’entends résonner souvent l’immense « ça va » du diable si puissamment chanté par Jacques Brel : « ça fait des morts sans confessions, des confessions sans rémission, ça va ! » jubile Satan hilare. Vous rappelez-vous le dialogue du Seigneur et du diable, dans le Faust de Goethe ? Quand le Créateur interroge : Il n’y a donc d’après toi rien de bon sur la terre ? Méphisto répond satisfait : Rien, Seigneur, tout y va parfaitement mal comme toujours !
Le salut et les fins dernières
Et bien non ! Nous ne nous laisserons pas séduire par la voix du défaitisme de la torpeur et de l’avachissement. Nous ne subirons pas, tête basse, notre carême.
Il y a deux ans je vous présentais le carême non comme une morne suite de « jours sans » mais comme un chemin de jours « vers, avec, pour ». En 2019, nous demandant si nous allions quelque part, nous avons suivi un carême vers Pâques. En 2020 soucieux de savoir avec qui nous cheminions nous avons vécu un carême avec l’Eglise. Voulez-vous qu’en 2021, interrogeant quelle espérance nous fait marcher nous entreprenions un carême pour notre salut ?
C’est ce thème, en effet, du salut et des fins dernières, que vous m’avez proposé de traiter cette année, Monseigneur. Vous n’ignorez pas que depuis les années 1950, on ne parle plus guère de ces choses-là. Une sorte de conspiration du silence s’est abattue lourdement sur toutes les données de l’eschatologie chrétienne. Toutefois, il se pourrait bien qu’après une regrettable éclipse de quelques 70 ans, ce thème fasse de nos jours un retour fracassant. Je voudrais essayer de comprendre cette étonnante oscillation.
Omni-prégnance du salut
Souvenons-nous d’abord de la religion de nos aïeux. Ils trouvaient dans la perspective du salut, non pas seulement un sujet de méditation ou de discours mais la principale motivation de leur agir. Pourquoi un saint François Xavier parcourt-il le monde en prêchant l’Évangile, sinon pour apporter aux Peuples qui l’ignorent la Parole du salut ? Quelle consigne suprême saint Jean-Baptiste de La Salle donne-t-il aux maître des écoles chrétiennes sinon de « regarder le salut de leurs élèves comme leur propre affaire, pendant tout le temps qu’ils sont sous leur conduite » ? Pourquoi saint Vincent de Paul se met-il en peine de faire le catéchisme aux enfants pauvres sinon parce que le petit peuple se damne faute d’instruction ? Quel attrait irrésistible pousse au Carmel sainte Thérèse de Lisieux sinon la passion de sauver les âmes et surtout de prier pour les prêtres car par les prêtres beaucoup d’âmes pourront être sauvées ! Et les petits voyants de Fatima, la petite Jacintha, le petit Francisco, pourquoi dédaignent-ils désormais ces jeux et ces danses qu’ils aimaient tant, pourquoi s’imposent-ils des pénitences effroyables si peu proportionnées à leur jeune âge ? Pour qu’aucune âme ne tombe dans le feu de l’Enfer.
Une anecdote est bien révélatrice. On rapporte que le tout puissant cardinal de Richelieu pressa un jour Monsieur Vincent, en reconnaissance de ses grands mérites, de lui demander quelque importante faveur. Qu’allait demander le saint prêtre : quelques subsides pour les pauvres, l’élargissement des galériens, l’institution d’orphelinats ? Point du tout, la réponse du grand apôtre de la charité fusa, stupéfiante :
« Eminence, dit saint Vincent de Paul, veuillez donner des ordres pour qu’on remette des planches neuves à la charrette qui porte les condamnés à mort au lieu de leur supplice, afin que la crainte de tomber en chemin les détournant de recommander leur âme à Dieu, ne mette point en péril leur salut éternel ».
Subtilités
C’était comme cela que l’on parlait, que l’on pensait, que l’on agissait, non seulement au grand siècle des âmes mais, globalement, jusque dans les années 1950. Oh ! permettez-moi quelque nostalgie de ces temps où l’on pouvait prêcher simplement, appeler chat un chat et Rolet un fripon, où le plus humble des enfants du catéchisme savait qu’il y a un ciel et un enfer, qu’il fallait faire le bien pour prétendre au paradis et se garder du mal pour éviter la damnation…. On était armé pour la vie, n’est-ce pas, avec une telle feuille de route ! On ne se perdait pas dans des finasseries psychologisantes, on ne s’engluait pas dans une bouillie de bons sentiments, on ne coupait pas les cheveux en quatre. « Épaississez-moi un peu la religion qui s’évapore toute à force d’être subtilisée » écrivait Madame de Sévigné. Que dirait-elle aujourd’hui, cette bonne Marquise, alors que les concepts les plus trapus du christianisme ont presque tous volé en éclats ! Ils ont été volatilisés au ciel des idées neuves, délayés dans un émincé d’arguties, pulvérisés dans un brouillard dogmatique.
Au premier rang d’entre eux, la notion de salut avait, jusqu’à il y a peu, pratiquement disparu des écrans radars ? J’ai constaté moi-même cet étrange et néfaste évanouissement lors de séances de catéchisme. Pour les enfants le mot salut ne signifie pas autre chose que « bonjour » ou « au revoir ». La confusion est entretenue par le « Je vous salue Marie » aussi bien que par les bizarreries de la langue française : on se dit « salut » quand on « se sauve » !
Passe pour les enfants, mais pour la plupart des fidèles, tout le vocabulaire de la Rédemption, est devenu inintelligible, assimilé à quelques notions d’un archaïsme obscurantiste. On trouve souvent de nos jours, même chez les chrétiens les mieux disposés, un analphabétisme doctrinal qui rend inassimilable le cœur du message évangélique.
Temps nouveaux
Il y a une douzaine d’années, dans un ouvrage sur la Rédemption, je déplorais la disparition de cette notion dans les consciences chrétiennes. Mon éditeur m’en voudrait de dire que ce que j’écrivais alors est aujourd’hui périmé, et ce ne serait pas tout à fait exact. En revanche il faut bien reconnaître que des temps nouveaux se profilent qui pourrait bien nous faire sortir d’une certaine « nonchalance du salut ». On peut trouver, en effet, dans notre société telle qu’elle va trois raisons pour un réveil des consciences sur la question de fins dernières : le contexte sanitaire de pandémie ; la montée d’une idéologie verte ; les tentations prométhéennes de manipulations sur l’homme. Pour le dire vite : hygiénisme, écologisme, transhumanisme trois courants de pensés qui interrogent la question du salut et pourraient contribuer à une certaine réappropriation de la doctrine chrétienne.
Hygiénisme
L’hygiénisme tout d’abord. Depuis plus d’un an, la politique, l’information, l’économie et presque tous les domaines de la vie en société sont gouvernés par des impératifs sanitaires.
Chacun s’en souvient, durant des mois en 2020, nous étions en guerre, étrange guerre où les héros étaient ceux qui restaient calfeutrés chez eux et n’en bougeaient plus. Les armes de ce combat étaient le canapé, le téléviseur et les pantoufles. Je me suis découvert héroïque, j’ai sauvé des vies par mon courageux far niente. L’oisiveté, autrefois mère de tous les vices, était devenue la vertu citoyenne par excellence. L’impératif était de ne pas visiter les voisins, de ne pas assister les mourants, de ne pas se réunir pour chanter Dieu.
Une sorte de « Iatrocratie », de pouvoir des médecins s’est imposé sans coup férir. Cette primauté absolue de la santé interroge. Une société qui considère la vie biologique comme le bien suprême peut-elle survivre longtemps ? Quel sens peut avoir le sacrifice de nos martyrs, de nos résistants, de nos patriotes qui sont morts pour Dieu, pour la France, ou pour la Liberté, si la santé et le bien-être doit primer toute autre considération ? Le seul salut possible est-il de sauver sa peau ? Pourquoi serait-il indiscutable qu’il vaut mieux vivre deux ans isolé dans un EPADH que deux mois entouré de l’affection des siens ? Le fameux principe de précaution, inscrit désormais dans la Constitution, est-il cet empêchement de vivre vraiment pour ne pas risquer de mourir ?
Au moment du nouvel an, à l’issue d’une rave-party organisée en toute illégalité, un jeune teuffeur se posait des questions existentielles que ni l’alcool ni la drogue ni les décibels n’avaient suffi à résoudre. Le contrevenant déclarait fièrement à un gendarme impassible : nous, nous sommes prêts à mourir pour pouvoir vivre ! Cette improbable sentence souligne à quel point la crise sanitaire que nous traversons remet en avant des problématiques que l’on avait pu croire enfouies sous le consumérisme ambiant : qu’est-ce que vivre ? Est-ce que le but de la vie est de vivre ? Ne pas mourir est-ce la seule définition de la vie ?
L’art médical
A ce type de questions d’un autre ordre que le sien, la science ne peut ni ne doit répondre. Elle est légitime à signaler le risque accru d’une forme grave de COVID chez les personnes âgées, mais elle sort totalement de son rôle en dénonçant les petits-enfants qui visitent leurs grands parents comme des irresponsables voire des assassins ! Est-ce aux médecins de définir la morale ? Ils peuvent nous démontrer que porter un masque est une protection généralement utile contre l’épidémie mais non pas instituer l’impératif éthique d’en porter. Ce n’est pas aux médecins de s’ériger comme un nouveau clergé en définissant ce qui est bien ou mal. D’ailleurs que signifie cet adjectif « scientifique » dont ils se drapent sans cesse ? Auraient-ils renoncé à la subtilité de l’art médical dont la tâche est de soigner non un corps séparé mais une personne humaine rétive par nature à toute globalisation, à toute réduction numérique, à toute prévision. Il n’y a de science que de l’universel or chaque patient est un cas particulier.
Le Docteur Knock
Bien particuliers en tous cas sont ces étranges resquilleurs que l’on appelle des malades asymptomatiques, ceux qui portent le virus sans que rien ne le manifeste extérieurement. Ce sont un peu les chrétiens non-pratiquants de la médecine, ces catholiques asymptomatiques qui ne laissent rien paraître de la foi. Les porteurs sains ne pourront pas longtemps se dissimuler derrière leurs oxymores, tôt ou tard on les mettra au lit, comme tout le monde. Comme je revois Louis Jouvet, air pincé, binocle sur le nez, interprétant merveilleusement le Docteur Knock et déclarant :
— Vous me donnez un canton peuplé de quelques milliers d’individus neutres, indéterminés. Mon rôle c’est de les déterminer, de les amener à l’existence médicale. Je les mets au lit (…)
— Vous ne pouvez cependant pas mettre tout un canton au lit ! rétorque effaré le Docteur Parpalaid.
— Cela se discuterait… (…)
— Vous ne pensez qu’à la médecine, mais le reste ? Ne craignez-vous pas qu’en généralisant l’application de vos méthodes, on n’amène un certain ralentissement des autres activités sociales, dont plusieurs sont, malgré tout, intéressantes ?
— Cela ne me regarde pas. Moi je fais de la médecine », répond Knock, péremptoire, à son confrère.
Dès 1923, Jules Romain prophétisait le triomphe de la médecine. Mais presque un siècle plus tard, des mois de confinement ont suscité chez un grand nombre de nos contemporains des interrogations auxquelles la médecine ne répond pas et des anxiétés contre lesquelles elle ne peut rien. La voix grave qui chaque soir nous annonçait le nombre de morts de la journée, suscitait en nous - avec la joie dissimulée de n’être pas encore dans le décompte - l’angoisse de la grande faucheuse qui rôde et finira inéluctablement par nous emporter. La mort est-elle ce billet de retour pour le néant, la dissolution, la putréfaction… ? Ainsi à la faveur paradoxale d’un malheureux pangolin, la question de nos fins dernières est de retour.
L’écologisme
La nouvelle ferveur écologiste qui gagne nos sociétés réactualise elle aussi des thèmes qu’on croyait éculés C’est une ferveur proprement religieuse. On sait bien, en effet, que seule une religion peut changer radicalement la mentalité et le comportement des gens, ce qui est requis, nous dit-on, pour sauver la Terre, notre Maison commune. Tout le monde veut sauver la Planète, mais personne ne veut descendre la poubelle disait avec humour et réalisme Jean Yanne. Un changement de mode de vie suppose une motivation supérieure et transcendante. La conversion écologique doit donc soit trouver un appui dans les religions existantes soit, plus probablement, se substituer à elle.
Tri sélectif
En quelques années de propagande le discours écologique a imposé le tri sélectif, quelquefois fort complexe et contraignant, en ce qui concerne nos déchets. Un même effort ne pourrait-il s’opérer dans les bas-fonds de notre conscience ? L’évangile nous apprend un tri beaucoup plus simple et radical : il y a d’un côté Jésus-Christ et de l’autre tout le reste, tout ce qu’en comparaison l’apôtre ne craint pas d’appeler déchets, ordures, balayures (cf. Philippiens 3,8). L’écologie du Royaume implique que soit rejeté « ce qui ne vaut rien » c’est-à-dire, si l’on en croit saint Paul, ce qui est sans charité (cf 1 Corinthiens 13,2) sachant bien qu’un dernier tri sélectif, définitif, sera opéré par les anges sur les rives de l’éternité entre les bons et les méchants.
La Planète n’est pas une poubelle. Le Ciel non plus. Ici et là un discernement est à opérer entre ce qui est bon et ce qui est à rejeter. C’est ainsi que de vieilles notions comme le jugement, la responsabilité morale, la fin des temps, resurgissent étrangement de nos jours portées non plus par des clercs mais par des adolescentes nordiques qu’angoisse la disparition des phoques ou des chimpanzés, prémices et prophétie de notre propre disparition.
Collapsologie
Il faut avouer dans un premier temps que l’ambiance et les discours écologistes qu’on nous assène à longueur de journées ne sont pas des plus optimistes. C’est même ce qui est frappant. Quand j’étais jeune les idéologies avaient cours, libre cours, jusque dans les salles de classe et les préaux d’écoles. On y adhérait ou pas, mais elles avaient toutes quelque-chose d’enthousiasmant. Que ce soit le marxisme qui promettait le grand soir, ou l’existentialisme qui faisait miroiter la fascination de l’homme en projet, il y avait là un rêve, une utopie, une réelle envie d’aller de l’avant. C’était, sous des formes dévoyées, d’authentiques pensées de salut. Tout cela a été balayé et remplacé par des discours catastrophistes sur l’inexorable réchauffement climatique, la fonte des glaces, l’engloutissement programmé des continents, la disparition des espèces, l’épuisement des ressources de la terre… Rien de très folichon… On escompte au mieux une certaine sauvegarde, on ne parle plus de salut. On n’attend plus de lendemain qui chante, on a pour seul objectif de freiner un peu la décadence…
L’homme évincé
Il y a quelques années, les enfants du catéchisme, se demandaient comment concilier les données de la science sur l’évolution avec le récit biblique de la création. Aujourd’hui ce n’est plus l’origine du monde qui leur pose problème, mais sa fin. Est-ce que le soleil va s’éteindre ? la terre s’éclipser ? L’humanité disparaître comme tant d’autres espèces avant elle ? A l’aune géologique l’homme n’aura été qu’un bref intermède, sans plus de longévité que les dinosaures ou les aurochs. Autrefois on rabattait le caquet des prétentions humaines en rappelant que l’homme venait du singe. Aujourd’hui on l’humilie en prétendant qu’il va rejoindre bientôt les mammouths, les tyrannosaures, les anisodons et tant d’autres espèces disparues. Comme elles, il retournera au néant, bon débarras ! Et l’Univers, incommensurable, poursuivra sans lui, l’immense ballet de ces galaxies commencé, paraît-il, il y a quelques 13,5 milliards d’années ! Après tout devant sa créature pervertie, n’y eut-il pas un temps où Dieu, dit le texte biblique, s’est repenti d’avoir créé ? L’homme est-il meilleur aujourd’hui qu’au temps de Noé, n’est-il pas toujours aussi corrompu, définitivement irrémédiable ?
Peste verte
On ne se rend pas compte des dégâts que font dans de jeunes esprits cette propagande verte. Si l’écologie est une dimension nécessaire de notre être-au-monde, une tempérance vertueuse, l’écologisme, lui, dégénère rapidement en une idéologie terrifiante, profondément anti-humaniste. L’humanité n’est qu’une espèce parmi d’autres, sans prérogatives sur les loups, les lémuriens ou les rhinocéros pour faire allusion à Ionesco, ce lanceur d’alerte sur l’humanisme déchu. L’homme n’est-il pas le seul animal nuisible sur cette planète ? Ne faut-il pas supprimer ce prédateur insatiable ? Ne doit-on pas consoler la déesse Nature en lui offrant comme aux bons vieux temps des religions païennes quelques sacrifices humains ?
Combien de militants ne font-ils pas campagne pour défendre les ours en Alaska qui seraient prêts à tuer leur gros pollueur de voisin ! Ils ne veulent plus faire d’enfant pour préserver l’environnement et l’équilibre des espèces. C’est pourquoi les moyens artificiels de contraception, - si peu écologiques au demeurant- leur semblent devoir être promus voire imposés dans certains pays.
Cette idéologie verte s’apparente à l’exécrable hérésie des cathares qui promouvaient le mépris de la chair, le végétarisme, le refus de la natalité et la promotion du suicide assisté, ce qui n’excuse pas d’ailleurs les violences qui furent exercés contre ces zadistes du Moyen-âge. Loin des ébahissements des touristes du Languedoc, il faut le dire : le catharisme fut une secte d’épouvante. En vouant l’homme périmé au rebut, son héritier, l’écologisme, constitue le fer de lance de ce que Jean-Paul II appelait la culture de mort.
Le transhumanisme
Un autre courant de pensée traverse notre société qui paraît beaucoup plus positif. Il semble d’ailleurs prendre l’exact contrepied du précédent. L’homme que l’écologisme entend restreindre ou supprimer, le transhumanisme entend l’améliorer ou le dépasser. Il ne s’agit plus seulement de réparer le vivant, selon la visée thérapeutique traditionnelle de la médecine, mais de l’augmenter, de le modifier. Déjà dans certains sports, nous commençons à admirer moins les performances des athlètes que celles de leurs pharmaciens… A force de biotechnologies et de manipulations génétiques on parviendra sous peu à fabriquer des « enfants supérieurs », des « corps sans âge », des « âmes pleines de félicité ». Les verbes vieillir et mourir seront rayés du vocabulaire et ne subsisteront que comme les témoins surannés d’un monde disparu où l’on pouvait encore avoir des rhumatismes et s’inquiéter de sa fin. Durant des siècles les philosophes et les religieux ont cherché à perfectionner l’humain par la vertu, sans beaucoup de succès, avouons-le. Il s’agit désormais de le perfectionner par la technique, et là les progrès pourraient être fulgurants et vertigineux.
Un monde bizarre
Aujourd’hui des perspectives hallucinantes sont étalées dans la presse. Un milliardaire américain explique, par exemple, qu’on pourra bientôt en implantant une puce dans des parties bien précises du cerveau humain transférer sa mémoire sur un disque dur externe. Cela permettra sans doute de venir en aide aux personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, mais d’un autre coté il n’est pas très rassurant de savoir que tous mes souvenirs seront ainsi à disposition du moindre pirate informatique. Le milliardaire concède que la réalisation de cette externalisation mémorielle est à la fois excitante et inquiétante et il ajoute avec une naïveté touchante : « il se pourrait que notre avenir soit bizarre ». Bizarre, bizarre, vous avez dit bizarre, comme cela est bizarre, n’est-ce pas épouvantable qu’il faudrait dire en fait ?
L’avenir « bizarre » que le transhumanisme nous fait miroiter n’est pas un avenir de l’homme, ou pour l’homme, mais un avenir après l’homme. Plutôt que d’amener l’homme vers un au-delà, on recherche un au-delà de l’homme. Le transhumanisme est un posthumanisme. Il n’est donc aucunement un salut de l’homme, mais au contraire une affirmation de l’obsolescence de l’humanité et la prophétie de sa suppression inévitable…Comme l’étage inférieur d’une fusée la vieille humanité sera laissée sur place, phase transitoire et caduque, tandis que poursuivant sa course inexorable le progrès engendrera un être plus performant.
Hygiénisme, écologisme, transhumanisme : comme des serpents maléfiques, ces trois « ismes » insinuent leur venin d’angoisse dans nos esprits. Longtemps on a voulu nous faire croire que tout était sous contrôle. Que les politiques, les économistes, les scientifiques nous assureraient sous peu un avenir radieux. Cela ne prend plus, on ne veut plus se vouer à ces saints-là. Les palliatifs ne nous suffisent plus, il nous faut la solution de l’énigme, le dénouement de l’affaire, l’aboutissement du projet. Par delà les sauveteurs occasionnels, nous en appelons, sans trop oser y croire, à un Sauveur providentiel.
Six conférences
Bien sûr le christianisme n’a jamais cessé de désigner ce Sauveur attendu. Dans ces conférences nous devrons d’abord nous assurer que l’homme n’est pas irrémédiable, que la notion si vieillie de salut garde sa pertinence. Pour « sauver le salut », si j’ose dire, d’un oubli presque complet, nous suivrons l’antique chemin de l’Exode. Abrutis par le labeur, les esclaves hébreux furent sauvés par Dieu et par Moïse. Délivrés de Pharaon ils sortirent d’Egypte. Ils furent purifiés durant quarante années au désert, le Seigneur réparant en eux ce que des siècles de captivité avaient perverti. Ils s’établirent enfin dans cette Terre de la Promission dont tant de tribulations les avaient préparés à goûter la douceur. La grande geste biblique de l’Exode est une parabole de l’homme recherché, délivré, réparé, jugé, béatifié. Elle est la catéchèse la plus limpide sur les grandes questions que l’humanité, quelque change qu’elle paraisse donner, ne parvient jamais à esquiver : qui sauve ? de quoi sommes-nous sauvés ? qu’est-ce qui est sauvable ? en quoi consiste le salut ? qui en définitive sera sauvé ?
Trois D
Le temps est venu de présenter d’une manière nouvelle la doctrine chrétienne du salut. Il ne s’agit pas de revenir paresseusement à de vieux concepts. D’abord parce que les remises en cause ne sont pas simplement des obstacles à anéantir mais peuvent être aussi des tremplins pour penser plus avant et mieux. Mais aussi parce que le salut n’est pas seulement une doctrine sans quoi notre religion ne serait qu’une gnose de plus, de ces gnoses si fréquemment dénoncées par notre pape François. Ce n’est donc pas uniquement les notions qui doivent être précisés ou retravaillées, c’est toute notre existence qui est concernée. A l’encontre d’une plate doctrine, je voudrais construire pour le dire d’une manière imagée et mnémotechnique une sotériologie en 3 D. Le D du désir, le D de la Durée, le D de la destinée.
Désir
Le désir tout d’abord, celui qui est le fin mot de la Bible et qu’on entend vibrer dans le dernier verset du texte sacré : Amen viens Seigneur Jésus ! Qu’en est-il de nos propres désirs ? N’avons-nous pas laissé baisser le feu en nos cœurs assoupis ? Je repense souvent à Jacques Brel « ce soir j’attends Madeleine… ». Rien ne fait diminuer le désir, même après la fermeture du cinéma ou de chez Eugène, même après le dernier Tram 33… Demain il attendra Madeleine contre toute raison, contre toute apparence car Madeleine, c’est son Noël, c’est son espérance, c’est son Amérique à lui !
Je dors mais mon cœur veille dit la bien-aimée du Cantique. Car tant que le désir est vivace, la vigilance du cœur est assurée. Vigilance, vigilance nous dit-on de tous côtés, mais au-delà des vigilances oranges de nos météorologues, de nos politiques ou de nos assureurs, il y a la vigilance violette du carême, la vigilance de l’âme qui entretient en nous la flamme du désir.
Durée
C’est par votre persévérance, dit le Seigneur, que vous sauverez vos vies. Il ne suffit donc pas d’un christianisme épisodique : il faut durer ! Il faut durer ! voilà le difficile et le louable. Qui n’a pas un instant du moins rêvé d’être un bon chrétien, un saint peut-être, qui n’a pas au sortir d’une confession ou d’une retraite été dégoulinant de bonnes intentions, suintant de piété douce… nous avons un christianisme velléitaire, des vertus clignotantes, des éclairs de générosité, une foi en pointillé, nous sommes les hommes d’un instant, or il faut durer !
J’ai souvent rapporté les mots de cette paroissienne qui m’avouait : Mon Père il y a quelque chose qui ne va pas. Quand je travaille, je travaille. Quand je cuisine, je cuisine. Quand je mange, je mange, mais quand je prie…. je dors !
Hélas qui ne doit pareillement la confesser cette langueur ? Le temps passe et nous trottinons péniblement dans ce monde sans trop savoir où nous allons et pour quoi faire. La douleur de vivre nous a comme courbés sous son poids, nous ne voyons plus que nos gros souliers sur la terre ferme et nous avons perdu de vue du sommet.
Cimes disparues
C’est une vraie parabole de la vie humaine que celle du montagnard en route vers les cimes. Au mitan de la vie il n’aperçoit plus les pics de blancheur qui avaient été son émerveillement et la motivation de sa marche. Etait-ce si sûr d’ailleurs qu’il y eût un ciel ? Ces sommets enneigés qu’il n’apercevait plus désormais ne les avait-il pas rêvés dans sa jeunesse ? Devant lui plus rien que cette montagne abrupte à gravir avec des forces déclinantes. La foi seule pouvait lui certifier qu’au terme de son effort un spectacle somptueux l’attendait. Comme c’était difficile à croire, cela, au milieu de cet amas de pierrailles informes. Il faudrait l’approche du terme pour que la cime à nouveau se laissant entrevoir donne au vieillard comme une fougue renouvelée et une ferveur juvénile.
Je le constate en nombre des obsèques que je célèbre : cette histoire fut celle de la plupart de nos défunts. Leur famille me dit combien dans son enfance ce père aimé fut pieux. En ce temps-là, sans nul doute, il croyait au ciel. Puis il avait vu sa foi s’estomper chemin faisant dans les rigueurs de la vie. On ne l’avait plus vu à l’église depuis son mariage. Mais en ces derniers temps, sentant sa mort prochaine, il éprouvait à nouveau un regain de ferveur religieuse, comme si le ciel l’eût à nouveau happé par ses attraits.
Le défunt, comme tant d’autres, avait donc passé le plus clair de sa vie, sans savoir où il allait. Le terme de son aventure terrestre lui avait été masqué tout au long du chemin.
Destinée
« Quand un être atteint ce pour quoi il est fait, on dit qu’il est sauvé, quand il ne l’atteint pas, on dit qu’il est perdu". La définition du salut que donne Saint Thomas d’Aquin a le mérite de la simplicité et de la clarté. Le salut pour l’homme comme pour tout être c’est « d’atteindre ce pour quoi il est fait ». Or la Révélation nous enseigne que l’homme est fait pour Dieu. Voir Dieu et lui être semblable tel est le but de l’existence humaine. « Tu nous as faits pour Toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi »
Salut et vocation
Ce qui est en jeu dans la notion de salut au niveau le plus profond c’est la notion de destinée. Le jansénisme latent des siècles derniers a moralisé abusivement la notion de salut. Or le salut n’est pas d’abord une question morale de péché mais une question théologale de destin. Certes les deux dimensions sont liées, mais l’ordre a son importance. Dans l’ordre de l’intention c’est la fin qui est première. Ce qui est premier, ce qui est l’essentiel de la question du salut, c’est la vocation de l’homme à participer à la vie divine. Il ne s’agit pas seulement de sortir d’Egypte, mais surtout d’entrer en Terre Promise. Le Sauveur n’est pas simplement libérateur, médecin ou réparateur. Il est Pasteur, il conduit ses brebis jusqu’aux frais pâturages. Nous le verrons dimanche prochain, le Bon Pasteur est sortie à la recherche de l’humanité perdue.
Introduction par le père Guillaume de Menthière
Omniprésente dans la tradition chrétienne la prédication du salut a connu dans les dernières décennies une étrange éclipse. Or il se pourrait qu’elle revienne aujourd’hui en force à la faveur de facteurs nouveaux et d’idéologies en vogue. Il y a bien sûr l’hygiénisme ambiant auquel nous sommes soumis de bonne grâce ou malgré nous. Mais aussi la nouvelle ferveur écologique dont notre société est en proie. Et si l’univers lui aussi devait finir ? Et si l’homme devait être supprimé pour sauver la planète ? Les dinosaures et les mammouths ont disparu, ce sera bientôt à l’espèce humaine de s’éteindre, tout bonnement. Pourquoi faudrait-il redouter ce dépassement de l’homme ? L’idéologie transhumaniste nous fait miroiter une nature humaine augmentée munie de potentialités vraiment inouïes, et même pourquoi pas de l’immortalité. Que l’on prétende éliminer un être humain nuisible, ou le surmonter par les fascinantes biotechnologies, on s’oppose au dogme chrétien du salut. Mais celui-ci trouve dans ces oppositions une motivation à se redéfinir. Le salut n’est pas tant une question morale de péché, comme on l’a présenté souvent, qu’une question théologale de destin. Il ne se résume pas à sortir d’Égypte, il est d’abord attrait de la Terre Promise. Parler de salut en termes de désir, de durée et de destinée, ne serait-ce pas se donner plus de chances d’être entendus par nos contemporains ?