Grand âge : entre souffrance et mystère

Paris Notre-Dame du 17 février 2022

Le Dimanche de la santé s’est déroulé ce 13 février, dans un contexte particulier suite aux révélations du livre Les fossoyeurs, de Victor Castanet, qui expose des faits de maltraitance envers les personnes âgées résidant dans des Ehpad. Aude Momal, chef de projet de transformation de la pastorale de la Santé pour le diocèse de Paris, nous livre quelques réflexions sur la considération des aînés dans notre société.

Aude Momal est chef de projet de transformation de la pastorale de la Santé pour le diocèse de Paris.
© Priscilia de Selve

Paris Notre-Dame – Que révèle le scandale lié aux révélations du livre Les Fossoyeurs ?

Aude Momal – Je ne comprends pas qu’on puisse s’étonner de ce qu’on y lit. Tout cela est su depuis longtemps, on peut le constater dans la majorité des Ehpad : peu de personnels disponibles ou présents dans les couloirs, des temps de soin raccourcis, des repas non pris, des personnes déjà prêtes pour la nuit dès 16h… Loin de moi l’idée d’accuser les soignants : ils font ce qu’ils peuvent mais ils ne sont pas assez nombreux. Leur métier est sous-valorisé. Ce manque de moyens, qui entraîne de fait une forme de maltraitance, ce coût du maintien à domicile ou du placement en établissement, cette absence de loi grand âge, interrogent notre rapport aux aînés, la manière de les considérer, d’un point de vue sociétal et politique. Face à cet abandon collectif, un constat s’impose : il n’est pas possible que personne ne soit auprès de nos aînés pour leur tenir la main, les écouter, leur donner du temps gratuitement.

P. N.-D. – Vous parlez des aumôniers ?

A. M. – C’est effectivement tout le rôle des aumôniers, prêtres ou laïcs : ouvrir un espace d’écoute, à la fois auprès des résidents mais également des aidants et des soignants, eux aussi très éprouvés. Il ne s’agit ni de délivrer une parole dogmatique, ni de faire du prosélytisme. Mais nous sommes en présence d’une humanité souffrante, qui va mourir demain et qui se retrouve seule face à l’angoisse suprême qu’est la mort, dont nous croyons qu’elle est un continuum de la vie. On ne peut pas, dans ces derniers moments de vie, se contenter du geste technique. Il faut proposer un accompagnement spirituel qui permette de réunifier le corps et l’âme. Au cœur de ce corps souffrant – qui impose ses règles et ses limites – il y a toujours cette personne indépassable, unique, et projet d’un Dieu qui l’aime.

P. N.-D. – Comment expliquer cet abandon de la société et même, par certains aspects, des familles ?

A. M. – On voit bien comment la perspective de la mort, de la finitude, est gommée dans nos sociétés. En revanche, on valorise beaucoup celui qui entreprend, qui produit, ce qui, par ricochet, met totalement de côté les personnes blessées, diminuées, considérées comme inutiles à la productivité. Or la fraternité, c’est de découvrir et d’assumer notre dépendance aux autres, car cette dépendance, c’est ce qui permet de faire société. Concernant les familles, il faut aussi comprendre combien la visite à un proche – grabataire qui ne reconnaît plus personne ou qui ne parle plus – peut être douloureuse et interroger sur le sens de sa visite. Il y a là un mystère à accueillir, qui demande humilité et dénuement : être simplement là, sans être sûr d’un quelconque résultat, mais être là.

P. N.-D. – Le pape François exhorte souvent à considérer les personnes âgées comme un trésor. Comment définiriez-vous ce trésor ?

A. M. – Il y a cette phrase qui m’interpelle : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? » (Ps 8, 5). On touche ici au mystère de l’humanité. Chacun d’entre nous porte en lui une part du mystère divin, c’est l’essence même de la personne. Il y a ce trésor en chacun de nous. Pour les personnes en fin de vie, il y a aussi un trésor à découvrir dans la transmission. Relire sa vie, son histoire, c’est une manière de dire au revoir, de partir en paix et de laisser la paix à ceux qui restent.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

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