Homélie de Mgr Georges Pontier - Messe à Saint-Germain l’Auxerrois, Journée mémorielle pour les victimes de violences et agressions sexuelles et d’abus de pouvoir et de conscience au sein de l’Église

Saint-Germain l’Auxerrois (1er) - Dimanche 20 mars 2022

Un appel à la conversion

– 3e Dimanche de Carême – Année C

- Ex 3, 1-8a.10.13-15 ; Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11 ; 1 Co 10, 1-6.10-12 ; Lc 13, 1-9

En ce troisième dimanche de carême, l’Église qui est en France invite à prier de manière toute particulière et fraternelle pour les personnes victimes d’abus de pouvoir, de conscience ou sexuels commis à leur égard par des personnes consacrées, durant ces dernières décennies particulièrement. Sur le chemin du carême, la liturgie de ce dimanche nous invite à la conversion : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Cet appel du Christ à la conversion interroge nos chemins individuels mais aussi notre vie ecclésiale, alourdie par les péchés personnels de ses membres. Nous l’avons douloureusement ressenti au moment de la révélation de ces drames vécus par les personnes victimes de ces abus durant tant d’années sans que les responsables de l’Église et souvent leur famille elle-même, ne permettent pas par leur manque de compassion et d’écoute que leur cri soit entendu.

Un des premiers moments de la conversion n’est-il pas d’entendre les personnes victimes de nos péchés, de nos erreurs, de nos fautes ? La première lecture de ce jour, celle du livre de l’Exode, nous relatait cette rencontre mystérieuse du buisson ardent entre Dieu et Moïse. Et le Seigneur de dire à Moïse : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, j’ai connu ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel. » Il est descendu pour libérer et sauver. Et nous lui rendons grâce pour avoir ouvert les oreilles et le cœur des responsables de l’Église pour qu’ils entendent enfin le cri poussé par des victimes courageuses et libérées. Nous le supplions pour que cette écoute ne faiblisse pas, qu’elle soit à l’image de la sienne, pleine d’engagement, de vérité, de constance. Ce que désirent les personnes victimes, c’est bien cette écoute et cette reconnaissance des blessures profondes et indicibles qu’ont produit en elles ces actes criminels commis par des personnes censées représenter l’œuvre de Dieu, sa bonté, sa tendresse. Cela nous ramène aux propos les plus durs de Jésus dans l’évangile adressés aux scribes et aux pharisiens, qualifiés d’hypocrites, d’insensés, de guides aveugles. Les auteurs de tels actes ne voyaient pas derrière le visage de leurs victimes cette terre sainte, comme dit le Seigneur à Moïse, terre sacrée parce qu’habitée par la présence de Dieu, par la présence de Celui qui dira encore : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » Drame de l’aveuglement des uns et de la vie brisée des autres. Telle est bien la réalité de la vie humaine quand on se sert des autres au lieu de les servir. Et combien cela est-il aggravé encore quand cela se passe au sein de l’Église.

À Lourdes désormais est gravée la mémoire de cette souffrance sur le visage d’un enfant sur lequel coulent des larmes de détresse, d’abandon, des larmes de mort. Puissent ces larmes ne jamais être oubliées, encore moins relativisées. Que ceux qui seraient tentés de le faire se rappellent le conseil de Paul entendu dans la seconde lecture : « Celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber. » Ce n’est pas notre orgueil ni l’illusion du pouvoir qui nous rendent solides, mais notre compassion, notre attention aux autres et la grâce infinie du Seigneur. Comment ne pas le remercier pour cette grâce qui a guéri la surdité de l’Église à l’égard de la souffrance des personnes victimes. D’une manière mystérieuse et que lui seul connait, le Seigneur a soutenu le chemin douloureux de ceux qui ont souffert pour garder allumée en leur cœur une petite lumière, celle de sa fidélité et de son soutien, celle de sa tendresse et de son amour. Que Marie accompagne les personnes victimes et qu’elle accompagne l’Église en ce temps pour qu’elle soit une mère douce et bienveillante et non une marâtre insensible, sourde ou aveugle.

Dans quelques semaines nous célébrerons la Pâque, celle du Christ, celle qui ouvre le chemin de la vie au-delà de la mort, celle de la vie nouvelle dont nous sommes appelés à être les témoins humbles, résolus, fraternels, remplis de l’espérance qui ne trompe pas. Ne gâchons pas le temps que le maitre du domaine laisse à son arbre pour porter du fruit, celui qu’il attend, un fruit de fraternité et de bonté.

+Georges Pontier, administrateur apostolique de Paris.

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