Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Marcel
Dimanche 26 janvier 2025 - Saint-Marcel (13e)
– 3e dimanche du Temps ordinaire – Année C
- Ne 8,2-4a.5-6.8-10 ; Ps 18B, 8-10.15 ; 1 Co 12,12-30 ; Lc 1,1-4 et 4, 14-21
Nous avons plutôt l’habitude de prêcher debout mais Jésus prêchait assis. C’est ce que nous entendons à l’instant dans ce récit. Là n’est pas le plus important mais cela dit qu’il y a des adaptations dans la vie et probablement que, dans la synagogue dans laquelle Jésus parle, il y a une toute petite assemblée. Il ne faut pas oublier cela : ce qui est annoncé à peu de monde nous avons - par un mystère qui tient à la volonté de Dieu - la chance de l’entendre aujourd’hui et des centaines de millions de personnes peuvent l’entendre aujourd’hui. C’est le mystère de la transmission de la Parole de Dieu de siècle en siècle. Et cela part de ce que les évangélistes ont voulu faire en rapportant les événements qui concernent Jésus.
L’introduction de l’Évangile de saint Luc, que nous entendons ce matin, est particulièrement importante pour dire ce que sont les Évangiles au regard de la vie chrétienne, au regard de nos communautés, au regard de l’Église tout entière et du monde. Pourquoi l’évangéliste Luc a-t-il écrit ce récit, comme d’autres l’ont fait aussi, puisque nous avons trois autres versions de l’Évangile, sans compter tous ceux qui avaient écrit des évangiles qui n’ont pas été retenus parce qu’ils ne proposaient pas la foi juste ? Non pas pour faire une histoire, non pas pour faire une biographie de Jésus, mais vraiment pour qu’il soit perçu, comme il dit à Théophile : « Que ce que tu as entendu, les enseignements que tu as reçus, sont exacts, sont vraiment précieux et ils sont faits pour te faire grandir dans la foi. Ils ne sont pas faits pour te raconter précisément l’emploi du temps de Jésus et faire sa biographie, mais pour que tu comprennes ce que tu as entendu vraiment. »
Et, en effet, l’Évangile est une annonce du Salut en Jésus. Ce que l’évangéliste a voulu dire est parfaitement illustré par le deuxième passage de cet évangile qui concerne la prédication de Jésus à Nazareth, ce qu’il a voulu dire à ceux qui l’écoutaient. Et il a ainsi voulu se montrer comme celui qui accomplit les promesses que Dieu a faites depuis les débuts de l’annonce de la Bonne Nouvelle de sa miséricorde. Ce qui se remarque dans l’évangile que nous venons d’entendre, c’est que l’annonce de la Parole de Dieu, par Jésus lui-même, est une annonce qui est déjà en train de se réaliser. La personne même de Jésus est le Salut, ceux qui sont avec Jésus, ceux qui l’écoutent, ceux qui veulent mettre en pratique ce qu’il dit, ceux qui le suivent - et nous en sommes - ceux-là sont déjà sauvés, sont déjà ceux qui reçoivent la promesse du Salut qui commence à se réaliser. En effet, l’évangile dit, citant le prophète, citant une parole de l’Écriture ancienne : « L’Esprit du Seigneur est sur moi ». Et c’est là-dessus que Jésus dit : « Aujourd’hui cette parole s’accomplit ». Ce que, dans l’Écriture, vous avez appris, c’est en train de se réaliser, parce que je suis là au milieu de vous », dit-il. Et on comprend que cette parole peut ne pas faire plaisir à ceux qui sont des observants de l’Écriture ancienne et qui disent : « Ce n’est pas possible qu’un homme prétende qu’il est Dieu, qu’il est celui qui réalise parfaitement l’œuvre de Dieu, c’est insupportable, nous ne pouvons pas l’entendre. » Mais pourtant nous entendons Jésus le dire.
Et les premiers effets de l’annonce de la Bonne Nouvelle, c’est que les pauvres n’en sont pas exclus. Il y a tellement de promesses et de paroles qui sont dites dans le monde, qui n’ont l’air de s’appliquer qu’à ceux qui ont reçu une bonne éducation, à ceux qui ont de la culture, à ceux qui ont des richesses personnelles, des richesses mondaines. Mais là, Jésus dit, suivant la parole du prophète : « Les pauvres sont évangélisés, personne n’est exclu de cette annonce. » Et nous comprenons que c’est donc pour nous un devoir de nous tourner vers ceux qui, en général, ne reçoivent pas les bonnes nouvelles.
Les captifs, on leur annonce une libération, le fait qu’ils soient libérés. Peut-être que dans l’actualité nous pouvons penser à ceux qui, ces jours-ci, sont libérés de leur situation d’otages, ceux qui sont libérés : cela se passe actuellement en Israël et en Palestine, mais cela se passe aussi dans beaucoup d’endroits du monde. Tout d’un coup, des personnes qui ont été prises, et notamment prises injustement, reçoivent l’annonce d’une libération. Mais c’est plus profond que cela encore. Car il y a des hommes et des femmes qui sont retenus injustement ou qui se sont laissés prendre parfois par des addictions : les voilà sur le chemin d’une libération parce que la Parole de Jésus les a touchés, ils se savent libres. Ils se savent sur un chemin de liberté et de libération parce que Jésus est dans leur cœur. Les aveugles, dit la Parole, retrouveront la vue. Et voilà quelque chose qui peut aussi nous consoler et nous ouvrir le cœur : savoir que nous pouvons apprendre à voir les beautés, les merveilles que Dieu fait dans le cœur des hommes. En effet, les aveugles que nous sommes peuvent toujours se contenter d’être simplement désolés des situations du monde et oublieux de regarder que le Seigneur agit dans les cœurs, car il est capable de transformer les situations vécues.
Et puis, enfin, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Eh bien, voilà que tout spécialement cette année, année jubilaire, nous sommes invités à être au milieu du monde des pèlerins d’espérance. C’est tous les ans qu’il faut vivre cela bien sûr. C’est tous les ans que nous pouvons le vivre. Mais voilà, l’Église dans sa sagesse a pris l’habitude, tous les 25 ans, de nous aider à vivre profondément cette annonce du Salut en Jésus et de nous renouveler. Le Pape François nous a donné cette indication au début de cette année en nous disant : « Devenez des pèlerins d’Espérance, n’oubliez pas que le Salut que Dieu vous annonce à travers Jésus, Dieu fait homme, fait de vous des hommes et des femmes capables d’annoncer au monde qu’il y a une espérance dans la vie des personnes et dans la vie du monde. »
Voilà ce que nous retenons de cette annonce de Jésus quand il dit : « Le Salut est bien arrivé au milieu de vous parce que je suis là. » Mais déjà l’annonce de la Parole de Dieu dans les temps anciens portait du fruit. Dans la première lecture, tirée du Livre de Néhémie - dont nous apprenons en cours de lecture qu’il était gouverneur le Peuple de Dieu, après bien des malheurs qui lui étaient arrivés - et peu importe l’époque ou les circonstances parce que c’est arrivé de nombreuses fois - réentend la Parole de Dieu, comme si elle était toute neuve. Le prêtre Esdras, et le gouverneur, disent qu’ils ont retrouvé, dans un coin du temple, le rouleau de la Parole de Dieu qu’on avait oublié. Alors que ce soit vrai ou que ce soit une parabole, une façon de s’exprimer, cela n’a pas d’importance. Ils relisent la Parole de Dieu devant tout le peuple, ils sont heureux de pouvoir la dire et de dire : « Nous venons de subir des malheurs mais il y a un grand bonheur, c’est que nous avons retrouvé le goût de la Parole de Dieu. » Et le peuple tout entier l’entend, et se dit : « Mais c’est nouveau cela, on l’avait totalement oublié. » Et le peuple se réjouit. L’annonce de la Parole de Dieu, la transmission de la Parole de Dieu, la lecture de la Parole de Dieu, la proclamation de la Parole de Dieu, c’est une joie pour nous. Écouter ce que dit le Seigneur, cela suscite dans le peuple de Dieu une grande joie, et une joie telle qu’il faut la partager, qu’il faut faire une fête et dire à ceux qui ne sont pas venus : « Je réserve quelque chose pour toi de cette parole, je t’apporte quelque chose à manger, je te donne la joie d’écouter la Parole de Dieu, partage-la avec moi. » C’était la fin du passage que nous venons de lire du livre de Néhémie et de l’annonce de la Parole de Dieu par le prêtre Esdras.
C’est une grande joie d’écouter la Parole de Dieu et de la faire grandir en nous.
Et puis, dans la Lettre de saint Paul aux Corinthiens, que nous venons de lire, nous comprenons que le fruit de la Parole de Dieu c’est de faire de ceux qui l’écoutent un peuple, et mieux qu’un peuple : un corps uni, un corps dans lequel chaque membre a sa place, un corps bien vivant qui est le Corps du Christ. Parce que nous écoutons la Parole de Dieu, nous devenons le Corps du Christ, nous devenons des membres de son Corps et chacun en a besoin, et chacun peut se rendre utile et chacun peut croire qu’il a une vraie vocation dans le peuple de Dieu, dans le Corps du Christ. Voilà la bonne nouvelle que nous entendons : nous rassembler pour écouter la Parole fait de nous le Corps du Christ vivant au milieu des hommes et des femmes que nous côtoyons.
Nous comprenons que la semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, que nous venons de vivre et qui s’est achevée hier, dit cette joie. Protestants, orthodoxes, catholiques, évangéliques, nous savons que nous faisons partie du même corps. Nous regrettons qu’il y ait eu dans l’histoire des séparations, des divisions qui perdurent, et nous cherchons à marcher vers le Christ qui fait de nous son Corps. Nous cherchons à marcher les uns vers les autres. Il y a eu de la désunion dans les disciples du Seigneur, mais il y a un vrai désir d’unité.
Alors, dans une vie paroissiale, dont j’ai compris, par ce qu’on m’a rapporté, qu’elle était vivante et animée par beaucoup d’associations et beaucoup d’initiatives, ne perdons pas l’objectif final. L’objectif, c’est bien que nous devenions tous un corps, le Corps du Christ qui annonce à tous le Salut, ainsi que le prophète l’avait décrit dans ce passage qui est cité dans l’Évangile de saint Luc.
Que le Seigneur soit avec vous tous, paroissiens de Saint-Marcel, pour faire grandir en vous le désir d’être le Corps du Christ vivant et annonçant le Salut.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris