Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à la Maison Saint-Augustin
Vendredi 27 juin 2025 - Maison Saint-Augustin (12e)
– Solennité du Sacré-Cœur de Jésus – Année C
- Ez 34, 11-16 ; Ps 22, 1-6 ; Rm 5, 5b-11 ; Lc 15, 3-7
En premier lieu, je vais faire quelque chose que je ne devrais pas ! C’est-à-dire contester le choix de la césure du texte qui nous est proposé en deuxième lecture : « Frère, l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné », c’est la deuxième partie du verset 5 du chapitre 5 de la Lettre aux Romains. La première partie, nous la connaissons bien en cette année jubilaire : « L’espérance ne déçoit pas car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » Nous ne pouvons pas, en cette année de l’espérance, oublier cette première partie du verset 5 : « L’espérance ne déçoit pas. » Parce qu’en réalité la grande partie de ce texte est une explication de cela : l’espérance que nous mettons dans l’amour de Dieu qui a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint, cette espérance-là ne peut pas nous décevoir. Elle signifie que l’amour de Dieu est toujours prêt à venir à notre secours et que, se manifestant en Jésus-Christ qui donne sa vie, qui donne tout son cœur, cet amour de Dieu est toujours tout proche de nous et capable de nous repêcher, de nous rechercher quand nous nous laissons aller à notre péché, quand nous nous laissons aller à nos ténèbres, quand nous nous laissons aller à nos désespoirs de ne pas être, comme nous voudrions, à l’image du Christ.
Cette espérance-là ne peut pas cesser de nous habiter. L’amour de Dieu nous a été donné et il fournit en nos cœurs une capacité d’espérer formidablement, jour après jour, quelles que soient les raisons que nous aurions d’en douter, quelles que soient les faiblesses et les fragilités qui nous font retomber, quelles que soient nos incapacités à rester durablement dans un amour qui nous est donné. N’oublions donc pas que cette espérance-là est faite pour nous relever en permanence, quelles que soient les situations que nous traversons. Au terme d’une année comme celle que vous venez de vivre dans cette maison Saint-Augustin, je pense que vous êtes passés par différents moments, des hauts et des bas, des inquiétudes sur votre vocation, des interrogations, peut-être des découragements, et l’espérance vous a été donnée tout au long de ces journées. Vous venez de vivre une grande retraite, elle vous a fait passer par des hauts et des bas, mais c’est l’espérance qui vous a maintenus. Quelle que soit l’issue, l’amour de Dieu vous fait progresser de façon ou d’autre, suivant des plans que vous aviez en tête ou suivant d’autres plans que le Seigneur semble y mettre : tout cela, c’est le moment d’en rendre grâce.
La deuxième chose que je voudrais dire est relative à la correspondance de la première lecture et de l’évangile. Si Jésus utilise, dans l’évangile, cette parabole de la brebis perdue, nous savons bien que c’est une thématique qui court dans l’Ancien Testament et que nous voyons à travers ce que nous avons entendu du prophète Ezéchiel. Et cela nous fait comprendre quelque chose de l’évangile que nous venons d’entendre. Nous entendons que le pasteur des brebis, s’il en perd une abandonne les autres, mais la lecture d’Ezéchiel nous fait comprendre qu’en réalité le vrai pasteur, Dieu lui-même, n’abandonne aucune de ses brebis : il n’en n’abandonne pas 99 pour en récupérer une centième, il est là encore avec elles. Il ne manque pas de se souvenir, quand il est à la recherche de la centième, des 99 autres qu’il n’a pas d’autre désir que de sauver aussi. Il n’a pas d’autre désir que de les mener sur les bons pâturages ; il n’a pas d’autre désir que de mener tout son troupeau. Cela aussi est une source d’espérance considérable.
C’est, je crois me souvenir, un Palestinien qui m’avait dit : « Un pasteur palestinien n’aurait pas abandonné 99 brebis, il serait parti à la recherche de la centième avec les 99. D’abord parce que, les 99 étant là, elles auraient manifesté leur présence qui aurait été rassurante pour la centième qui est perdue. Par conséquent, pour la retrouver, les 99 auraient été bien nécessaires. » Cela veut dire que, nous-mêmes, nous sommes capables d’être avec le Seigneur à la recherche des autres, et c’est lui qui veille de bout en bout avec nous, mais c’est lui d’abord qui veille sur l’unité de son troupeau, c’est lui qui veille à ce que personne ne se perde.
Nous voici à la fois extrêmement rassurés et en même temps appelés. Quelles que soient les situations, le Seigneur ne cherche pas autre chose qu’à veiller sur nous.
Et enfin, la troisième chose c’est la très belle encyclique du pape François, au mois d’octobre dernier, sur le Sacré-Cœur : « Il nous a aimés (Dilexit nos) d’un profond amour qui nous sauve. » Devant vous qui venez de passer cette année à la Maison Saint-Augustin, je veux faire référence à une citation que le pape François fait vers la fin de son texte, citation de saint Charles de Foucauld et de l’abbé Huvelin, son directeur spirituel. L’abbé Huvelin dit, selon le pape François - c’est là que je l’ai découvert - que quand le Seigneur remplit le cœur de quelqu’un de son amour, il l’incline à être attentif aux plus petits et aux plus pauvres. Et l’abbé Huvelin confirmait ainsi une attention de saint Vincent de Paul que le pape François cite également. C’est quelque chose qui nous reste de si fort, toute cette méditation sur le cœur de Jésus qui se donne, qui se donne jusqu’à donner sa vie sur la croix ! Ce cœur-là est un cœur capable de remplir le nôtre et de nous faire faire attention aux plus petits d’entre les siens, aux plus humbles, aux plus oubliés. Et le cœur, notamment de quelqu’un qui cherche quelle est sa vocation, s’il est rempli de l’amour du cœur de Jésus, est capable de passer sa vie ensuite avec cette attention aux plus ignorés, aux plus oubliés, aux plus éloignés qui sont perdus dans le peuple de Dieu, ou parfois à côté de notre Église, mais jamais à côté du cœur même de Dieu.
Que le Seigneur nous inspire, quelles que soient les situations dans lesquelles nous sommes, de ne jamais oublier que son cœur aime les plus petits et qu’il nous invite à en faire de même.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris