IVG : « Ouvrir des espaces de dialogue »
Paris Notre-Dame du 22 octobre 2020
Le P. Nicolas Delafon est aumônier à l’hôpital Necker-Enfants malades et professeur à la Faculté Notre-Dame. Avec l’équipe de l’aumônerie, il accompagne des situations de détresse liées à la maternité. À l’heure des débats publics sur l’allongement du délai d’avortement, il plaide pour plus de dialogue sur le terrain.
Paris Notre-Dame – Une extension de l’IMG [1] doit être examinée au Sénat, tout comme l’allongement du délai de l’IVG. Comment réagissez-vous ?
P. Nicolas Delafon – Comme aumônier d’hôpital, derrière des acronymes (IMG, IVG…) et des délais, je vois des personnes : ces parents et leurs enfants à naître, que nous recevons au sein de l’aumônerie pédiatrique, le temps de la gestation ou le temps de la naissance. À Necker, nous ne rencontrons pas de femmes concernées par l’IVG mais des couples ayant fait le choix d’une interruption médicale de grossesse (IMG) ou touchés par le deuil périnatal, qui demandent un accompagnement pastoral. Après une année ici, je n’oublie pas ces fœtus et ces visages d’enfants que j’ai vus en salles de naissance ou dans la chambre mortuaire. Dans le cas de l’allongement du délai d’IVG, un des arguments avancés est de permettre aux femmes se heurtant à des retards administratifs, en raison de la crise sanitaire, d’effectuer une IVG tardive. Il me semble que cela répond à un drame – celui d’une femme qui voit comme nécessaire le fait de ne pas mettre au monde son enfant, même passé le délai –, par un autre drame. Car cet allongement impose un acte lourd pour le médecin et potentiellement dangereux pour la femme, comme l’ont prévenu de nombreux spécialistes.
P. N.-D. – L’Église défend la vie humaine et sa dignité, dès sa conception. Son message peut-il être entendu par une partie de l’opinion publique qui promeut le droit à l’avortement ?
N. D. – Je constate que, comme catholiques, nous employons des mots comme « personne », « dignité », « respect » ; ou des expressions comme « Oui à la vie ». En vis-à-vis, nombreux sont ceux qui se réfèrent à d’autres mots comme « le droit », « le projet », « le choix », « la liberté »,… dans la lignée implicite de l’existentialisme sartrien. Compte tenu de ces champs sémantiques, la rencontre est quasi impossible. Cela appelle un approfondissement philosophique, théologique et pastoral de la question, qui n’édulcore pas l’exigence de l’Évangile mais qui tienne compte des situations. Nous devons ouvrir des espaces de dialogues individuels et collectifs qui supposent d’entendre une certaine vérité de la femme qui demande l’IVG, et celle du conjoint, celle des soignants aussi, parfois pris en étau entre la de- mande, leur éthique, et le poids psychologique de cet acte grave. Des espaces qui permettent de trouver des chemins concrets d’évolution, basés sur une expérience commune de l’existence. Je m’inspire ici des philosophes Simone Weil, Rachel Bespaloff , ou encore Claude Bruaire.
P. N.-D. – Comme chrétiens, sur le terrain, comment l’aborder de manière ajustée ?
N. D. – Nous chrétiens, annonçons la vérité du Christ et le don créateur du Père, source de la vie. En tout autre, dès la conception de la vie, nous reconnaissons quelqu’un qui, comme nous, a reçu la vie. Notre mission est d’en témoigner, mais, comme le dit Claire Bolzinger, avec qui j’anime l’aumônerie, sans culpabiliser les personnes. Tout l’enjeu est de pouvoir nommer la réalité concrète des actes et des choix posés en y conjuguant un regard qui n’écrase pas l’autre. Si dire la vérité est libérateur, les mots choisis ont leur importance. Et le temps accordé au dialogue aussi : où sont les espaces de parole offerts aujourd’hui dans notre société, entre conjoints, entre parents et enfants, avec soi-même et avec Dieu ?
Propos recueillis par Laurence Faure @LauFaur
– Voir le Dossier Avortement dans le Dossier Bioéthique
[1] Cet été, l’Assemblée nationale a adopté un amendement autorisant une interruption médicale de grossesse (IMG) jusqu’à neuf mois, pour « détresse psychosociale ». Le texte attend l’examen du Sénat, tout comme le texte adopté début octobre en première lecture, sur l’allongement du délai légal de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), de douze à quatorze semaines.
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