« Je revois encore les braises tomber »
Paris Notre-Dame du 28 novembre 2024
François Millet était lieutenant-colonel à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris lors de l’incendie du 15 avril 2019. Pour Paris Notre-Dame, il revient sur cette nuit au cours de laquelle il a participé au sauvetage des œuvres de la cathédrale.
Paris Notre-Dame – Où vous trouviez-vous lorsque vous avez appris qu’un incendie était en cours dans la cathédrale ?
François Millet – J’étais en voiture, en train de rentrer chez moi. J’ai reçu un appel téléphonique m’indiquant qu’un feu était en cours à Notre-Dame de Paris et que tous les spécialistes étaient redirigés sur ce sinistre. En tant que commandant en second du groupement des appuis de secours basé à Clichy-la- Garenne, dans les Hauts-de-Seine, et officier de garde ce soir-là, j’ai immé¬diatement fait demi-tour. J’ai prévenu ma femme avant de rejoindre la caserne d’où nous sommes partis, toutes sirènes hurlantes, vers l’île de la Cité.
P. N.-D. – Dans quel état d’esprit étiez-vous ?
F. M. – Comme nombre des interve¬nants, nous avions du mal à y croire. Mais sur la route, nous avons très vite aperçu l’impressionnant panache de fumée et avons alors réalisé que c’était du sérieux. En arrivant, les flammes traversaient déjà la toiture, ce qui n’est jamais bon signe. Nous savions qu’il serait très compliqué d’en venir à bout.
P. N.-D. – Quelle était votre priorité ?
F. M. – J’ai tout de suite été assigné à la coordination des moyens spécialisés de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, auprès de l’équipe en charge de la protection des œuvres qui était déjà en lien avec les responsables de la cathédrale. Comme tout établissement renfermant des œuvres d’art de grande valeur, celles-ci sont référencées et évacuées selon un ordre de priorité établi. Nous savions donc quelles pièces sauver et où les trouver. Rapidement s’est posée la question de la Couronne d’épines. Un sauvetage un peu épique puisque que c’était une copie qui, avant notre arrivée, avait été sortie par erreur de la cathédrale. L’originale était enfermée dans un coffre dont nous avons mis du temps à obtenir le code pour la mettre en sécurité alors que nous ne savions pas encore si Notre-Dame allait ou non s’effondrer. Je revois encore les braises tomber depuis la voûte dans le chœur ainsi que les gouttes de plomb s’écraser au sol... L’incendie faisant rage à plus de 30 mètres, le silence à l’intérieur de la cathédrale était impressionnant et contrastait avec l’agitation bruyante de l’extérieur. La brigade a continué à travailler une bonne partie de la nuit pour sortir toutes les œuvres et nous nous sommes désengagés vers deux heures du matin.
P. N.-D. – En tant que catholique, quelles pensées vous habitaient alors ?
F. M. – À mon arrivée, lorsque j’avais vu que le feu avait percé, j’étais plutôt pessimiste sur son issue. Mais le mode professionnel a pris le dessus : j’ai laissé ma foi de côté et attaqué le sinistre comme pour n’importe quel bâtiment. Il n’empêche que cela fait quelque chose de savoir que c’est la cathédrale que nous sommes en train de sauver ! Ce n’est qu’à deux heures du matin que nous avons commencé à réaliser l’importance de ce sauvetage et que l’on en parlerait pendant encore quelques années… Nous avons surtout découvert la ferveur populaire et le retentissement inter¬national dont nous n’avions pas pris conscience. Si nous avons l’habitude que des gens nous regardent, là, la foule était en train de chanter et de prier ! À mon retour chez moi, j’ai d’ailleurs découvert que des amis de mon épouse, apprenant l’incendie en cours, l’avaient appelée pour lui demander si je faisais partie des équipes mobilisées. Et de façon spontanée, certains étaient venus chez nous et avaient suivi avec elle l’intervention à la télévision tout en improvisant un groupe de prière. Une première, comme vous pouvez l’imaginer !
Propos recueillis par Mathilde Rambaud