Notre-Dame, les gargouilles et le chat

Paris Notre-Dame du 12 décembre 2024

Aventurier, écrivain et escaladeur de cathédrale, Sylvain Tesson se livre sur ses liens avec Notre-Dame de Paris, qu’il a maintes fois gravie et dont les beffrois ont été le lieu de sa rééducation physique après une chute de près de dix mètres.

Sylvain Tesson
© Sébastien Toubon

Paris Notre-Dame – Vous parlez de liens « affectifs, physiques et méditatifs » avec Notre-Dame. Pourquoi pas spirituels ?

Sylvain Tesson – Parce que je me méfie des grands mots. On prend des énormes malles, on met n’importe quoi dedans. Si on commence avec une musette, on réfléchit davantage à la manière de la garnir.

P. N.-D. – Dans Notre-Dame de Paris. Ô Reine de douleur (éd. des Équateurs, 2019), vous parlez de Notre-Dame comme « l’incarnation calcaire du Verbe ». Êtes-vous désormais « perméable au mystère » ?

S. T. – Je n’y ai jamais été imperméable. C’est avec le christianisme (qui est la politique de la Parole) que j’ai pris des distances, pas avec la figure du Christ ni l’espace géo-civilisationnel de la chrétienté. J’aime le Verbe, le Livre, l’idée de Dieu, le feu christique et l’empreinte culturelle de l’Évangile sur les sociétés. Mais ce qui sort des conciles, des bulles, des synodes et des encycliques m’intéresse moins que ce qui descend du ciel. C’est comme en politique : une grande idée me plaît davantage que le rapport d’un énième congrès.

P. N.-D. – Pourtant, vous dites aussi que vos escalades sur le toit de la cathédrale « étaient une prière »…

S. T. – C’est une liturgie. Avec sa sanction (la chute), son élévation physique et symbolique, son engagement. On offre un peu de soi, par un effort acrobatique, à un objet qu’on célèbre. C’est pour cela que ces nuits d’escalade étaient comme un rituel. Après tout, se mettre à genou sur un prie-Dieu ou à califourchon sur une gargouille ne sont que des différences de position.

P. N.-D. – Avec la réouverture de la cathédrale, pensez-vous qu’il y ait un nouveau chapitre à écrire dans votre livre ?

S. T. – Non, le forfait a été réparé, les plaies cautérisées. À présent il faut s’occuper des autres ruines : le langage, les rapports humains, la concorde, la paix intérieure, le silence, l’art, la lecture, la nature, toutes ces allégeances à la beauté et à l’esprit qui ont été dévastées par le spectacle et la marchandise, deux puissances dont nous subissons le règne hideux.

P. N.-D. – D’une certaine façon, Notre-Dame vous a aidé à réparer votre corps meurtri par une terrible chute. Votre nouveau spectacle, consacré à la cathédrale, est-il une façon de l’aider à votre tour ?

S. T. – Je paie mes dettes. Je suis le débiteur insolvable de ce que Notre-Dame m’a apporté. Je dis mon admiration pour le miracle gothique et ma fascination pour les ouvrages humains qui demeurent, survivent au temps, passent les modes. C’est bien peu de choses que de rendre en mot ce que l’on a reçu en grâce. Mais on fait avec ce que l’on peut. Moi, je peux écrire.

P. N.-D. – Selon vous, quelle place tient Notre-Dame dans notre pays ?

S. T. – Le mouvement public et le saisissement privé qui ont suivi l’incendie ont prouvé que l’on ne se débarrasse pas si facilement des liens avec le ciel dans une société. Quelle erreur d’avoir décrété aussi brutalement la mort de Dieu ! Le supermarché, le spectacle et le loisir ont aussitôt investi l’espace vacant. C’est toujours ainsi. L’humanité marche comme l’hydraulique : il y a toujours une horreur du vide. Et dans la tuyauterie historique, le gloubi-boulga spiritualo-matérialiste est venu combler la vieille circulation spirituelle. Je n’aime pas les états théocratiques genre islamo-martiaux. Mais pas non plus les hubs matérialistes qui instituent une citoyenneté de supermarché. Entre les deux, il y a des pays démocratiques qui n’oublient pas l’importance de leurs traditions spirituelles, l’Italie par exemple, moins déspiritualisée que la France.

Propos recueillis par Marie-Charlotte Noulens

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